Publié le 11 Janvier 2017

Quand je leur ai dit que je voulais partir pour voir la mer, ils ont tous essayé de me dissuader.

Ils m’ont répondu : Toi ! le montagnard !… au bord de la mer !… Avec ton caractère sauvage, tu es bien trop âpre pour ceux d’en bas. Ils sont doux, dociles, alanguis sur leurs plages. Tu vas t’ennuyer ferme ! Toi, tu es un roc, aussi minéral que les sommets du Mercantour.

 

Je ne les ai pas écoutés. Moi, j’en avais assez de la montagne, trop froide, trop rude.

Ils ont ajouté : Tous ceux qui, avant toi, sont descendus vers la mer ne sont jamais revenus. Elle les a peut-être engloutis ?... Certains disent qu’elle les transforme et qu’à fréquenter ceux d’en bas, ils finissent par leur ressembler. C’est ça que tu veux ? Abandonner l’alpage, la prairie, la roche grise pour cette mer traîtresse ?

 

Je ne les ai pas écoutés, je voulais la mer, le soleil, le farniente. Alors je suis parti au petit matin. Au loin une clarine a salué mon départ. J’étais heureux, j’ai fait quelques roulades dans la rosée de la prairie ; l’aventure commençait.

J’ai suivi le torrent. Il bondit en cascades joyeuses de rocher en rocher pendant que je dévale la pente. Quelques truites fusent parfois, troublant sa transparence. La descente est rapide, enfin je crois. J’ai perdu la notion du temps mais je garde le cap : la mer est au bout du chemin.

 

Bientôt, l’herbe rase d’altitude disparaît, de grands arbres feuillus la remplacent. La plaine s’ouvre devant moi, le tumulte devient murmure. L’eau ralentit dans la rivière tranquille. Moi, je me repose sur la rive. Là-haut, les miens m’observent, c’est sûr. Ils ne resteront pas éternellement accrochés aux cimes, j’en connais qui vacillent sur leurs certitudes ; ils ne tarderont pas à me rejoindre. Moi, je suis bien ici. Je suis resté longtemps dans la plaine. Plusieurs saisons peut-être… je ne sais plus. Je n’oublie pas la mer, non, mais je prends mon temps.

 

Un jour d’orage, l’eau m’appelle à nouveau, je repars. La rivière, enflée de pluie, déborde son lit. Je ne l’ai pas vue venir. Elle m’attrape, me projette contre un arbre que le vent a couché. Je suis resté empêtré dans ses branches, j’ai bien cru que j’allais y rester, mais j’ai réussi à me dégager et j’ai suivi son cours. Elle me montre la route. Elle devient de plus en plus large et moi, de plus en plus maigre au fil du voyage. Il me tarde d’arriver à présent, je décline, je décline...

 

Mon vœu est exaucé : l’horizon plat et bleu se dresse devant moi. La mer immense… peuplée de cris d’oiseaux, de poissons énormes et même d’anges, m’a-t-on dit...

J’ai plongé en elle avec allégresse, lui abandonnant ma substance, ma rudesse. J’y suis resté une éternité, roulé, malaxé, pétri par le remous, massé au sel de la vague. L’eau m’a rendu lisse, doux et rond. Finie, l’âpreté. Une fois ma transformation terminée, une lame m’a déposé sur la plage, parmi les autres, les vieilles roches alpines devenues les galets de Nice, comme moi.

Voir les commentaires

Rédigé par Mado

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

Repost0

Publié le 3 Janvier 2017

 

Vie antérieure, vie antérieure... Deux vocables chuchotés par une voix intérieure... antérieure ? Un souvenir ténu de ce que j'ai dû être... je ne sais pas trop... En tout cas, pas quelqu'un de célèbre, j'en suis sûre ! Plutôt une personne qui a traversé sa vie sans laisser de traces. C'est pour cela que j'ai des difficultés d'introspection. Patience, ça se précise...

 

Voilà : je suis Catarina, non, pas Catarina Segurane, non, Catarina, fille d'Italie, pauvre d'entre les pauvres. Quand j'étais enfant, je travaillais pour aider mes parents à gagner quatre sous, je ne suis pas allée à l'école. Je ne sais ni lire, ni écrire. Je suis une mondina. Je travaille dans les rizières avec d'autres. Des journées entières, l'eau jusqu'aux genoux, pieds nus, le dos plié, noué de fatigue. Pour éviter les piqûres d'insectes, les brûlures d'un soleil trop dur, je cache tête et cou sous un foulard et un chapeau à large bord. Chaleur, labeur pénible, exploitée, peu payée... un jour j'en ai eu assez. Avec les copines, on s'est regroupées en ligue contre les patrons. On s'est battues pour nos droits, pour une vie décente et on a gagné ! C'était en 1906...1909... je ne sais plus.

Catarina se fond dans la rizière et déjà un autre visage surgit : celui de Victor.

 

C'est vrai, j'ai été Victor aussi – Oh ! Étonnante cette voix grave, cela surprend... Je vis dans cette ville que l'on dit phocéenne, que j'adore, que je connais par cœur ! Je pensais y rester pour toujours, pourtant je suis parti en 1791 - deux ans après la prise de la Bastille de 89, vous vous souvenez ? - j'ai quitté la Provence à l'appel de la Patrie. On était tout un bataillon, avec des fourches, des bâtons. On a traversé la France. On a investi les Tuileries, capturé le roi. Ce jour-là, j'ai vu naître la République. On chantait ce chant superbe de Rouget de Lisle, le Chant de guerre de l'Armée du Rhin. On le chantait de toute notre ferveur. On le chantait tout le temps. À force de nous entendre, les Parisiens l'ont rebaptisé la Marseillaise… et Victor disparaît dans un lointain tout flou pour laisser apparaître Antonia.

 

Antonia, drapée dans sa toge antique raconte : j'ai une vie agréable, confortable, auprès de ce riche époux, négociant en huile. Nous possédons une villa sur la colline, entourée d'oliviers, dans la ville de Cemenelum. Elle est bien située, rien n'accroche le regard. Il coule sans heurts sur le paysage : d'abord, juste au-dessous de nous, sur la ville, puis sur les vignes, les prés, les cultures, et plus bas, au loin, sur le rivage, sur Nikaïa qui accueille les barques des pêcheurs. Ensuite, il ne rencontre que du bleu jusqu'à l'horizon, du bleu partout. Et du soleil. La villa est parfaite pour inviter, conclure des affaires. Nous recevons des personnes de haut rang pour des fêtes privées très prisées. Lyre, cithare, repas raffiné, c'est le festin des sens. Nos esclaves, bien traités, nous sont fidèles ; ils assurent un service sans défaut. Que la vie est douce dans ce beau pays !

Je vais parfois assister à des spectacles dans l’arène. J'ai une place réservée, je fais partie des notables de la cité. Ici, ce sont des jeux, mais à Rome, après les gladiateurs, j’ai vu les chrétiens contre les lions. Plutôt cruel, j'en conviens. Ils le cherchent aussi, avec leur Dieu unique ! Jupiter, Saturne, Vénus et tous les autres n'approuvent pas cette nouvelle religion. J'ai peur qu'ils ne soient très en colère. Et la colère de Jupiter, avec sa foudre et ses éclairs, cause des ravages terribles dans nos oliviers. Alors, dans les grandes arènes, les lions dévorent les chrétiens. Pour que Jupiter, Saturne, Vénus et tous les autres continuent à briller au ciel de la nuit.

 

La nuit... La nuit dissout Antonia, ne laisse que les astres. Seule dans le silence, plurielle dans la conscience, je reviens d'un voyage étourdissant. Là-haut, Jupiter, Saturne, Vénus et tous les autres scintillent, et les étoiles balisent les routes perdues…

 

Madeleine Cafedjian

Voir les commentaires

Repost0

Publié le 1 Janvier 2017

Sur le thème LES ANIMAUX, le narrateur et le point de vue...

SUJET D'ÉCRITURE :

Par une volonté divine ou par la magie de l'écriture, vous venez de vous réincarner en animal. Choisissez l'animal que vous voulez, et partez à la découverte de son environnement. Vos sens en alerte captent tout ce qui se passe autour de vous. Soyez à leur écoute, racontez vos sensations. Peut-être certains sens sont plus développés que d'autres, selon l'animal que vous êtes devenu...

Imaginez, inventez une histoire, ou bien racontez juste l'exploration de votre nouveau lieu de vie et votre relation aux choses qui vous entourent.

 

***

MOI LE SINGE

 

Je n’y croyais pas et pourtant ! Me voici réincarné en singe ! Tant mieux ! Il paraît qu’on est en voie d’extinction alors un singe de plus est le bienvenu !

Je suis perché au sommet de cet arbre à larges feuilles, bruissantes d’arômes appétissants. Odeurs sucrées, portées par la brise, qui me font saliver. Je hume par ici, par là-bas, par là ! C’est de là que ça vient !

Je m’approche avec précaution, la branche ploie, un craquement léger accompagne son balancement ; instinctivement mes pieds se cramponnent de tous leurs doigts préhenseurs.

La grande feuille luit sous le soleil, gondole doucement, comme une vague de verdure. Je me hasarde à la caresser, ravi de la sentir si lisse et soyeuse sous ma main. Ma main ! Rugueuse, faite de cuir et de poils, aux ongles de corne noire. Je suis un singe... et j’ai faim ! L’exhalaison entêtante de fruits très mûrs s’exacerbe, me pénètre, pulvérise ma prudence. Je plonge sous la lame verte.

Là, un magnifique régime me tend ses bananes. Mes papilles s’électrisent, ma salive dégouline ; mes doigts enserre la banane moelleuse, promesse de festin, quand un cri strident me percute et me fige.

Une guenon énervée se dresse devant moi, gueule en soprano cacophonique. Aurai-je fait une bourde ? Je tente un gémissement contrit qui l’émeut apparemment, car elle vient s’asseoir auprès de moi. La chaleur de son corps contre le le mien, son odeur sauvage de tanière, de tribu, me bouleverse. Elle me sourit, babines retroussées. L’orgie peut commencer ! Ensemble, nous dégustons ce merveilleux repas végétarien et cent pour cent bio à grands renforts de grognements satisfaits, éructations libératrices, savourant le fruit pâteux qui s’écrase sous le palais avant de diffuser sa singulière saveur. Rien que du bonheur, vous dis-je !

Voir les commentaires

Publié dans #Les animaux

Repost0