Le Stradivarius
Publié le 1 Décembre 2024
L’ambiance de la voiture restaurant était au beau fixe. Un calme de bon aloi accompagnait la satisfaction des convives dégustant les œuvres du Chef Français défilant dans leurs assiettes. Le service feutré des serveurs était à l’image des lieux. Ils semblaient nager sur une mer de cristal et d’argent, attentifs au moindre désir de ces privilégiés qu’ils allaient servir pendant plusieurs jours. Quelques petits rires étouffés, çà et là, humanisaient, quelque peu, le comportement guindé de cette assemblée.
A leur table, Marc et Joséphine s’appliquaient à faire connaissance en buvant du champagne.
- Savez vous, Marc, que ma mère est Française comme vous et que je suis Espagnole par mon père ?
- Étonnant ! Et si je vous disais que ma mère est Espagnole et que je suis Français par mon père, qu’en penseriez vous ?
- Je dirais que vous vous moquez et qu’il est temps d’aller se reposer. Je vous souhaite une bonne nuit.
- Vous avez raison...Disons à demain, au petit déjeuner ?
- Peut-être bien que oui... Peut-être bien que non.
- C’est votre côté Normand qui se manifeste ?
- Veuillez vous taire vilain garçon et raccompagnez moi à ma cabine.
Attablé, avec devant lui un café délicieusement aromatisé, Marc se posait des questions quant au comportement matinal de son voisin de table. Celui-ci, après un bref salut, regardait sans cesse autour de lui et semblait attendre quelque chose. Ses traits tirés dénonçaient une nuit blanche. Un membre du personnel s’approcha et murmura à son oreille. Il se leva précipitamment et le suivi.
Bizarre, pensa t-il. Une mauvaise nouvelle sans doute ou…
- Déjà levé ? Ne me dites pas que vous êtes en train de travailler. Je crois plutôt que vous êtes perdu dans des pensées inavouables. Dites moi tout ! Et il se pourrait que je vous pardonne.
- Bonjour Joséphine. J’espère que vous avez passé une nuit délicieuse. Vous semblez pleine d’énergie, et ma foi, cela vous va très bien.
- Seriez vous un flatteur du Dimanche ?
- Nous sommes Samedi, chère Joséphine. Désolé d’avoir à vous le rappeler… Mais connaissez vous le nom de notre voisin ?
- Oui. Il s’agit d’un grand chef d’orchestre et non moins grand violoniste, mondialement connu. Vieille noblesse Vénitienne. Grande classe et...Bel homme. Divorcé, ce qui ne gâche rien. Il s’appelle Marco Morassi.
- Bravo ! J’ai bien fait de m’adresser à vous. Il semblerait qu’il soit dans votre collimateur. Toujours est-il qu’il avait l’air extrêmement soucieux ce matin… Avez vous remarqué que le personnel est nerveux. Leurs yeux vont et viennent dans tous les sens. Je veux en avoir le cœur net. Vous en profiterez pour commander votre petit déjeuner.
Effectivement la valse chaloupée de la veille s’était transformée en un va et vient chaotique qui ne présageait rien de bon. Marc se décida à appeler un serveur :
- S’il vous plaît…
- Oui monsieur .
- Quel est le motif de cette effervescence ?
- Oh monsieur, un fait inhabituel qui ne saurait, en aucun cas, rompre la quiétude de votre voyage. Soyez rassuré.
- Mais encore... Allons mon voisin a quitté sa table comme si la foudre l’avait frappé.
- C’est que le Maestro Morassi est parti vérifier une mauvaise nouvelle à la voiture administrative...Et
- ET ??
- Il se trouve que c’est là bas que sont consignés les objets précieux que les passagers confient à la compagnie.
- Quel est votre nom ?
- Gaspard Monsieur, pour vous servir.
- Bien Gaspard ! Allez droit au but et finissez vos phrases, que l’on finisse par comprendre ce qui se passe ici.
Pris dans une impasse morale, Gaspard se pencha vers Marc et chuchota à son oreille :
- Le Stradivarius du Maestro a disparu !
- Le stradivarius ?
Marc et Joséphine échangèrent un sourire gourmand. Voilà un événement qui allait enjoliver la monotonie de la promenade.
- Votre avis Joséphine ?
- Comme le vôtre Marc.
- Ne m’a-t-on pas dit qu’un certain légume voyageait avec nous ?
- Si fait mon cher. Un nommé POIROT !