Abracadabrant
Publié le 22 Octobre 2025
« Ne t’aventure surtout pas près de la vieille maison au bout du chemin ! Elle est hantée par de mauvais esprits ! » me disait ma grand-mère quand j’étais enfant. Je n’ai jamais bien compris ce qui lui faisait tant peur. J’avais seulement cru percevoir quelques mots peu rassurants prononcés par les anciens du village assis sur le banc près de l’église : « sorcière », « magie noire », « crapauds »… C’était suffisant pour que je ne m’attarde pas du côté de la vieille chaumière. Je n’ai jamais vu qui que ce soit y entrer ou en sortir. Elle devait effectivement cacher un mystérieux secret cette maison abandonnée.
En cette fin d’après-midi du trente et un octobre, les jeunes du village s’apprêtent à fêter Halloween. Il fait frais, le jour décline vite, je presse le pas sur le chemin qui me ramène, comme chaque veille de Toussaint, dans ce coin de campagne où se dresse encore la maison familiale qui tristement n’abrite plus personne aujourd’hui. Distraitement, en passant, je jette un coup d’œil vers la vieille maison de pierres que j’ai toujours évitée suivant sagement le conseil de ma grand-mère.
Surprise, je reste figée sur place. Une fumée grise s’échappe de la cheminée. Pourtant je n’ai pas été informée que la mystérieuse maison était enfin occupée. Personne dans les alentours, pas de voitures non plus. Les villageois sont concentrés sur la place centrale. Le soir s’installe, mon ombre s’allonge. Je suis seule sur ce chemin. Une chouette toute proche fait entendre un ululement régulier et glacial.
C’est étrange … Emportée par l’envie d’en savoir plus, je m’approche, la porte d’entrée est entrebâillée, une faible lueur rougeâtre vacille derrière la petite fenêtre du rez de chaussée. Je risque un pas de plus. Désolée grand-mère, la curiosité est plus forte que la peur. Par la porte entrouverte s’échappe un effluve acide, pimenté, douteux qui vient heurter mes narines déjà gelées. Par politesse je donne trois petits coups à la porte. Pas de réponse. Aucun bruit humain à l’intérieur, seulement le crépitement de quelques buches qui se consument dans le foyer de la cuisinière à bois. Silencieusement mon regard parcourt l’intérieur de la pièce. Le mobilier est sobre, une table bancale, une vielle chaise en paille sur laquelle est posé un superbe chapeau noir et pointu. Sur la cuisinière rustique une vieille marmite chauffe, sans doute y mijote une soupe sans nom qui dégage cette odeur acre que j’ai sentie en entrant. Appuyé contre le mur un balai géant et à côté une paire de gros souliers en mauvais état. Serait-ce la Befana qui loge ici ? Derrière moi, dans la cuisinière, le brasier vient de s’intensifier, de nouvelles buches s’embrasent, les flammes s‘emballent, le crépitement redouble, pourtant je suis seule dans la pièce. Tout cela est bien étrange, il vaut mieux que je parte.
Mais je n’ai pas refermé la porte derrière moi en entrant. Un bruissement d’ailes me fait tourner la tête. Trois chauves-souris commencent un ballet autour de mes cheveux.
Cette fois s’en est trop. Sauve qui peut ! Fuyons ! Trop tard ! Un coup de vent soudain fait claquer la porte. Un bruit métallique de clé dans la serrure vient compléter cette scène effrayante. Je remarque alors que le balai, le chapeau et les vieux souliers ont disparu. Seule issue possible, la fenêtre ! Je m’apprête à l’ouvrir quand j’aperçois dans le ciel noir une forme humaine, à califourchon sur le balai, un chapeau pointu sur la tête, de vieux souliers cassés aux pieds, qui me fait un signe de la main en éclatant d’un rire tonitruant.
Mireille
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