-Fernando, mon petit as-tu mangé ?
-Oui madame je n’ai pas faim !
-Viens Fernando, les cacahuètes c’est plein de vitamines.
Il en aura mangé des cacahuètes le petit Fernando. Par poignées, crues, grillées, écrasées sur un bout de pain (un luxe) qu’il en gardera cette addiction toute sa vie.
Madame Hernandez, toute en rondeur, s’épongeant constamment le front avec un mouchoir inséparable du personnage, était la voisine de sa maison.
Sa maman l’élevait avec ses deux frères. Medellin dans les années quarante, pour un gamin sans père, ce n’était pas l’eldorado.
Mais Fernando ne pensait pas à la faim. Il aimait visiter les vestiges de son pays. Pierres sculptées enlacées d’énormes racines. Il aimait l’argile et la poterie.
Il s’était bricolé un tour de potier avec une vieille roue de charrette. Sous l’énergie de ses coups de pieds équilibrés, la terre se métamorphosait en des formes qu’il associait inconsciemment à l’art précolombien.
Les formes évoluaient, s’imposaient, attiraient l’œil.
Madame Hernandez devait se rendre à l’évidence.
-Tu es doué petit, mais tu devrais penser à autre chose, un métier par exemple. Qu’aimerais-tu faire plus tard ?
-Moi ? Exposer au Musée National de Colombie !
Lorsque sa bienfaitrice s’absentait pour aller au marché, il pénétrait dans le petit appartement et c’est là qu’il découvrit ce livre « L’art de sculpter », lu et relu des centaines de fois. Un cadeau d’un ancien amoureux de madame Hernandez qui s’était évaporé depuis bien longtemps.
Fernando était fasciné par les photos de sculptures d’artistes qu’il découvrait.
Ce « David » quelle perfection et dans du marbre en plus !
Un jour il dessina un cheval et lorsqu’il esquissa la tête, il la dessina très petite. Soudain l’animal prit des proportions énormes. Son style était né.
Rentré chez lui, il entreprit de modifier une œuvre déjà bien entamée.
Par le plus grand des hasards cette œuvre fut acquise par mon grand-père et trône aujourd’hui dans son atelier.
Mon chien que j’avais baptisé « Titien » parce qu’il s’arrêtait toujours face aux toiles du maître et secouait la tête comme un convaincu.
-Regarde-le celui là, avait dit ma fille, on a l’impression qu’il apprécie !
Mon chien donc, regarde cette nouvelle sculpture pour lui. Il tourne la tête à droite et à gauche comme pour interroger des visiteurs invisibles, puis la secoue et sort de l’atelier tête basse, déçu, me semble-t-il ?
Je n’aurais pas dû l’appeler « Titien ».
De Botero à Michel-Ange m’interpelle toujours…
Gérald IOTTI