Planète à louer
Publié le 15 Février 2025
Après maints remaniements elle était enfin prête et cherchait ses futurs occupants.
Ses consœurs aussi mais pour trouver acquéreur il fallait un plus. Elle l'avait : l'eau courante, stagnante, mouvante.
Cet attribut lui valut le surnom résidentiel de Planète Bleue, à l'instar des chambres dans un château où la décoration impose indissociablement à l'espace sa couleur.
Le maître des lieux avait ainsi attribué un nom à chacune de ses créations, planète rouge, ocre, marron, jaune...
Livrable clés en mains elle n'attendait à présent que ses locataires.
Le propriétaire, peu regardant dans sa hâte de louer sept jours après les finitions, l'attribua à une créature postulante à qui il voulu donner sa chance.
L' état des lieux établi et le bail signé sans aucune clause quant à d'éventuels remaniements (grand mal lui en a pris...), M. Homme, ainsi se nommait-il, s'installa.
Malgré de gros travaux déjà effectués et offrant un parfait cadre de vie, M. H. eut la prétention d'y mettre sa patte, et sans quérir de quelconques autorisations, abattait, construisait, exploitait ce bien qui ne lui appartenait pas, ne bénéficiant que de l'usufruit.
Le maître des lieux n'ayant aucun recours, vu la négligence qui fut la sienne, observait, désolé, son bien aller en perdition.
Alors il eut l'idée géniale de priver son locataire d'un confort dont il n'aurait à répondre devant aucun tribunal terrestre : il ferma les vannes du Gulf Stream, cette climatisation naturelle qui réchauffait les courants froids et rafraichissait les courants chauds favorisant même des micro climats à certains étages.
Comme dit la chanson, on gela au sud et on sua au nord, le monde avait la tête à l'envers.
Côté maturité : potager, verger, vigne... il avait tout aménagé à son arrivée selon l'exposition de son étoile chauffante, bénéficiant ainsi des bienfaits de celle-ci.
Côté fraîcheur : banquise congélatrice, bac à saumure, vivier, réserve forestière pour gibier et bois..., assuré par peu ou pas de présence solaire.
Toute une organisation fonctionnelle (salon d'été, salon d'hiver), issue de ses capacités d'adaptation, devenues habitudes de vie.
Mais la perte considérable de températures adéquates, suite à la mise hors service du régulateur, occasionna érosion de la façade, fissures, fuites, inondations, courants d'air violents : l'édifice s’ébranlait.
Survivance, existence, activités, tout s'en trouva changé. Dorénavant, il fallait repenser les espaces de vie, s'adapter : grelotter au lieu de suer, jeûner au lieu de ripailler, cuisiner exotique au lieu de local. Ainsi le breton troqua-il son chapeau rond contre une chapka, ses crêpes contre de la viande de renne, sa chaumière à caractère contre une cabane de bois.
Certes ce n'était pas le premier bouleversement alternant ères glaciaires et interglaciaires mais les précédents avaient eu lieu lors des grands chantiers et ne portèrent donc préjudice à aucune vie humaine.
Nonobstant, le maître de maison maintint sa décision ; cette action serait irréversible, il le savait : M.H. s'adapterait (il sait faire jouer son intelligence lorsque sa survie est en jeu...); Monsieur H. comprit donc mais un peu tard où l'avait mené ses ambitions démesurées.
Petit homme du microcosme, il y a toujours plus grand que toi !
Mais les animaux en seraient à nouveau ses victimes, cette fois non directement sous son joug mais indirectement par ses actes.
Voyant en quelques décennies les ravages de cette décision et afin de "sauver les meubles", le propriétaire décida de construire une nouvelle résidence, l'Arche de Noé, d'où serait exclu ce locataire indésirable puisque cette structure n'accueillerait - cf le règlement intérieur - que créatures à 4 pattes ou plus, ailées, à nageoires... tout sauf bipèdes ; qu'à cela ne tienne, celui-ci comptait déjà se faire squatteur des planètes inhabitées du maître des lieux ; sauf que, d'ici-là, bien de l'eau coulerait sous les ponts avant qu'il ne s'y installa !
Mais ça c'est une autre histoire...