L’ombre du passé
Publié le 5 Décembre 2024
Marco Morassi, né le 1er Novembre 1937 à Venise, Italie.
Fils d’ Anna-Maria Del Ponte descendante d’une famille aristocratique vénitienne, cantatrice à la Fenice et d’ Alessandro Morassi, violoniste né à Crémone dans un milieu aisé d’artisans luthiers.
Dès sa plus tendre enfance Marco joue du violon. A la fin de ses études supérieures il entre à l’Académie de musique de Giuseppe Verdi. Il rejoint très rapidement l’orchestre philharmonique, puis part à Paris au conservatoire supérieur de musique où il devient un Chef d’Orchestre de renom.
Divorcé, Marco est l’incarnation de l’élégance et du charisme italien. Sa silhouette élancée, sa posture droite témoignent de sa discipline et de son raffinement. Ses cheveux gris argentés coiffés en arrière souligne un visage serein aux traits réguliers qui inspire la maîtrise, mais laisse entrevoir une touche de malice. Ses yeux d’un bleu profond reflètent la passion d’un homme qui voue sa vie à la musique. Dès qu’il esquisse un sourire une fossette se creuse subtilement au coin de son regard. Elle ajoute un charme discret, une note de douceur et de sensibilité.
__________
Le départ
Après une série de secousses, le convoi s’ébranle. Accoudés aux fenêtres, comme lui, deux hommes et une femme regardent les lumières de la ville s’éloigner lentement. Sans bruit, il regagne son luxueux compartiment en serrant contre lui l’étui de son précieux stradivarius.
Assis dans un fauteuil moelleux en velours bordeaux, aux accoudoirs ciselés, il ressent une sensation de confort qui l’apaise. Sur la table de marbre, un vase en cristal de roses blanches rajoute une note d’élégance à ce joyau des années trente magnifiquement restauré. Il savoure un des délicieux chocolats de la bonbonnière en porcelaine peinte à la main tout en observant les moindres détails.
Le miroir biseauté au-dessus du lavabo en cuivre, les gravures de scènes mythologiques, les oreillers en soie pour une nuit reposante. Il inspire le parfum du cuir et du bois précieux. Des rideaux brodés de motifs dorés encadrent les fenêtres qui semblent s’ouvrir sur une nuit infinie.
Le son de quelques notes de piano lui provoque un frisson d’exaltation. Ce voyage lui a été offert par une mystérieuse admiratrice qui doit se manifester durant ce séjour.
Marco sait qu’il sera entouré de personnes porteuses de leurs propres secrets et histoires. Que va-t-il découvrir ? Deux coups frappés à la porte le ramènent à la réalité. Un carton rehaussé d’un sceau de cire rouge l’invite à rejoindre le wagon-restaurant à vingt heures.
Rencontres au wagon restaurant
Avant de quitter l’ambiance ouatée de sa cabine, Marco ajuste le col de sa chemise pour nouer sa cravate en soie. Son costume trois pièces, taillé sur mesure, dans un tissu en alpaga bleu-nuit, met en valeur sa mince silhouette. Il lisse ses cheveux argentés de sa main imprégnée de cet envoûtant parfum de chez Caron, conférant à son allure la touche finale d’un homme de grande classe.
Il ouvre la porte de sa cabine et croise une jeune femme qui semble sortie d’un rêve audacieux. Son habit de soubrette au décolleté échancré dépasse ce statut conventionnel. La coupe de sa robe noire très fluide épouse ses courbes sans ostentation. Son tablier de dentelle d’une blancheur immaculée contraste avec l’intensité de son regard. De sa coiffe assortie des cheveux bruns ondulés tombent en boucle naturelles. Elle offre à Marco un sourire aussi rapide qu’intriguant. Elle baisse aussitôt les yeux avec un respect feint mais savamment dosé. Troublée par cette rencontre, une lueur amusée brille dans ses yeux. Conscient du jeu de séduction il se dirige vers le wagon restaurant. Dans le couloir l’air est chargé d’un subtil mélange de bois ciré et d’effluves élégantes qui émanent de ces dames parées de leurs plus beaux atours. Il capte aussi une vague promesse de délices ; des arômes de beurre fondu, des sauces riches en épices qui réveillent ses papilles.
Quand le maître d’hôtel l’accueille Marco est enveloppé par une douce chaleur contrastant avec le froid vif de la nuit. Il est saisi par la splendeur des lieux. Des appliques en laiton diffusent une lumière tamisée, presque dorée qui scintille sur les couverts en argent et les verres en cristal de baccarat. Les tables sont recouvertes de nappes en lin ivoire sur lesquelles sont posées, dans un ballet d’élégance, des assiettes en fine porcelaine aux filetés grenats.
La mélodie jouée par le pianiste vient troubler son esprit, elle lui évoque une rencontre de jeunesse. Il est ramené à l’instant présent par une voie chaleureuse :
- Monsieur Morassi, vos convives sont déjà installés, ils vous attendent.
Marco espérait une table pour deux où il pourrait rencontrer la mystérieuse admiratrice qui lui a offert son voyage mais de grands yeux verts atténuent sa déception.
Il s ‘installe et fait connaissance. Chacun lui offre une expérience sensorielle distincte :
- Joséphine Castalda, une jolie rousse vêtue d’une robe de satin rose fuchsia. Elle est coiffée d’un chignon à boucles dans lequel est tressé un ruban émeraude. Elle vient de terminer ses études de médecine. Sa voix est posée, ses mains fines ornées de bagues discrètes . Elle porte un parfum aux notes de jasmin et d’ambre qui s’intensifient lorsqu’elle incline la tête.
- Eugénie Charpentier, brune au teint mat, à l’aspect hautain qui paraît être une explosion de sensations. Sa robe rouge en velours brillant créent des reflets dansants qui attirent le regard insistant d’un homme assis à la table avoisinante.
- Marc de Verneuil, homme d’affaires à l’allure réservée. Son costume gris perle à fines rayures est accompagné d’une montre à Gousset qu’il tapote distraitement entre deux échanges. Ce geste laisse entrevoir une certaine timidité.
Les serveurs défilent pour déposer des mets raffinés et succulents, arrosés de grands crus.
Au fil de la conversation, l’esprit de Marco vagabonde errant entre la soubrette et l’admiratrice invisible qui lui a laissé un mot écrit à la plume :
« Nous nous rencontrerons à bord. »
Un arôme sucré, légèrement alcoolisé lui chatouille les narines. Le soufflé présenté dans une coupelle de cristal dégage un parfum de Grand Marnier, de zestes d’orange et de vanille.
La belle et flamboyante Joséphine, face à lui, déguste ce dessert avec une sensualité naturelle. Marco ne peut s’empêcher d’observer ses lèvres teintées d’un rouge discret. Leurs regards finissent par se croiser.
Marco creuse sa fossette, lui offre un sourire admiratif et d’une voix basse mais assurée, lui déclare :
« Madame, il serait dommage de limiter cette rencontre à une table… Me feriez-vous l’honneur de continuer cette échange au salon ? »
La Stradivarius a disparu
Marco se lève avec élégance, effleurant légèrement le dossier de sa chaise avant d’aider Joséphine à se lever. Sa main reste suspendue prête à guider la sienne. Il sent alors la chaleur de sa paume qui lui provoque un frisson. Ils traversent le wagon sous les regards curieux et envieux. Marco se laisse enivrer par le parfum de Joséphine. A chaque pas il a l’impression de créer une partition secrète qu’il composera pour elle, ce soir, avec son violon.
Le salon est un écrin feutré. Les fauteuils capitonnés de velours vert invitent à la confidence. Il repère un coin intime loin de ces trois individus, affublés de kilts écossais qui dénotent dans ce coin enchanteur. Une horloge ancienne égrène doucement le temps sous les notes du pianiste. Ce murmure mélodieux ajoute une touche de raffinement.
Ils s’assoient l’un face à l’autre, Joséphine ajustant avec grâce les plis de sa robe. Marco fait signe au serveur :
- Champagne s’il vous plaît, le meilleur pour fêter cette rencontre.
Après ces délicieux échanges, grisée par les bulles euphorisantes, Joséphine éprouve une lassitude. Elle demande à Marco de la raccompagner, ce qu’il fait en parfait gentleman.
Alors qu’il regagne sa cabine, un détail attire son attention. Une enveloppe cachetée de cire est déposée sur la table. Intrigué il l’ouvre avec précaution. Une seule phrase, toujours la même écriture, il lit :
- La musique est un dialogue. Patience ! Vous trouverez la clé.
Marco sourit frustré mais fasciné. Son admiratrice aime jouer avec le suspens. En repliant la lettre, il remarque quelque chose d’étrange, un vide oppressant. Là où il avait rangé son stradivarius dans son étui, il ne reste plus qu’un espace froid, déconcertant. Le souffle coupé, il cherche frénétiquement cet objet précieux. Il ouvre les placards, fouille les moindres espaces, mais rien. Une profonde angoisse l’envahit. Son violon, un chef d’œuvre vieux de plusieurs générations, objet indispensable de sa vie, a disparu.
Effondré, il s’assoit. Une feuille de papier froissée attire son attention. Il devient livide, il s’agit bien d’une de ses partitions ; une sonate pour violon de Jean- Sébastien Bach.
Au bas de la page une annotation manuscrite le laisse sans voix.
- Chaque instrument à une histoire. Fouillez dans votre passé et il vous mènera à moi.
Marco fixe les mots avec rage. Le vol n’est pas un simple larcin, c’est un jeu savamment orchestré.
Enquête dans l'Orient Express
Malgré l’heure tardive, encore sous le choc, Marco décide d’alerter le responsable du wagon. Ce dernier très perturbé par un vol dans ce train prestigieux lui conseille de prendre un peu de repos. Il l’assure de son soutien, lui promet que personne ne quittera le train avant le dénouement de l’enquête.
Aux premières lueurs du jour, Marco les traits fatigués, le visage blême est tiré de ses réflexions par des coups secs et répétés à sa porte. Une femme, en tailleur strict, à l’aspect revêche, les cheveux noués en chignon bas se présente en franchissant le seuil :
- Clara Carletti, Chef adjoint de la sécurité ! M. Morassi on m’a rapporté votre problème. Quand avez-vous constaté le vol ? Pourquoi ne pas avoir placé votre stradivarius dans un des coffres prévus pour les objets de valeur ? Soyez explicite dans vos réponses s’il vous plaît.
Marco surpris par le ton glacial lui explique la situation en gardant tout son calme. Son esprit semble pourtant distrait ! Il ne peut s’empêcher de remarquer que le regard de Clara lui est étrangement familier.
Elle l’écoute tout en prenant des notes, l’interrompant souvent pour obtenir plus de détails et finit par lui dire :
- Ne vous inquiétez pas, notre équipe fera tout pour mener à bien cette affaire, elle rajoute : M. Morassi parfois une ombre du passé peut réserver des surprises…
Marco, décontenancé, fronce les sourcils. Il n’a pas le temps de réagir que Clara esquisse un sourire énigmatique et poursuit :
- M. Morassi qui était au courant de la présence de ce stradivarius dans votre cabine ?
Pris de cours, il répond :
- Tout le monde je suppose, je suis un violoniste et un Chef d’orchestre reconnu !
Pour quelles raisons me posez-vous toutes ses questions, c’est moi la victime, réplique t-il d’un ton agacé !
- Les victimes sont parfois la clé de leurs propres mystères … à bientôt M. Morassi, dit-elle en tournant les talons.
L’affaire s’est répandue dans tout le train, elle alimente toutes les conversations. L’angoisse est palpable parmi les voyageurs contrariés et inquiets. Les compartiments sont fouillés très minutieusement.
Dans le même temps, Josépine Castalda qui a passé sa soirée avec Marco est longuement interrogée. Mme Carletti Clara ne la ménage pas, elle a l’air de s’acharner sur elle cherchant la faille. Les dires de Marco clarifient la situation, l’alibi est solide, elle est écartée de tout soupçon.
Soulagée, Joséphine s’empresse de retrouver Marco qui paraît étonnamment détendu. Elle le remercie de l’avoir mise hors de cause et lui propose de l’aider à éclaircir cette affaire. La présence de Joséphine à ses côtés lui redonne le sourire.
Une jeune femme discrète observe le couple avec un intérêt croissant. Passionnée de faits mystérieux, Cécile Martin décide de leur apporter son aide. Ce trio inattendu commence par examiner la cabine de Marco. Des traces de talons féminins sont visibles sur la moquette, un pendentif en forme de clé en argent est retrouvé coincé sous le pied de la table en marbre ! A qui appartient-il ?
De son côté, Clara Carletti s’enorgueillit d’ un complot divinement mené. Elle se sent fière de cette intrigue qu’elle va, avec tact, commencer à dévoiler. Elle fait courir la rumeur que, durant ses interrogatoires, une présence intrigante parmi les employés va lui permettre de dénouer l’enquête.
La jeune soubrette au service de Mme Roger Martin du Gard va créer la surprise en faisant une étonnante révélation.
Le dénouement
Le mystère s’épaissit. Ce vol qui ne devait être qu’un jeu pour Clara vire au cauchemar. Elle est prête à jouer son rôle d’adjointe à la sécurité jusqu’à la fin, pourtant elle se sent blessée. Les interrogatoires auxquels elle assiste salissent l’homme qu’elle chérit encore. Plusieurs passagers, certainement jaloux de sa notoriété, murmurent des histoires peu flatteuses sur Marco Morassi. Une femme laisse supposer une arnaque à l’assurance, une comtesse que le stradivarius n’existe pas. D’autres évoquent d’importantes dettes de jeu, on parle même de rançons suspectes.
Clara a simplement voulu créer une rencontre mémorable, remplie d’émotion entre Marco et sa fille dont il ne soupçonne pas l’existence.
L’irruption de Jeanne, bouleversée interrompt ses pensées.
- Maman ! Tu ne peux laisser les rumeurs détruire ce moment ! Il a certes des défauts mais il reste mon père. Organise une réunion au salon, je t’en supplie, mets un terme à cette histoire, implore Jeanne en pleurant.
Hésitante, Clara finit par accepter.
Pendant ce temps Joséphine et Cécile fouillent, interrogent en suivant les indices et messages laissés à Marco. Elles découvrent une vérité inattendue : le vol ne serait qu’une mise en scène !
- Une supercherie, s’interroge Cécile à voix haute. Pour quelle raison Marco inventerait-il une telle histoire ?
Leur enquête mène les deux jeunes femmes vers Clara et Jeanne. La subtilité de leurs déductions incite mère et fille à jouer franc jeu avec elles. Les détectives en herbe, amusées par ce scénario romanesque, acceptent de les aider.
A l’heure convenue, tous les voyageurs sont réunis dans le salon. Jeanne est au centre de la pièce. Lorsque Marco franchit le seuil, Joséphine lâche son bras. Un silence impressionnant s’installe.
Jeanne s’avance vers lui, le stradivarius posé sur son épaule. Elle entame une symphonie de Bach coupant court à toutes rumeurs. L’émotion est à son comble.
Marco, partagé entre honte et admiration, comprend alors que cette jolie jeune femme n’est autre que sa fille. Il reconnaît en elle cette grâce divine qu’évoque la musique.
A la fin du morceau, sous les applaudissements, Jeanne remet à son père, ému aux larmes, son stradivarius. D’une voix ferme et déterminée, Clara prend la parole. La vérité éclate enfin avec tous les détails. Ce voyage restera marqué dans les mémoires.
Marco ajoute quelques mots précisant qu’il est juste un homme avec ses faiblesses, mais que la seule chose qu’il n’ait jamais trahie c’est la musique.
Le champagne coule à flots pour fêter cet heureux dénouement. Face à face, père et fille offrent un récital improvisé devant un public charmé.
A la fin de la soirée Joséphine se retrouve seule avec Marco. Il lui tend une enveloppe :
- C’est une invitation à mon concert à Vienne, lui dit-il. Mais pas seulement, j’organise une réception au château après le concert. Je serais flatté de votre présence, rajoute-t-il, en lui baisant la main.
Joséphine, touchée par ce geste élégant, hésite un instant avant de prendre l’enveloppe :
- Vous êtes plein de surprises M. Morassi ! Je vais réfléchir, murmure-t-elle en fixant Marco de ses yeux verts brillants de malice.
Quand à Cécile, elle a déjà rejoint son compartiment. Dans sa tête les idées se bousculent, elle a un sujet de rêve.
Qui sait ! Sera-t-elle la prochaine lauréate d’un prix littéraire ?
Josiane
_____________________________________