Cela faisait bien une demi heure que j’étais là dans la chaleur de cet après-midi pour aller voir le dernier James Bond. J’avais hâte de le découvrir sur l’écran géant en trois dimensions. Pour cela, on nous avait fourni d’affreuses lunettes en carton jaune et rouge qui, selon les dires des employées, allaient nous faire vivre le film comme si l’on était soi-même le héros.
Enfin la file se mit à bouger vers la salle quatre du cinéma. Me voià plongé dans l’aventure. La salle était encore remplie de l’odeur des spectateurs précédents. Mélange de parfum bon marché et de transpiration auxquels s’ajoutaient, en touche délicate, l’odeur caractéristique du pop-corn. Malgré ce désagrément olfactif, je me glissais dans mon fauteuil de cuir noir. Celui-ci gémit de plaisir en épousant les formes de mon corps.
Les lunettes rivées sur mon nez, j’étais prêt à partir à la suite de mon héros. La lumière se tamisa pour laisser la place à l’obscurité, couleur propice à l’imaginaire.
Dans un show de musique en Dolby Stéréo, l’écran se remplit de lettres et de noms, le générique nous annonçait l’imminence du départ. Ça y est, m’écriai-je, James, me voilà !
Je me souviens avoir entendu Jean-Luc GODARD dire lors d'une émission télévisée ou radiophonique :
« On ne va pas au cinéma pour se distraire mais pour avoir des émotions ». J'ai toujours, quand je m’assieds, cette phrase en mémoire avec laquelle je suis en parfait accord.
Je l’avais aussi entendu dire à la radio lors d'une interview : « Jeune, j’avais fait du tennis. Mais quand je suis venu à Paris, en 1946-1947, j'ai tout arrêté. Puis j'ai repris, par période, petit à petit, en me rendant compte que c'était le seul endroit où quelqu'un me renvoyait la balle – dans les autres endroits, on ne me la renvoie pas, ou alors ils jouent avec, mais ils ne me la renvoient pas… Même en psychanalyse » !
(J’avais trouvé que cette phrase était du pur Jean-Luc Godard)
J’ai vu son dernier film « Le livre d'images », mais je ne m’en souviens guère… Je quitte Godard que j’ai adoré, si je puis dire.
J'aime être assise au début ou à la fin d'un rang car j'ai l'impression, si je suis entre deux personnes, d’être « prisonnière ».
Au Gaumont à Nice je préfère aller dans les petites salles ; parfois je suis seule et si c'est un thriller, ça m’arrive d ‘avoir des frissons de peur.
Dès que j’ai mon ticket à la main, je me sens conditionnée.
Hier je suis allée voir « Amour impossible » je suis ressortie très émue par ce film.
Alors que j'attendais le tramway pour rentrer chez moi, j'ai entendu un homme à chemise à carreaux à manches courtes, dire à son copain « regarde c'est la femme de la porte d'à côté ».
M’ont-ils confondue avec Fanny Ardent ? Je plaisante !
Demain j'irai probablement voir le dernier Woody Allen « Un jour de pluie à New York ». J'aime en général beaucoup ses films malgré « la mauvaise réputation » qu'on lui fait désormais.
Ce soir je vais vite rentrer, faire les courses et préparer le repas, pourquoi pas avec « Une bonne soupe aux choux ». En la dégustant nous pourrions regarder le film avec Louis de Funès qui passe à la télévision, « Les aventures de Rabbi Jacob »...
Il fait froid, le temps est parfait pour aller se calfeutrer dans une salle de cinéma.
Qu' allons-nous voir… ?
D'abord se réchauffer, prendre un café brûlant et odorant au bar de l'entrée du complexe. Déjà les enfants demandent, poussant des cris et sautant sur leurs pieds, des pop-corn dont l'odeur doucereuse de caramel titille les narines. Petits verres et gobelets géants sont proposés, vite emportés et dégustés avec gourmandise.
On a choisi le film, hésité, puis on s’est mis d'accord pour "Le Professeur" avec Fabrice Lucchini, acteur à forte personnalité, jouant avec emphase, déclamant des textes de la Comédie Française, nous laissant rêver et entrer dans son jeu.
Les salles du Polygone Riviera ne sont pas grandes mais cosy, avec les murs tapissés de velours rouge et leurs fauteuils confortables.
Les publicités commencent avec des extraits de films à venir.
Le petit Bonhomme de Jean Mineur (qui a plus d'un demi siècle), lance son pic qui arrive évidemment dans la cible annonçant : " Le Film va Commencer ".
Ma voisine a deux adolescents qui ne se privent pas de mâchouiller les pop-corn qui volent de ci, de là et finissent le sol.
Le film commence, le silence est de mise.
Parfois des rires fusent au regard de scènes burlesques ou bien de petits reniflements se font entendre, la dame âgée devant moi tente de retenir discrètement son émotion.
Un monsieur un peu enrobé s'est endormi dès le début du film, poussant de petits ronflements.
Un téléphone sonne, la propriétaire l'éteint rapidement.
Ce fut un très beau spectacle, émouvant, sincère et joué avec de très bons acteurs.
Dehors une odeur de calme, la neige s'est arrêtée de tomber, laissant un tapis immaculé que des enfants vont rapidement piétiner, s'amusant à se lancer des boules de neige.
Vais-je retrouver ma voiture, les parkings sont immenses, éclairés de lumières vertes et rouges.
- Ah ! La-voilà, ma Panda, elle m'attend. A présent, il faut trouver la sortie ...
Enfin ! C’est fou le monde qu’il y a aujourd’hui à la cinémathèque ! Arrivée bien en avance, j’ai trouvé une file d’attente considérable et piétiné un bon moment devant les portes. Heureusement, il ne fait pas froid et j’ai aperçu quelques personnes de connaissance..
Ça y est, c’est l’instant magique de l’entrée, toujours renouvelé, chaque fois différent. Il flotte une vague odeur de camphre, peut-être un produit pour nettoyer ou éliminer les miasmes de la séance précédente.
Tout le monde se bouscule pour avoir la meilleure place. Une dame me marche sur le pied. J’émets un petit cri inaudible, elle continue sa progression, elle est déjà loin.
Claquement des fauteuils dont les ressorts semblent fatigués. La salle bruisse de mille conversations chuchotées. Mais beaucoup semblent happés par leur téléphone, yeux baissés, pouces agiles, tous ces rectangles lumineux forment comme des guirlandes.
En rangeant le mien, je trouve au fond de la poche du sac un caramel oublié. Petite madeleine des séances de l’enfance où l’ouvreuse, son panier accroché autour du cou, clamait « Bonbons, esquimaux, chocolats glacés ! » et où nous entamions les négociations. J’adorais regarder les publicités et obligeais mes parents à m’attendre, mi-agacés, mi-moqueurs, jusqu’au début de la séance suivante pour les voir encore une fois. Je déguste le bonbon un peu mou, le fais fondre lentement, cette douceur sucrée me régale, mes dents n’en raffolent pas.
Tout le monde semble avoir réussi à trouver une place, enfin. Les conversations peu à peu s’effilochent, les bruits sont plus étouffés, les téléphones rangés. On se prépare, on se met en condition. Les gens devant moi continuent de parler tandis que les lumières s’éteignent. Vont-ils se taire ? Je lâche un discret « chuuut » qui se veut, pour l’instant, amical.
Ici, pas de publicité et le film démarre à l’heure pile. Je me cale dans mon fauteuil, pas de chignon haut ni de couvre-chef imposant devant, je vais pouvoir m’appuyer sur le velours un peu râpeux du dossier. Mon voisin sent la transpiration, ou le corps pas très bien lavé. Il va falloir supporter car il n’y a plus la moindre place libre et je n’ai pas de pince-nez.
Heureusement, dès que la séance va commencer, comme à chaque fois, j’oublierai tout et plongerai tête la première dans le film. Une heure quarante de bonheur.
Cette nouvelle a gagné le Premier Prix du Concours de la Nouvelle Sénior 2019 à Nice
La petite lampe vacille. Les reflets sur la page blanche tremblent. L’ombre de l’abat-jour ballotté par l’éclat de l’ampoule capricieuse escalade les murs, dégringole et se fixe sur le regard concentré du rédacteur.
J’écris avec frénésie. Je tiens la fin de l’histoire. Je la proposerai au metteur en scène. Mon oncle m’a permis d’occuper son local. Lui est absorbé à ses réglages de projecteurs.
On frappe à la porte avant qu’elle ne s’ouvre brutalement :
-Benoît ! Mais qu’est ce que tu fais ? On t’attend studio 8 !
Mon oncle Benoît est chef éclairagiste aux studios de la Victorine à Nice et l’on tourne aujourd’hui une scène de la vie de Victor Point, ce héros de la croisière jaune réalisée en 1931/32 sur des chenillettes Citroën dans des conditions rocambolesques. Adulé par les foules ce jeune officier vit un amour malheureux avec une actrice de cinéma au regard de braise sur un visage d’ange, amie de l’écrivain Colette : Alice Cocéa.
Les décorateurs ont travaillé toute la nuit. Les rochers sont plus vrais que nature. On s’y croirait. Le désert de Gobi en 1931 avec ses monts arides accrochent le regard. Citroën a fourni un véhicule de son propre musée et quelques pièces détachées.
La scène prévue est un passage en corniche, à plus de trois mille mètres d’altitude, si étroit qu’il a fallu démonter les chenillettes et transporter les pièces à dos de mulet pour les remonter plus loin.
Moteur, Action !
L’acteur représentant Victor Point se démène. La scène est censée se dérouler en haute montagne, en bord de falaise, sur un sentier que seule une mule peut franchir. Emmitouflé malgré la chaleur du studio, il trie les pièces dans le vent et la poussière, pour faciliter leur remontage lorsque l’obstacle aura été dépassé. Les ventilateurs modulables font merveille. Une pierre s’échappe, roule et s’écrase en fond de crevasse. Les bêtes se cabrent, la peur au ventre. Le réalisme est saisissant. Les guides reculent. Lui prend le mors du mulet de tête tire et franchit le passage difficile. Le suspens est au maximum, seul le bruit du vent et la poussière auréolent la scène. Les autres animaux suivent. Les projecteurs de poursuite accentuent les efforts du héros, éclairent les yeux exorbités des bêtes apeurées. Le passage difficile est franchi, le remontage des véhicules peut commencer. Une demi-chenillette donne l’illusion de l’épreuve de force. La dernière caméra filme la vraie chenillette « reconstituée » qui finit par s’ébranler. Le voyage continu. Les différents projecteurs fixent tous les détails.
Parfait, Coupez ! Le metteur en scène a tranché.
Les ventilateurs s’arrêtent, les luminaires s’éclairent, les figurants allument une cigarette. L’acteur vedette enlève sa canadienne et souffle. Une bonne douche l’attend. La vedette féminine est là. Elle apprécie la prestation du héros qu’elle est censé ne pas aimer.
-Bon pour aujourd’hui ! Décide le metteur en scène. Les décors pour la séquence au Palm-Beach seront prêts demain studio 6, rendez-vous à midi, la luminosité sera parfaite.
-Concentre-toi ma petite, précise t-il à l’actrice incarnant Alice Cocéa. Demain je veux ressentir aussi bien dans ton personnage que dans ton texte que décidément cet amour ce n’est pas ce que tu recherches.
-Et vous Benoît votre travail doit être irréprochable. Je veux du contraste pour mieux saisir les sentiments, vous me comprenez ?
-L’œil humain est plus tolérant grâce aux mouvements incessants de la tête. Il faudra me rendre cela avec l’éclairage, moi je m’occupe des travellings.
Benoît range son matériel, donne des consignes à son personnel électricien et s’isole dans son atelier.
Moi, je suis déjà là. Une légère tape sur l’abat-jour, la lampe se rallume et projette son halo sur la page griffonnée. Je relie mon texte, rajoute une phrase, améliore un dialogue, relie encore et décide de remettre mon projet au metteur en scène. Mon oncle est d’accord. Il s’en occupera.
Elle, est là pour le succès de sa dernière pièce. Le producteur a vu les choses en grand.
Les salons du Palm-Beach, palace historique des mondanités cannoises sont parfaitement reconstitués. Décors éblouissants. La limite entre fiction et réalité n’est plus perceptible. La vie a prit possession de ce décor artificiel. Tout est orienté vers le goût de vivre, le plaisir de la liberté, le besoin d’aimer. On sort de la grande guerre et malgré le krach de 1929 on est en pleines années folles.
Sur la Côte d’Azur, l’Amour a trouvé son décor naturel.
Les couples élégants se déplacent nonchalamment, discutent, glissent au son de la musique.
Un serveur circule entre les invités un plateau de coupes de champagne en main.
Elle, est dans son monde, rayonnante souriante. Lorsque la caméra saisit les deux anciens amants, le spectateur se dira : ils sont faits pour s’entendre ces deux là !
Mais le metteur en scène voudrait saisir la personnalité de l’officier, à l’aise lorsqu’il affronte le danger, sûr de lui après une parole donnée mais démuni face aux caprices de l’amour. Elle au contraire, la légèreté est son domaine. Ses amants l’ont aidé à construire sa carrière. La frivolité de la vie est son univers.
La prise de vue est maintes fois arrêtée.
-Stop ! On reprend dans quinze minutes !
Les figurants soufflent, encore ?
Le metteur en scène ne répond pas. Il n’a pas saisi ce qu’il voulait.
Moteur. Les figurants doivent discuter entre eux. Mais de quoi ? Débrouillez-vous, leur a précisé l’assistant réalisateur, vous devez donner l’illusion d’une soirée animée.
On reprend…
Le jeune officier dans son uniforme d’apparat ne se sent pas à l’aise dans cette ambiance. Flashback sur le baroudeur qui a réussit ce que personne n’avait réalisé auparavant. Plus de 10000 kilomètres sur des prototypes dont on ne connaissait pas la résistance. Les chinois qui pensent à des missions militaires déguisées et qui vont multiplier les obstacles. Le pays en quasi guerre civile. Victor, otage de guérilléros, libéré in extremis grâce à une idée de génie. Demande l’autorisation d’installer un mât avec le drapeau Français car ce 24 juillet est un jour important en France (invente t-il) et on doit le fêter. Profiter de ce mât pour installer l’antenne radio de leur véhicule et diffuser « Parlez-moi d’amour » chanson a la mode qui a permit à un autre véhicule radio de le localiser et à ses coéquipiers d’intervenir. Bref, Une vie d’aventures comme on les aime au cinéma…
Dans la réalité, Victor a certainement bu car il ne supporte pas le rejet d’Alice. Comment en est-il arrivé là, lui qui a tout surmonté durant ce raid hors normes. Le metteur en scène compte beaucoup sur cette séquence où l’invulnérabilité de l’homme d’action se heurte à un problème que le spectateur anonyme connait : un amour non partagé. Et dans ces cas là qui souffre ? Celui qui aime le plus évidement. Il faudra rendre cela à l’écran.
Moteur, Action !
Sur une vision en diagonal, les miroirs du grand salon projettent l’image de Victor, mal à l’aise, s’appuyant sur le dossier d’une chaise, contrastant avec l’aisance d’Alice bavardant au centre d’un cercle d’admirateurs. Plongée en gros-plan sur la vedette féminine, souriante, séduisante dans sa robe longue échancrée sur une poitrine agrémentée d’un camélia, une étole nonchalamment posée sur ses épaules nues. Au doigt une magnifique bague émeraude et diamants. La caméra saisit tous les détails. Elle, gloire du cinéma muet, chanteuse de cabaret auprès de Maurice Chevalier, chanteuse d’opérette. Elle qui est passée dans des films au côté de Pierre Fresnay, Michel Simon, Harry Baur, devient Comtesse après avoir épousé le Comte de la Rochefoucauld, qu’elle quittera pour Victor, qu’elle oubliera ensuite… Mais qui se rappellera d’elle plus tard ? L’éphémère succès de la scène !
Les projecteurs suivent les deux personnages. Difficile équilibre entre ombres et lumières. Les décors sont caressés par un halo diffus. Une configuration de projecteurs très élaborée accentue le contraste entre profil torturé, lèvres tremblotantes de Victor et visage serein d’Alice. L’effet dramatique est accentué par des zones d’ombres sans aucun éclairage. L’impact de la rencontre est rendu par une caméra qui filme grand large alors que d’autres filment les visages des deux acteurs. L’harmonie se fera au montage.
Alice aperçoit Victor, écarte son cercle d’admirateurs et attend. Lui prend son courage à deux mains :
-Allons sur la terrasse, veux-tu ?
-Mais non ! J’ai besoin de réfléchir. Le regard fixe, le sourire inexistant est bien saisi par les caméras. Lui désespéré, le sourcil relevé :
-Demain peut-être ?
-Ah non ! Demain j’irais me baigner !
Tout est dit…
Parfait, Coupez !
La suite est connue. Ça se passera mal. La tragédie l’emportera. Un amour contrarié, ça fait pleurer dans les chaumières. Le metteur en scène le sait bien.
Il est confortablement installé dans sa chaise, allume un cigare. Benoît s’approche, lui remet mon papier. Le metteur en scène lit, relève ses lunettes sur son front et le fixe :
-ça alors… Présentez-moi ce jeune !
Moteur, Action !
Années 1950 sur la plage du midi à Cannes, un jour d’août.
La scène est filmée sur site avec des panneaux réflecteurs pour imprimer le contraste du contre-jour. Les maquilleurs ont eu très peu de travail sur des peaux juvéniles. Sur la route du bord de mer, bloquée pour l’occasion, en fait l’action sera tournée en juin pour ne pas trop perturber la circulation, de rares voitures, une quatre chevaux Renault, une aronde Simca et une traction avant Citroën qui se déplace permettant aux caméras après un panoramique de plonger vers la plage.
Une jeune fille nage une brasse parfaite, cheveux blonds étalés autour d’elle, s’approche du rivage. Elle sort de l’eau. Gros plan de la caméra. Son maillot bikini rose à pois blancs crève l’écran. Elle s’étend à même le sable, bras en croix, sel au coin des yeux, grains collés à la peau. Sur le sable, les figurants exhibent des tenues de bains dignes d’une collection vintage.
Un jeune homme en maillot-short déplace sa serviette, s’assied à côté et attend qu’elle ouvre les yeux. Elle, éblouie par le soleil ressent une ombre auprès d’elle, se relève, la main protégeant un regard interrogatif.
-J’ai trouvé cette bague prés de votre serviette, c’est à vous ?
-Oh oui, merci ! Un souvenir auquel je tiens beaucoup. Je la tiens de ma mère que j’ai très peu connue. La bague émeraude et diamants brille de nouveau au soleil. La caméra saisit ce détail connu du spectateur.
-Vous êtes de Cannes ?
-Non, de Paris … Je suis ici en vacances. Je travaille chez Citroën. Moi aussi je n’ai pas de souvenirs de mon père. Il faut dire qu’il a laissé un nom, alors que moi…
-Ah bon ! Comment vous appelez-vous ?
-Bertrand Point. Mon père s’appelait Victor. Vous savez… La croisière Jaune…
L’expédition Citroën… La Perse, L’Inde, La Chine…
-Comme c’est surprenant, je m’appelle Virginie Coléa. Vous savez…Alice, la comédienne…C’était ma mère…
Zoom sur le visage du jeune homme.
Parfait, Coupez !
La reconstitution des différentes prises se fera aux studios de la Victorine.
Je suis debout derrière le metteur en scène. Il se retourne, me regarde et j’entends :
Enfin j’y suis ! Le tapis rouge est déroulé à mes pieds jusqu’au perron du Palais des Festivals. Je m’avance, tête haute, souriant aux photographes. C’est la première fois que je viens à Cannes. Dès mon arrivée, le luxe, la richesse m’ont assaillie. Vie dorée, vie de rêve, vie factice, l’impression de jouer un rôle. Parenthèse étrange dans laquelle je me perds un peu. De partout, des affiches de films, des stands. La ville toute entière se donne au cinéma. La Croisette disparaît sous les barnums, les starlettes se dénudent sur la plage. Ça vibre, ça grouille, ça fourmille de paillettes, d’exubérance, de démesure pendant que, discrètement, dans le secret des palaces on s’accorde sur les gros contrats.
J’ai tellement attendu ce moment ! Ce film, c’est la chance de ma vie ! Dès que j’ai lu le scénario, j’ai su que le rôle était fait pour moi, qu’il allait me porter vers la gloire. A mon âge, il était temps ! Toute une vie à courir le cachet, les auditions, toute une vie de second rôle voire de figurante et enfin, cette proposition inespérée !
Un premier rôle dans un film intimiste, l’histoire d’une actrice vieillissante qui a passé sa jeunesse à se battre pour réussir, qui y parvient enfin. A croire que le scénariste s’est inspiré de ma propre existence pour créer son personnage ! J’ai l’impression de rejouer la scène de début ; le film commence au moment où, comme moi aujourd’hui, elle marche sur le tapis rouge. Puis, un flash-back raconte son histoire, comment elle a gagné la gloire et comment, pour cela, elle a sacrifié ses rêves, ses amis de jeunesse, son grand amour. Elle prend conscience de sa solitude quand, en haut des marches, elle croise le regard de son ancien amoureux parmi les badauds anonymes. Elle doute alors d’avoir fait les bons choix, réalise qu’elle a traversé sa vie à la poursuite d’une chimère.
C’est vrai que cela ressemble à ma vie. Je me reconnais dans l’héroïne, c’est sans doute ce qui donne sa force au film. Le rôle de ma vie, je vous dis ! Comme elle je suis seule, comme elle j’ai laissé les gens qui m’aimaient derrière moi, j’ai laissé Étienne, mon grand amour aux cheveux blonds, j’ai laissé les projets de vie à deux, mais moi, je ne regrette rien. Cette chimère, je l’appelle réussite, succès, gloire.
Ce soir, je suis une star dans ma belle robe prêtée par un grand couturier, parée de bijoux étincelants. Les photographes m’interpellent, on crie mon nom, on veut mon visage, mon sourire, mon regard… par ici, tournez-vous… la main sur la hanche… oui, comme ça, super… Derrière les barrières de sécurité, les badauds se pressent, me détaillent, me critiquent, m’admirent. Exhibition de bêtes de scène dans ce zoo humain ; je tiens mon rôle d’animal à paillettes. J’avance vers les marches, sublimée de regards et de lumière, cernée de foule mouvante comme un ciel d’orage sous les éclairs des flashes.
L’escalier rouge, ultime marche vers l’Olympe cinématographique, se dresse devant moi. Je le gravis lentement, je veux faire durer cet instant, m’approprier les cris, les gens, la gloire, me nourrir de ce succès, me sentir aimée et adulée par le monde entier. Me sentir aimée et adulée… C’est donc le sens de tout cela ? Le rôle me rattrape. Non, je ne suis pas elle, je ne la laisserai pas me gâcher cet instant. Du haut de l’escalier, je domine le monde, je suis une déesse, je daigne abaisser mon divin regard sur ce peuple grouillant qui m’idolâtre. Si j’ai perdu quelque chose dans cette aventure, c’est surtout mon humilité. Ce soir, place au narcissisme exacerbé ! Je triomphe, on m’acclame et j’aime ça. Je les regarde ces gens d’en-bas, je me suis élevée au-dessus d’eux, ils me portent.
Je les regarde et soudain, je le vois. Au milieu de la foule, comme dans la dernière scène. Étienne, aux cheveux devenus blancs, Étienne qui me sourit, Étienne qui éclipse la lumière. Étienne, bien réel dans le rôle de ma vie !
Étienne s’arrache à la foule, s’avance vers moi, magnifique dans son smoking.
– C’est l’auteur du livre qui a inspiré le scénario, me glisse le réalisateur. L’héroïne te ressemble tellement, on pourrait croire qu’il l’a écrit pour toi !
Étienne… le rôle… ou la chance de ma vie… ?
Mai 2019. Dernier jour du Festival de Cannes
Le Festival de Cannes se termine. J’ai adoré être une star sur le tapis rouge, grand moment de reconnaissance, aboutissement de toute une vie d’effort et puis, cette belle émotion… Étienne, mon Étienne, surgi du passé. Je suis contente pour lui. Le film que je représentais est tiré d’un de ses romans ; il a obtenu le Prix du scénario, mais son actrice, c’est-à-dire moi, que dalle. Comment rivaliser avec la belle Emily Beecham aussi ? Elle est flamboyante !
Aujourd’hui fini le Festival ; c’est le départ. Étienne est déjà retourné à ses bouquins depuis longtemps. Il a une famille, des chiens et des chats, le tout dans une maison quelque part vers Vence. Si j’ai rêvé un instant, très vite j’ai compris que je ne faisais plus partie de son monde, qu’il s’est juste servi de notre histoire et de ma vie pour écrire son best-seller. Ça me laisse un goût un peu… d’inachevé, quelque chose comme un regret peut-être… Je ne sais pas trop. C’est juste là, sous la surface, un truc qui serre un peu du côté du cœur.
Le taxi arrive. Je n’ai pas le temps de m’y installer que l’on m’interpelle. Une femme, l’air gêné, me demande :
– Puis-je profiter de votre taxi ? Je dois me rendre à Nice, je n’ai pas beaucoup d’argent…
Dans ses yeux, comme une supplique… je fais la généreuse, c’est si facile...
– Montez madame.
Elle attend que nous soyons sur l’autoroute pour me dire :
– Tu ne me reconnais pas ?
Je la regarde, intriguée.
– Chantal. Cavalaire 89. J’étais en vacances avec mon mec, Étienne, quand tu as débarqué sur la plage en bikini et tu es repartie en emportant Étienne. Tout ça pour quoi ? Pour le laisser tomber deux ans plus tard. Pour faire l’actrice ! Pfff… Et moi pendant ce temps, j’ai failli crever de chagrin, j’ai tout loupé et aujourd’hui, je suis grave dans la merde et c’est de ta faute alors, tu dois m’aider. Je m’installe chez toi.
Allons bon, voilà autre chose ! J’ai bien fait de venir à Cannes, moi ! Tout mon passé qui me saute dessus sans prévenir. Elle m’a bien eue la Chantal avec ses airs de pauvresse.
– Écoute Chantal, c’est de l’histoire ancienne ça ! Et puis, c’était un coup de foudre mutuel entre Étienne et moi. Comment veux-tu résister à ça, à vingt ans ? Quant à ta vie, si tu l’as loupée, ce n’est pas de ma faute, tout de même !
– Si, c’est de ta faute ! De toute façon, j’ai plus un rond, plus d’amis, pas d’amour, alors, je m’incruste.
– Comment ça tu t’incrustes ? Que veux-tu exactement ? Je peux de donner de l’argent pour te dépanner si tu veux...
– Je ne veux pas de ton pognon, je veux la vie que tu mènes, je veux vivre chez toi, aller dans les dîners parisiens, fréquenter les gens du cinéma, je veux que tu me présentes aux metteurs en scène, je veux devenir actrice. Je veux ta vie.
Je la détaille pendant qu’elle parle et je me rends compte qu’elle frise la folie. Son regard est traversé de lueurs inquiétantes, sa bouche se tord parfois dans un grimace haineuse, elle serre les poings. Je crois que ce qu’elle veut surtout, c’est me détruire. Elle s’énerve d’un coup :
– Ah, ah ! Tu m’observes… Tu es en train de chercher comment te débarrasser de moi hein ? N’essaie même pas. J’y suis, j’y reste. Je sais où tu habites, madame l’actrice, c’est écrit dans les magazines people. Alors si tu veux m’embrouiller en me racontant que c’est trop petit, trop loin, trop je ne sais quoi, ça ne prendra pas !
Je serai toujours là à te surveiller si tu me refuses ta maison, et je ferai de ta vie un enfer.
Sa tirade finit dans l’aigu. Elle me ferait presque peur cette idiote. Je vais la jouer « cinéma » :
– Mauvaise réplique, tu joues mal, tes menaces sont de piteux clichés. Je ferai de ta vie un enfer ! Quelle phrase à la con ! Te rends-tu compte de ton imbécile grandiloquence ? Tu es ridicule. Ce n’est pas comme ça que tu deviendras actrice.
Oups ! Ça n’a pas eu l’effet escompté. Elle me fixe, furibarde. J’ai l’impression qu’elle a envie de me tuer. Comment désamorcer l’affaire ? Je prends ma voix la plus neutre :
– Tu comprends, ce genre de choses, on l’a entendu mille fois, ce sont des répliques de mauvais films, des clichés, comme on dit. Si tu veux devenir actrice, il vaut mieux éviter les clichés… à part ceux des photographes, bien sûr, rajoute-je avec un clin d’œil que se veut amical et plein d’humour.
Elle se détend un peu, me dit :
– Je suis heureuse de voir que tu as compris que tu n’as pas le choix. Désormais, tu me donneras tous tes rôles. Sinon, je raconte à Gala ce que tu faisais sur la plage de Cavalaire en 89, comment tu as détruit mon couple.
La violence à nouveau sur ses traits. La rage enfle.
– Ça, ça n’y était pas dans le film. Il ne s’en est pas vanté Étienne, ce salaud ! Son tour viendra aussi, je lui ferai payer, rajoute-t-elle la voix rauque comme un feulement.
Mon Dieu ! Elle a ruminé toutes ces années jusqu’à en devenir obsessionnelle. Elle est folle, c’est sûr, et dangereuse, je crois. Elle peut basculer et passer à l’acte n’importe quand. Vaut mieux que j’entre dans son délire :
– Je vais à l’aéroport, je prends l’avion pour Paris. Je suppose que tu n’as pas de billet ?
– Non, mais tu vas m’en offrir un, bien sûr !
– Bien sûr… Je vais le réserver tout de suite sinon on risque de rater le vol.
Mon smartphone, mes contacts, mon vieux médecin de famille :
De moi au docteur, à Nice :
Suis dans un taxi avec une folle.Danger.
Envoyer ambulance avec psy à l’aéroport.
Arrivons dans 10 minutes. HELP !
– C’est bien long cette commande, se méfie Chantal, qu’est-ce que tu racontes ?
– C’est leur truc compliqué : ils veulent tout savoir. Rappelle-moi ton nom et date de naissance.
De moi au docteur, à Nice :
Chantal Latchan, née le 31 mai 1969
– Oh, mais c’est ton anniv aujourd’hui ! Bon anniversaire Chantal ! Cinquanteans, ça se fête ! Tiens, je t’offre cette bague, dis-je en retirant l’anneau d’argent qui orne mon annulaire. C’est une bague qui vient de Hollywood. Ah, mon téléphone vibre, c’est sans doute la confirmation pour ton billet d’avion..
Du docteur à moi :
Suis à l’aéroport avec ambulance devant arrêt taxi.
Toute à la contemplation du bijou, elle n’a remarqué mon soupir de soulagement. Le taxi bifurque, se gare devant le terminal.
A peine sommes-nous descendues de l’auto que mon gentil médecin est devant moi. A partir de là, tout va très vite : Chantal comprend ce qui se passe, tire de son sac un canif, attaque le bon docteur, est maîtrisée illico par deux ambulanciers costauds, embarquée, attachée, calmée par une injection qui la plonge dans le sommeil. Impression de jouer dans un film médiocre... scénario éculé… mais réalité pourtant...
Je suis secouée. Le médecin est indemne, Dieu merci ! Je culpabilise un peu… Est-ce à cause de moi qu’elle est gaga ? Je raconte en deux mots toute l’histoire.
– Tu n’y es pour rien, me rassure mon vieux docteur, je te tiendrai au courant de son état, file et prends soin de toi.
Prendre soin de moi… C’est ce que je décide de faire aussitôt. Cela m’apparaît comme un évidence. J’arrête le cinéma, je prends ma retraite, je vends tout et je reviens m’installer à Nice dans une maison avec des chiens et des chats. Je vais me lancer dans l’écriture, loin des paillettes et surtout, dans l’anonymat. Pour vivre heureux, vivons cachés, sera ma devise.
Et je raconterai mon histoire parce que ma vie, c’est du cinéma !
En cette année du centenaire des légendaires Studios de la Victorine à Nice, je suis devenue actrice ! C’est un signe, non ?
Je m’appelle Alice, j’ai 10 ans, jolie me dit-on, blonde bouclée, yeux verts. Je suis très bonne élève, surtout en écriture, j’adore les compositions françaises, je lis beaucoup, tous les livres qui me tombent sous la main. J’aime le dessin, mon père est peintre et je suis heureuse lorsque je m’installe dans mon coin en le regardant, se grattant la tête quand il doit retoucher une couleur ou un trait en particulier.
J’ai mon fidèle Lucky, ce griffon qui me comprend, me regarde souvent pour prévenir mes actions et m’indiquer les sons audibles pour une personne normale. Je suis malentendante. L’écriture et la peinture sont une évasion pour moi. J’ai une nouvelle passion ‘les claquettes’, c’est bon pour moi, les sons remontent en tapant les pieds avec les fers, je suis le tempo (comme Shirley Temple dans les années 1932-39).
Eloise, ma grande sœur, vient d’avoir son master et cherche du travail. Donc précipitation à Pôle emploi. Et là, c’est la découverte d’une annonce de casting. Dans le cadre d’un court métrage, la compagnie Chouette, recherche, des jeunes enfants âgés de 7 à 12 ans pour… Merci d’envoyer deux photos, une photo en pied… à l’adresse mail… demande dossier, nom, prénom, âge … tournage rémunéré.
Chiche… ?
Mon père est un peu dubitatif, mais il finit pas accepter et je me présente au casting accompagnée de ma famille. Ma candidature est retenue, mon handicap n’est pas un problème, je vais jouer le rôle de la fille de l’actrice Laëtitia MILOT. Laëtitia est très jolie, douce, elle m’a tout de suite adoptée, m’a traitée comme une jeune actrice sans handicap.
Passionnant de faire du cinéma ! Passionnant de voir l’intérieur de la vie et du travail des acteurs, d’assister au déroulement d’un film, de découvrir toutes les personnes qui s’occupent d’une production, le cadreur, les assistants, les maquilleurs, etc… C’est une ambiance fantastique, qui me laisse rêveuse… on n’imagine pas le travail que cela représente lorsque l’on s’installe tranquillement dans son siège au cinéma pour se faire plaisir à regarder son film.
Le synopsis de mon film ?
Laëtitia vit un divorce douloureux, son mari kidnappe leur fille…moi en l’occurrence...
La critique ?
Une révélation ! La jeune Alices’avèreêtre une merveilleuse libellule, un ange d’interprétation gestuelle, au regard attractif et révélateur, d’une complicité prenante. Une actrice est née …
Quand je vous disais que devenir actrice pour le centenaire des légendaires Studios de la Victorine, c’était un signe !
Après le tournage, le directeur de casting a proposé à mes parents de me faire poser pour des marques de vêtements de marques pour jeunes. Folle de joie, je danse d’excitation en faisant quelques pas de claquettes.
– Mais tu danses aussi ! C’est super ! Ça te dirait une comédie musicale ?
Comme quoi, un handicap n’est pas rédhibitoire et ne constitue pas un obstacle à une ambition artistique ou autre ; Sophie VOUZELAUD devient première dauphine de Miss France en 2007, Deanne BRAY, premier rôle dans la dans la série Sue Thomas, l’œil du FBI, Emmanuelle LABORIT, récompensée du Molière de la révélation théâtrale dans Les Enfants du silence en 1993, directrice de l’International Visual Théâtre. Toutes les trois aussi sont malentendantes.
Courage, persévérance, confiance en la vie…. et savoir écouter le langage des signes… 😉
Racontez le moment où vous entrez dans une salle de cinéma, vos sensations, vos voisins de fauteuil, l’attente du film, ce qui se passe dans la salle, etc.
Utilisez la description sensorielle, décortiquez l’instant.
OU :
C’est votre premier film nominé au Festival de Cannes, vous visez le prix de premier rôle féminin ou masculin ou le prix du second meilleur rôle.
Racontez vos impressions à votre arrivée dans l’ambiance du festival et votre montée des marches rouges.