La maison des « Muettes »

Publié le 23 Octobre 2025

Chaque année, pour les vacances de la Toussaint, nous partions dans les Alpes de Haute Provence où mes parents possédaient une maison. Celle-ci était située tout en haut du village. Pour y accéder on devait emprunter une ruelle en pente et passer obligatoirement devant la maison « des muettes » dont la réputation n’était plus à faire. Ces deux sœurs, éternellement vêtues de noir, vivaient en recluses dans leur maison. Elles ne parlaient à personne et quand par hasard on les croisait on les entendait marmonner des paroles inintelligibles. Leur maison était une grande bâtisse austère aves un grand porche abritant une porte en bois. Les fenêtres étaient occultées par des rideaux de velours rouges, été comme hiver. Malgré la peur qu’elle m’inspirait je rêvais de la visiter. Et cette année là l’occasion allait se présenter.

31 octobre 1961. En rentrant de promenade aujourd’hui je croise les Muettes qui se rendent dans leur jardin. Comme d’habitude elles m’ignorent et pressent le pas. Quand j’arrive devant leur maison, surprise ! Elles ont laissé la porte d’entrée entrouverte. La tentation est trop forte, impossible d’y résister. Après m’être assurée que personne n’arrive je pénètre dans la maison sur la pointe des pieds. A peine à l’intérieur, une odeur âcre me saisit à la gorge et me coupe la respiration. Je pénètre dans la première pièce qui doit être la cuisine. Sur le poêle à bois qui ronronne doucement, un vieux chaudron en fonte laisse échapper une fumée légèrement bleutée. Au milieu de la pièce, sur une table bancale, je vois une série d’objets hétéroclites : tubes en verre aux contenus étranges ou colorés, récipient contenant des herbes fraîchement ramassées, grand livre aux pages jaunies et cornées, cristaux bleus, rouges ou violets et enfin une grande variété de courges. C’est ici sans aucun doute que les muettes fabriquent leur breuvage ou leurs recettes maléfiques. Un frisson me traverse l’échine et je m’empresse de quitter cette pièce. La suivante est sensée être une chambre mais quelle chambre ! Des bougies, posées sur une commode vermoulue, éclairent la pièce d’une lumière tremblotante et projettent sur le mur des ombres inquiétantes. Le lit occupe le fond de la chambre. Sur l’édredon en laine un chat noir fait semblant de dormir. Mais ses yeux dorés, à demi fermés, suivent chacun de mes mouvements. Il semble prêt à bondir. Dans un coin de la pièce, sur un porte-manteau sont accrochés deux capes noires et deux chapeaux pointus. Mes doutes deviennent une certitude : les muettes sont des sorcières qui préparent en secret des potions magiques. Si elles reviennent et me trouvent là je connaitrai le même sort qu’Hansel et Gretel. J’ai soudain très froid même si la sueur perle à mon front. Je fais demi-tour et sort de la maison en courant comme si j’avais le diable à mes trousses…

Je n’ai jamais osé parler de mon escapade à qui que ce soit. C’était mon secret. Mais aujourd’hui, après toutes ces années passées, je me demande parfois si je n’ai pas rêvé…

Élisabeth 

Rédigé par Elisabeth

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article