12 novembre
L’énigme de la citation résolue, nous avons continué le voyage. Avec Melinda, on a profité du paysage, accoudés au bastingage. On a bavardé comme de vieux camarades, elle m’a parlé de sa foi, des questions dont elle n’a pas encore la réponse, et moi, je lui ai parlé de mon camion à pizza, tellement plus terre à terre, mais quand je l’ai invitée à venir en déguster si elle passe par Nice un de ces jours, elle a souri ; j’ai pris ça pour un oui.
On a vu apparaître la ville de Valence, notre prochaine escale. On a débarqué, Paul s’est joint à nous, bien sûr ! Tous les trois, on a visité la cathédrale de fond en comble. Melinda est un guide hors pair. Elle connaît son affaire et nous a tout expliqué. L’escale a été courte, juste une demi-journée. L’après-midi on a repris la route, ou plutôt le fleuve. Demain, fin du voyage, on arrivera à Lyon. Je sens déjà poindre une once de nostalgie… vite oubliée quand Lucie, la cuisinière, nous annonce une soirée d’adieu jazzy. Voilà qui est intrigant !
Un mystère vite résolu : Un musicien est monté à bord à Valence. C’est le neveu de Lucie, guitariste de son état, qui propose d’animer la soirée en échange de son transport jusqu’à Lyon. Why not ? Un peu de musique pour finir le voyage, quelle belle surprise !
Le soir, après le dîner, le musicien s’est installé avec son matériel dans le salon. Un jeune mec, genre beau gosse, chemise rouge, guitare rouge, avec juste ce qu’il faut de barbe et de cheveux pour être sexy. Manquerait plus qu’il ait du talent ! Je me sens nul avec ma calvitie naissante, mon embonpoint qui s’affirme et mon four à pizza pour unique talent. Melinda semble déjà subjuguée… Je vais la lui faire avaler sa guitare !
Et puis, il a commencé à jouer, un air tout tranquille qui se promène, nous promène, on s’est laissés porter. Il a enchaîné ainsi des standards connus, des airs de sa composition, toujours dans une ambiance intimiste, propice aux conversations paisibles.
Paul nous a rejoint, on a discuté tous les trois au son du jazz, de tout, de rien, de nous, de notre rencontre… puis, la musique est devenue plus entraînante, on a eu des fourmis dans les jambes et nous voilà partis à nous trémousser tant bien que mal sur du be-bop. On devait former un trio plutôt comique à en croire la mine hilare du guitariste! On s’est bien amusés. Fous-rires quand Paul s’est emmêlés les bras pour faire pirouetter Melinda, fous-rires devant mes pas de danses hybrides entre twist et sirtaki. Melinda nous a accordé, à tour de rôle, quelques pseudos-rocks ou assimilés. J’ai fait au mieux, mais je crois que j’étais plus proche du pire ! L’important, c’était la lumière dans les yeux de Melinda. Pas besoin de boule à facettes, son regard plein de joie a suffi pour illuminer la soirée. Plus tard, la musique s’est faite douce, j’ai pris Melinda dans mes bras et on a dansé, comme bercés, serrés l’un contre l’autre. Un moment suspendu, où le cœur se dilate, gonflé de musique et d’amour. J’ai eu du mal à redescendre du nuage enchanté.
La soirée s’est terminée comme elle a commencé, avec des musiques faites pour converser, un verre à la main, ambiance cosy, détente… On a échangé nos adresses, nos téléphones, nos mails, enfin, tout ce qu’on a pu échanger pour rester en contact, se donner mutuellement des nouvelles et pourquoi pas se donner rendez-vous, un jour, plus tard… Melinda nous promis de nous faire part de sa décision au sujet du noviciat. J’attends déjà ses messages…
Les dernières notes de musique s’égrènent. La guitare se tait, le musicien salue. Finalement, il est très bien ce guitariste, on l’a applaudi et je suis même allé le remercier pour sa prestation. La soirée a été parfaite.
Maintenant, dans ma cabine, j’essaie de ne rien perdre de tout ça, de tout consigner dans mon petit carnet. De retour chez moi, je mettrai tout au propre pour en faire un récit de voyage. Mais pour l’heure, il est temps d’aller dormir. Demain, on arrive à Lyon, tout le monde descend. J’irai passer quelques jours chez des potes et je repartirai en train pour rejoindre Nice.
Bye, bye la croisière sur le Rhône, bye, bye le Commedia dell'arte, ça pique un peu du côté du cœur, ce soir…
Epilogue
Plus d’un mois s’est écoulé avant que je reçoive des nouvelles de Melinda et Paul. C’est arrivé aujourd’hui, 18 décembre, sous forme de cartes de vœux pour Noël.
Melinda, de sa belle écriture fine, m’apprend qu’elle est entrée au couvent et qu’elle est à présent sûre de son choix. Je m’y attendais et je crois même que je suis content de sa décision. Cet amour est si particulier que je ne peux envisager d’autre forme que platonique. Il est né sur un fleuve, il continuera d’irriguer ma vie, je le sais, et elle le sait aussi. J’aurais eu trop peur de le gâcher, le banaliser, si on était partis dans une relation de couple. Je préfère le garder ainsi, immatériel et immuable, doré comme la lumière du soleil sur le Rhône.
Quant à Paul, il m’apprend qu’il a envoyé balader son insupportable mère et m’invite à passer Noël dans une auberge tout près d’un certain couvent, avec messe de minuit chantée par les novices. Je crois que ça être le plus beau Noël de ma vie !