Un atelier d'écriture, des thèmes variés, les textes des membres de l'atelier.
Marie-Thérèse
Publié le 5 Décembre 2024
Le Personnage littéraire : Jean-Baptiste Noël
Cinquantaine, citoyen exemplaire vacant mais artiste à plein temps
Origine cosmopolite d'Europe, de physique plutôt sympa, subtilement élégant quoique sobre et discret
Comme il est très doué, il a gagné une grosse somme au jeu...et...et donc a choisi le Simplon-Express pour écluser royalement ce pognon de plaisir !
Il choisit le luxueux Simplon Orient-Express qui signe aujourd'hui même la fin d'un rêve ou d'un mythe en vendant ses voitures aux compagnies Monégasques, au Maroc, en Suisse ou à Londres......
Ce Baptiste là, très sensible et réceptif reçoit cinq sur cinq les atomes infinis de ce monde fini, luxe qu'il tient à goûter en amateur gourmet...
_______________
Orient Express
Deux marches atteintes ; avec une série de secousses le convoi s'ébranle, deux hommes à la fenêtre regardent le quai interminable filer dans les lumières diluées. L'Orient-Express venait d'entamer son long voyage de trois jours à travers l'Europe...
Jean-Baptiste s'engouffre dans le couloir, trouve sa chambre et s'installe dans son espace élégant minimal fonctionnel ; il proclame pour lui tout seul :
Le luxe ça me botte !!!
Il n'y a plus qu'à se fondre dans la nuit douce-amère afin de voir-venir ; là-dessus ayant sommeil il s'endort.
Alors il reçoit la visite de Arlberg son alter-ego un faune merveilleux habillé d'argent ; celui-ci le titille du bout de sa flûte et Baptiste en frissonne... Vautré de toute son envergure sur le velours rouge du divan Arlberg irradie une lumière léthargique, il observe longuement son dormeur et d' un charme confondu tous deux voguent paresseusement jusqu'aux confins des temps lointains de Carthage ensevelie.
Dans ce regard unique de noyé se dessine paresseusement en mirage, la vibration d'un convoi, un convoi d'éléphants, ces géants impitoyables qui, en passant, écrasent systématiquement des barbares, des bataillons de mercenaires, leurs boucliers en cuir d'hippopotame, leurs chevaux et leurs gens, qui en passant anéantissent insondables et inaccessibles aux fragrances du jasmin mêlées aux émanations des corps décomposés sous l’œil fixe du soleil ; accompagnés en cela par les hurlements déchirants de femmes éventrées d'enfants ensanglantés sous les rapaces criards. Le temps suspendu file à l'allure doucement rythmée du train.... insensé... si chargé... de soupirs et d'histoires... Telle une braise Arlberg en extase s'illumine et...
Cependant, embêté par quelques mouches échappées du contingent, Baptiste grimace un bâillement digne d'un faune et son œil larmoyant goutte, il en frissonne tout du long ; Arlberg a disparu du réseau le laissant entièrement nu mais enrichi d' une moustache souriante et d' un petit bouc tressé d'argent sur le menton. Sur la table de chevet ceci : une salière en cristal ciselé bouchonné d'or l'informe de son passage odorant
Orient Express - la suite
….Je peux interrompre la course de la terre.... J'ai fait partir les voitures bleues ...je peux,... je... suis... Jim... Morrison...
...Baptiste fait une toilette puis se contemple dans le miroir: sa bonne coupe de cheveux se passe de brosse mais il manque quelque chose non?...
Le peignoir aux armoiries de la compagnie sur le dos il inspecte la penderie, les tiroirs où son linge est rangé ; toutefois c'est Arlberg qui s'est occupé du bagage et le coquin eh ben il n'en fait toujours qu'à son bouc...
Mais c'est pas banal, c'est pas mal du tout, sympa!!!............C'est comme ça-aa que je t'aimêêêuuu
La chemise soie beige, col Carl, manchettes fermées sur deux gouttes d'or, lavallière parme et petit gilet à carreaux couleur chocolat rehaussé d'un frisson de dentelles, des pantalons clairs ajustés, à pattes d'éléphant soulignent la minceur des hanches et l'ensemble se tient sur des richelieus brillants, un trench-coat beige léger, large col, revers et doublure de teinte puce,... un soupçon de vétiver sur son trait de moustache souligne un personnage convenable,… Baptiste peut sortir prendre l'air
A vous l'aventure, Sigmund, je vous suis
Vienne sans doute? Dehors les vaches tachent le vert et dans le bleu du ciel tout se délite en une exquise confusion futuriste selon la marche rapide ou ralentie du convoi ; dans le couloir l'esprit enchanté de Baptiste bondit en louvoyant pour se concrétiser sur la moquette du salon-wagon beige soutaché de motifs grenat dont les lignes harmonieuses accrochent l’œil du sol jusqu'au plafond luminescent, enveloppent les cuivres, l'acajou du mobilier, le cristal des lustres, les rideaux somptueux en bourrette de soie, les moquettes épaisses et les personnages en grande tenue... tout ça dans un ralenti de pointilliste qu' effleure une trace d' Eyleen Gray. Un moment il contemple la scène d'un chic de photographe, puis s'installe dans l'un des fauteuils-club épars çà et là entre guéridons, dressoirs et autres confidents ou bergères...Des gens élégants en représentation, suivent un rituel très codifié en se laissant observer, détailler, noter, décortiquer, évaluer, soupeser, jauger au poids d'or pendu là où il peut l'être ...Des mains légères virevoltent des rires en cascade s'égrainent dans l'air ambiant qu' un jazz en sourdine conduit absorbé dans la vapeur odorante du brûle-parfum ; des regards se perdent ou s'animent se confondent inconnus encore ils se découvrent à l'aune d'une boisson offerte dans un cristal plus que parfait...Baptiste, mangeur d'âmes a perçu dans son champ visuel l'aura d'une silhouette; ahhh... Ce profil en proue, cette mèche solaire au bout de laquelle la main gantée exalte nonchalante le dessin d' une arabesque , la dame tel un étendard Mondrian d'où émergeraient deux fuseaux gainés s'identifie à l'instant sur deux escarpins ensanglantés, cette dame est posée là dans l'ottomane tel un grand navire qui semble caboter ou chavirer au rythme sourd de la musique... voilà Baptiste se disant :
Bon dieu serait-ce Madame André Putman? peut-être a-t'elle collaboré aux décors des lieux? Elle doit avoir la cinquantaine superbe j'en constate l'autorité et suis confondu...Je veux l'aller voir, la saluer...Elle est seule... car sa jeune camériste est partie sans doute lui chercher un foulard... ah mais voilà la fille qui revient, la dame se tourne un peu :
- Jeanne! vous en mettez du temps!
Et... non... ce n'est pas Andrée Putman...Quel dommage! autant pour moi, j'en souris un rien frustré néanmoins!
De droite à gauche Baptiste soupire et finit par se lever; il repère le steward, lui commande un grand tomate-céleri bien tassé susceptible de ramener ses esprits vagabonds; passent les Triplettes de Belleville??? mais non Baptiste ce sont les Pieds Nickelés s'incarnant là devant et qui te jettent en odeur d'enfance... tu éclusais alors chez ton oncle la pile de BD en attendant l'heure ...Epatant non ?
Wagon-restaurant
L'invitation à dîner mène Jean-Baptiste au wagon-restaurant. Entre temps le voilà coincé dans le couloir par l'afflux de voyageurs qui tous convergent dans cette direction ; il se trouve pressé contre une jeune personne au regard pétillant, un peu gêné Baptiste bredouille son excuse en deux mots :
-J -Baptiste Noël, pardonnez cette maladresse, à qui ai-je l'honneur ?
- Mademoiselle Marie-Judith Dupin.
- Eh bien, peut-être à bientôt mademoiselle...
Baptiste caresse son bouc l’œil rivé sur le futur qui défile derrière la vitre vert de bleu lignés de noir de rouge et sa pensée se déroule... Davos- concert techno- '' the Belleville Three '' une possibilité !! soupèse-t-il ; A R LGRRR... j'ai oublié mes verres dans la chambre c'est tant pis on est un peu flouté mais après tout...C'est drôle !!! ...Un couple s'installe à sa table.
Puis le trio '' QQQ '' fait une entrée fracassante dans cet espace feutré où tout n'est que beauté, luxe calme et volupté.
Baptiste les perçoit plutôt qu'il ne les voit ; il n'a pas ses lunettes et ce n'est pas Arlberg qui les ramènera ! Voilà le célèbre Trio je suppose dans l'incognito absolu que confère leur apparence, se déplaçant comme un seul homme ; tout de rouge vêtu, il sillonne l'espace en solitaire élastique tel un chewing-gum géant ou un accordéon serré sur sa banquette qui menace de s'éployer ; quelques touches d'or se baladent au niveau des oreilles dans une corpulence de matière rose et grasse terminée par les doigts annelés d' or et d'argent et du rouge, du rouge qui bouge qui bouge en cadence dans une synchronisation consommée sur le blanc immaculé de la nappe faisant fi du somptueux décor qui disparaît dans les ombres du bien pensant ! Gargantuesque. Il voyage en solitaire nul ne l'oblige à se taire. L'important c'est la transparence semble suggérer '' Le Trio QQQ ''
Baptiste, gentilhomme sans afféterie aucune, se confond en mondanités sucrées auprès de ses partenaires de table sans perdre de vue l'aura magnétique de son trio musical. Il faut que je leur demande discrètement s'ils présentent ainsi le '' n°57 des pieds nickelés en voyage '' en toute discrétion n'est-ce pas ?!!
A table une conversation très polie s'engage entre nous trois, attablés devant une assiette de sauce verte agrémentée d'une queue de langouste...
Là-bas la masse rouge cliquette fourche et couteau en rythme endiablé dans le souffle précis des succions et bruits modulés en gorge ponctués de rots synchro gauche droite tempo régulier d'une mastication mesurée, rompue par une lampée puissante d'une note de champagne avec déglutissements à la clé, reniflements de satisfaction appuyés par la tonitruante trompette nasale qui clôt l' intermède sonore de musique concrète d' une rêvalité déconcertante.
J'avais idée d'aller entendre le concert techno Belleville mais le trio QQQ comble mes attentes, mes neurones vidangés par la finesse acoustique de la performance.
Baptiste, soulagé de ces débordements sensoriels offre à ses partenaires de bouche un sourire goguenard tout en s'interrogeant : Feraient-ils partie des gens du K J B I ? il faut avouer que les QQQ en costume écarlate ont du chien et de la transparence, ils me tiennent en alerte ma foi, ce sont pour le moins des vrais représentants des '' Arts du Bruit '' développés par l'élan futuriste d'une époque révolue, mais je crois bien être le seul à apprécier le break et la qualité sonore de la prestation.
- Mais oui chère Médèèème, je descends à Vienne rejoindre un ami très cher en Tchéquie du sud nous avons programmé la visite de ruines et châteaux du XIe siècle jusqu' à Budapest ; en sourdine des mots ou des notes s'échappent de mes lèvres car je n'entends plus mes voisins de table, le rouge ayant envahi mon espace en une fournaise bruissante, me voilà parti en vrille...pour l'heure.
Le vol du Stradivarius
Pour Baptiste le concert de Full Métal Jo pour 10 couverts en argent vient de s'achever en triomphe...
Un fumet camphré de cardamome s'insinue voluptueusement dans l'air ambiant et remet éléments et atomes à leur vraie place.
Le café turc servi avec ses loukoums ajoute une note à la satisfaction générale des convives !
Baptiste se lève et salue ses compagnons pour retrouver sa cabine où une sieste réparatrice viendra réconcilier son oreille avec ses cristaux personnels. Il est réveillé par un remue-ménage intense où se mêlent vociférations et aboiements de toutes sortes, un peu groggy il consulte Arlberg qui lui susurre :
- On a volé le violon Stradivarius du chef d'orchestre Marco Morassi ; pour ma part chéri je me contente des salières pour le sel de la vie alors...
En toute conscience, se dit Baptiste-Jean, m'ennuyant de la vie c'est ce que je ferais : je volerais ce putain de violon antique et prétentieux et le glisserais dans les bras vigoureux du QQQ pour qu'ils en raniment l'âme.
...Non-non.. il y a aussi la possibilité intelligente des performeurs de rapetisser le violon jusque dans l'étui à lunettes de cette façon ni vu ni connu je t'embrouille...
...Non-non... le chef d'orchestre mène tout le monde à la baguette, il se marre et soulève un tollé du jamais vu car il n'y a pas de stradivarius dans le train et c'est une arnaque aux assurances rondement menée sur un public un peu trop rassasié de loukoums...AH...AH
Cependant cachons nos jolies salières en argent-cristal qui commencent à s'accumuler par la faute de ce bouc un peu ouf car,
Une fouille nous pend au nez.
Hercule Poirot et les mots bleus
Chemise beige rehaussée d'un gilet vert de vessie, un foulard de soie noire caresse la pointe parfaite de son petit bouc. Il ouvre sa porte aux autorités locales.
Monsieur Baptiste-Jean Noël, dit le chef d'équipage.
Jean-Noël le Baptiste c'est cela-même.
Voilà l'éminent détective Monsieur Hercule Poirot qui vient nous aider dans la résolution de l'affaire du Stradivarius. Excusez notre intrusion mais elle est générale, vous comprendrez !
Monsieuuuur... dit l'éminence, j'apprends que vous jouez... Aux cartes ??? hummm...qui quand comment où et pourquoi...Quelles sortes de jeux ?
Non non, vous êtes mal renseigné, je suis un joueur de mots !
Comment ce-fait-ce?
Cela se peut pourtant !
Quelles sortes de mots ?
Des mots passants et mots de passes démodés du solitaire monte à l'envers du mot à l'endroit ; à compte de mots, celui du jour : je lui dirais des mots bleus, des mots qu'on dit avec les yeux, tous les mots bleus... tous les mots bleus..........
Ceci dit, on fouille des yeux coins et recoins, mine de rien, puis le petit bonhomme à moustache de cire absorbée, dans l'impassibilité d'une énigme en cours, pontifie :
Et tous ces mots, mon bon, où les entassez-vous ?
Sur la table, tout seul, l'étui à lunettes rayonne et regarde Baptiste.
Là-dedans, ils sont là-dedans.
Ou-Vrez, dit Son Excellence.
Baptiste obtempère et l'étui, bouche bée, lui délivre son velours rouge fuchsia en un éclat révélateur.
Les mots, où sont les Mots- les- MOTS ??? hurle Hercule au bord de l'apoplexie.
Ils se seraient échappés dans un murmure...
Cette rencontre est singulière, merci mon cher !
...Une rencontre... une rencontre ...Ici tous les mots bleus entrent en gare et les autorités courent après le violon !
Jean-Baptiste descend à Prague
Un dernier verre au wagon-salon avant de descendre à Prague où je rejoins Justine et Balthazar. Nous avons l'intention de pousser jusqu'au sud du pays pour tenter de visiter un ou deux châteaux parmi la trentaine de monuments médiévaux...
Je repense à ces trois jours d'enchanteresse agitation pour ma part... et bien sûr, il faut résumer les derniers moments accordés au vol d'un violon qui a mis le convoi en effervescence ! L'affaire a été résolue, le violon retrouvé dans la soute à charbon, un jugement a été prononcé sur un passager coupable et son acolyte le conducteur de train... Enfin tout ça recouvre une affaire beaucoup plus grosse mais ça m'ennuie de fouiller là-dedans.
Tout de même, je reste perplexe sur cette affaire, se dit Jean-Baptiste ; il reste 696 Stradivarius de par le monde; qui possède ce genre de bijou ?
Un professionnel mondialement reconnu ?
Un amoureux fou ?
Un antiquaire ou un entiché de vieilleries célèbres ?
Quoi, le propriétaire d'un tel objet-bijou doit bien cacher une empreinte secrète que seule l'IRM ou le DOPPLER seraient aptes à mettre au jour.... bref je n'y connais rien de rien, dit Baptiste.
Vrai ou faux, authentique ou factice, cette qualité d'instrument doit coûter une blinde.
... Bien des émotions en somme : le sel de la vie.