Publié le 9 Mai 2022
ARRESTATION DE L’INSAISISSABLE
BERTRAND DUPUY
Trois policiers de la BSI ont capturé le fugitif ce matin à l’aube.
Bertrand Dupuy, accusé d’avoir égorgé sa femme avec un couteau de cuisine, était en fuite depuis le meurtre. Les faits remontent au 2 avril 2022. Ce matin-là, la petite ville de TRANTOR s’est réveillée dans l’horreur : Marie Dupuy est retrouvée gisant dans une mare de sang sur le sol de sa cuisine. Très vite les soupçons se portent sur son mari, d’autant plus que ce dernier est introuvable. Les voisins, interrogés par la police, confirment plusieurs disputes assez violentes chez le couple.
Un assassinat bien planifié
L’enquête révéla que l’homme avait soigneusement planifié son crime. Il avait vidé son compte en banque ainsi que celui de son épouse. Il s’était débarrassé de son téléphone, n’utilisait plus sa carte bancaire. Il était devenu transparent. L’insaisissable, comme on l’avait alors surnommé, s’était volatilisé.
Une enquête en toute discrétion
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L’enquête fut confiée à la BSI, la Brigade Spéciale Internationale, spécialisée dans la traque de dangereux criminels partout dans le monde. Suite à un travail de fourmi, des enquêtes top secrètes, des recoupages d’informations dont nous n’avons pu avoir le détail, la BSI a réussi, au bout d’un mois à peine, à localiser l’Insaisissable. Il coulait des jours heureux et apparemment sans remords dans une villa à San Pipo, une paisible bourgade argentine. L’opération n’a duré que quelques minutes. Bertrand Dupuy est sorti menotté, encadré par trois policiers d’élite.
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BERT
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Vingt ans plus tard, dans la rue où s’est déroulé le drame, Bert, artiste peintre, met la touche finale à son œuvre. Une œuvre monumentale qui couvre tout un mur. Avec son tablier en caoutchouc, sa chemise à carreaux, son pantalon informe, il ressemble plus à un paysan qu’à un artiste. Sa peinture, brute, presque monochrome, lui ressemble. Étalée à grands coups de brosse, elle s’enroule sur elle-même, refuse de se révéler, circonvolute sur ses secrets, mais occupe l’espace pour exister, pour déverser le trop plein de son âme. Par dessus cet enchevêtrement, des formes surgissent qui rappellent ici, peut-être une tête de bovidé, ou peut-être des racines qui sortent de terre, là un hérisson ou peut-être une touffe d’herbe… Chacun y trouve ce qu’il cherche, disent certains journalistes de revues spécialisées dans les arts. Seul Bert sait que c’est la mort, ou peut-être la morte qui veut s’échapper de son cercueil. Ça, les journalistes ne le sauront jamais. Ils aimeraient bien rencontrer l’artiste mais personne n’a réussi à connaître son nom, ni son adresse. Bert se veut discret, il reste une énigme insaisissable.
Insaisissable ! Ce mot le renvoie vingt ans en arrière. C’est comme ça qu’on l’avait surnommé à l’époque, après l’assassinat de Marie. Marie qui l’avait rendu fou d’amour, fou de haine. Marie qui le harcelait, lui reprochait d’être ce qu’il était, Marie qui en voulait toujours plus, plus d’argent, plus de ceci, plus de cela, Marie qui le trompait, le provoquait, l’humiliait. Elle a fini par lui vriller le cerveau, il l’a tuée.
Puis, la fuite, la planque, et un matin, la police. L’insaisissable en a pris pour vingt ans. Vingt ans de taule, vingt ans pour réfléchir, prendre conscience. Vingt ans à essayer de se pardonner… Vingt ans à essayer de se reconstruire.
C’est la peinture qui l’a sauvé. En prison, il a découvert la puissance réparatrice de l’art dans un atelier peinture qu’il a suivi assidûment. Il s’y est consacré entièrement et il continue. Depuis sa libération, il peint. Son domaine, c’est la rue, les murs. Il y a toujours un mur qui l’attend dans la ville. Aujourd’hui, c’est celui qui longe son ancienne adresse. Pas étonnant, ces formes blanches qui veulent sortir de terre. C’est Marie qui gratte de ses ongles de sorcière. Elle l’empêche de se réaliser pleinement. Il ne peut pas se faire connaître, se faire reconnaître car pour le monde, il sera toujours Bertrand Dupuy, l’assassin de Trantor.
Dix années sont passées. Bert a connu d’autres villes, d’autres murs mais persiste à rester anonyme. L’affaire Marie Dupuy est oubliée depuis bien longtemps. Plus personne n’en parle, le nom de Bertrand Dupuy n’évoque plus rien à quiconque, d’autres drames ont occupé les médias et le gens au fil du temps. Sauf pour Bert. Marie, sa gorge ensanglantée, le couteau de cuisine reviennent régulièrement dans ses cauchemars. Pour les fuir, il a quitté Trantor, erré de bourgs en villages, vivant de petits boulots, trois mois ici, six mois là-bas, laissant une trace de son passage sur les murs.
Ce vagabondage artistique et anonyme lui a valu quelques articles élogieux dans les revues d’art. Son œuvre avait un côté jeu de piste qui passionna un temps les amateurs d’art. Il s’agissait pour eux de deviner où Bert l’Insaisissable irait peindre sa prochaine œuvre. Mais Bert vivait chichement. Ses revenus plus que modestes ne lui permettaient pas souvent l’achat de peinture et matériel. Ses fresques se firent de plus en plus rares, les gens se lassèrent et finirent par l’oublier. Avec le temps, ses peintures monumentales se dégradèrent et furent recouvertes par les tags colorés de jeunes artistes.
Aujourd’hui, Bert ne peint plus sur les murs. Il s’est installé dans une petite ville au bord de la mer, travaille comme manutentionnaire dans le supermarché de son quartier, juste au-dessous de son studio. Solitaire, toujours insaisissable, il a découragé toutes les tentatives d’amitié de ses collègues.
Quant à l’amour… Trop dangereux pour lui… et surtout pour elle.. Trop peur de la récidive, trop de douleur, de remords, trop… de tout. A éviter définitivement. Juste la solitude et les souvenirs pour compagnons. Le prix à payer.
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Le soir, quand le passé se fait trop présent, il va marcher au bord de la mer. Sur le large trottoir aux pavés mauves, du sable, déposé par le vent ou peut-être la vague, crisse sous ses pas. Il aime ce moment apaisant. La mer s’étale, tranquille. Le ciel change de couleur, passe du bleu au rose en s’approchant de l’horizon. L’horizon, parallèle à la balustrade en colonnes. Paysage graphique. Graphique… c’est le mot juste. Des lignes, des plans et rien d’autre. Minimaliste comme sa vie.
Alors Bert s’évade. Il saute par dessus la balustrade, vole vers le grand large, loin de sa petite vie.
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Épilogue
ON A RETROUVÉ BERT,
L’INSAISISSABLE ARTISTE DES RUES
Qui se souvient de Bert ?
L’artiste avait connu quelques moments de célébrité avec ses peintures sur les murs des villes, comme autant d’indices d’un jeu de piste. Mais personne n’a jamais réussi à l’approcher, puis l’Insaisissable avait disparu, ses fresques monumentales aussi, effacées par le temps et les bombes des tagueurs.
C’est en promenant son chien sur la plage au petit jour, qu’une dame a trouvé Bert, inconscient, au pied de la balustrade. A côté de lui, un carton à dessin et les esquisses d’anciennes œuvres qu’il avait peintes sur les murs de diverses cités, ce qui a permis de l’identifier.
L’homme a-t-il fait une chute ou a-t-il sauté ? Pour l’instant, nous n’avons aucune réponse à cette question. Bert est actuellement à l’hôpital, ses jours ne sont pas en danger, pour la plus grande joie des amateurs d’art qui commencent à arriver dans la ville pour faire enfin sa connaissance. La galerie Jeanne Frescot souhaite vivement exposer les esquisses de l’artiste. Une renaissance pour Bert ? L’avenir nous le dira...