L'AGENT PELICAN ZKTT EN MISSION

Publié le 7 Décembre 2024

 
L’agent Pélican ZKTT
Le professeur Glorieux, retraité de l’Université, rejoint son wagon-lit, il l’inspecte minutieusement dans tous ses recoins, il sort une loupe pour regarder si aucun acarien ou poil de chat ne traînent sur une des banquette. Il fait enlever le tapis perse qui recouvre le plancher d’acajou, nul ne sait pour quelle raison. Le plafond est en cuir embossé. L’inspection terminée, il chantonne un air d’opéra tout en enlevant son costume trois pièces pour s’allonger sur le lit et puis ensuite s’envelopper dans les draps soyeux. Il tire les rideaux de velours rouge, admire la tapisserie des gobelins. Il range son semi-automatique pour commander une bouteille de champagne Moët et Chandon, fait sauter la capsule en argent et ensuite se fait servir du foie gras, un turbot sauce verte, plusieurs pâtisseries toutes plus raffinées les unes que les autres. Il est maintenant tellement détendu qu’il ne se souvient plus la raison de ce voyage et pour quelle mission est-il là. Il se ressaisit, il doit retrouver l’homme au chapeau et à la moustache grisonnante, la description est floue, certainement due à ses pertes de mémoire temporaires, ce qui est sûr c’est qu’il s’agit d’un chef d’orchestre réputé qui ferait escale à Prague dont la vie se trouve en danger, cette mission lui pèse car il n’en voit pas les enjeux, ce qui lui déclenche des quintes de toux inopinées ou des tics de la paupière gauche. Il a pensé arrêter ce travail qui le perturbe mais chaque fois il se dit ce sera pour l’année prochaine. Il allume la lampe Émile Gallé et sous cet éclairage doux et enveloppant, il se laisse aller à la contemplation des vitraux, ce moment est comme hors du temps, rien ne peut arriver de terrifiant, croit-il. Il enfile alors un smoking et ajuste sa cravate pour se rendre au wagon bal. Muni de la gazette du jour il arpente d’un bon pas le couloir. Se croyant arrivé, il ouvre la porte d’un geste franc et tombe nez à nez avec un homme au regard perçant qui fume un cigare ; bouleversé il referme la porte aussi sec en marmonnant une excuse et se met en quête cette fois-ci de trouver le bon wagon ; ayant frôlé la crise d’asthme, l’envie de danser commençait à le quitter.
L’agent Pélican ZKTT au wagon bal
Puis il avance, une musique laisse échapper des notes lointaines qu’il voit scintiller devant ses yeux comme des étoiles, elles voltigent, la musique, qui lui est inconnue, l’accapare, un peu lancinante, soporifique, le berce et le transporte dans un autre monde. Elle est à la fois rythmée par un piano et par un joli son de flûtes. Il lui semble même reconnaître le son d’un luth. Il n’est pas très amateur de musique sauf de la grande musique, la seule qu'il écoute à temps perdu, dans le refuge de son appartement.
Cependant encouragé par un couple qui le précède et qui lui ouvre la porte tout en s’extasiant d’une soirée toute prometteuse. Leur tenue est légère, par contraste il se sent comme engoncé, il entre un brin hésitant. L’endroit est sombre, seules des bougies ou des lanternes disposées par ci, par là éclairent la scène, six danseuses couvertes de paillettes et de foulards dansent la danse du ventre. Les spectateurs sont allongés sur des coussins et applaudissent à tout rompre. Il cherche un endroit où s’asseoir confortablement et dans le calme, il distingue des petites tables recouvertes de mosaïques et des tabourets moelleux. Il s’assit, une jeune femme à sa droite le dévisage, il finit par lui adresser un mince sourire. « Mettez-vous donc à l’aise » lui dit-elle ; à contre cœur il ôte son veston « l’odeur de musc m’incommode, je sens que je vais étouffer » « respirez lentement, je vais vous servir une boisson à base de fleur d’oranger qui va vous apaiser » Il se laisse aller et sombre dans une douce torpeur ; subitement enthousiaste il entame une conversation.
La jeune femme parle de sa passion pour le Rags shargi car elle est danseuse et comédienne à l’occasion, elle adore le son du oud, elle en parlerait pendant des heures. Lui essaie de partager sa passion pour le violoncelle et son plaisir pour les grands classiques. Elle lui dit « dès que l’occasion se présente, j’accepte volontiers de danser une valse. », « J’en suis ravi et dans ce cas je ne manquerai pas de vous inviter. »
Prétextant une urgence, il se leva. Elle s’enquit aussitôt « Mon frère est chef d’orchestre, si vous le désirez je vous le présenterai lors d’un apéritif, demain si cela vous convient.»
Agent Pélican ZKTT la suite...
Son rendez-vous tourne à l'obsession, demain 11 heures, il ne va pas en dormir de la nuit, il rumine jusqu'à ce qu'il croise Mademoiselle Satine,sa voisine de cabine, il essaie de faire bonne figure, combien de fois l'a-t-il croisée dans la journée.
Décidément il y a trop d'intrigues et toujours pas de nouvelles de l'agent double Kathéter 4 ter, il aurait dû recevoir un télex dans la nuit du 23 au 22 mais toujours rien à ce jour. Sa cabine est devant ses yeux, enfin arrivé, il rentre et s'endort. A 11 heures pile, il est dans la voiture bar à l'autre extrémité du train, d'un geste de la main, il interpelle le steward et demande un cognac, il cherche la jeune femme rencontré la veille mais apparemment elle n'est pas encore là, ni son frère d'ailleurs. Il regarde les joueurs tous absorbés par leurs parties d'échecs, de backgammon ou par le jeu si célèbre de cartes italien Scopa.
Il contemple ensuite les articles de voyage à l'achat quand un grand tumulte parvient jusqu'à lui, des hurlements percent ses tympans déjà si fragiles, la police va intervenir dit le steward, Monsieur soyez sans crainte, je vous offre un second cognac. Il se rassoit quand dans l'embrasement de la porte il reconnu sa compagne de table, rouge de colère qui se dirige droit sur lui, excusez mon retard mais Herbert s'est fait voler son stradivarius, comprenez c'était plus qu'un instrument pour lui, c'était son âme, il vibrait ensemble de toutes leurs cordes au plus profond de leur sonorité. Herbert est livide, il est comme mort et je suis bouleversée. Laissez-moi vous offrir un verre, tout cela va finir par s'arranger, un Stradivarius ne peut pas disparaître comme cela, comment vous appelez-vous ? Agatha mais je ne comprends pas, je vous en supplie faites quelque chose pour lui. Une réunion était entrain de se dérouler dans un wagon plus loin.Il se sentit obliger d'intervenir auprès d'Herbert pour le calmer, il prit une allure théâtrale, le salua très dignement et se lança dans des tirades qui ne lui étaient pas familières. Herbert demeurait dans tous ses états. Cependant il le raccompagna à sa cabine.
L’agent Pélican ZKTT...
Agatha est reparti rejoindre son ami Hercule. Une rumeur court qu’il est défectif anglais et que sa devise est « l'impossible ne peut se produire donc l’impossible doit devenir possible malgré les apparences ».
L’agent Pélican se gratte le crâne, il sent qu’il perd le contrôle de la situation. Il doit rencontrer absolument l’agent Kathéter 4 Ter pour savoir si ce fameux Hercule Poirot ou Poteau ne serait pas l’agent triple « Impossible is nothing » car dans ce cas il ne serait pas judicieux d’intervenir, surtout qu’il a des doutes concernant une demoiselle Satine, charmante à fortiori, mais extravagante à souhait, qui semble mener un drôle de double jeu. Il repart ,complètement désemparé, renvoyer un nouveau télex pendant que Herbert se lamente devant sa cabine : oh ciel ! Oh mon violon ! Oh ma vie ! O ! la prunelle de mes yeux, que vais-je devenir sans toi ?
 
L’agent Pélican, entendant cette complainte, revient sur ses pas et interpelle Herbert :  
- Hercule, pardonnez-moi, Herbert, quand a lieu votre concert ?  
- Dans trois jours à Prague.
- Et de quel concert s’agit-il ?
- La symphonie fantastique de Berlioz au Théâtre National.
- Mais bien entendu vous ne pouvez pas jouer sans votre stradivarius, objet sacré.
- Monsieur Glorieux, je me dois de mener ce concert coûte que coûte car Hector Berlioz lui-même assistera à cette première représentation ainsi que tous mes proches. Ce sera une fête et un honneur pour moi, pour ma famille et pour mes amis.
- Ma question va vous sembler étrange, mais connaissez-vous des personnes qui en veulent à votre vie ?
 
Herbert reste muet. L’agent Pélican reprit :
- Mais rendez-vous compte du risque que vous prenez à orchestrer cette fantastique symphonie, mais pourquoi fichtre… je m’emballe, excusez mon emportement, je suis fragile et j’ai eu beaucoup d’émotions ces temps-ci, tous ces évènements me troublent et c’est pour cette raison que je vais vous paraître insistant mais êtes-vous sûr que vous n’avez aucun ennemi ?
- Bigre ! Je suis le plus célèbre chef d’orchestre jamais connu de toute l’Europe, je suis apprécié de tous et de toutes, bon cette comédie a suffisamment duré, vous m’importunez, je vais rejoindre Agatha.
 
Un télex parvient enfin à l’attention de l’agent Pélican :
 
violoncelle retrouvé
Altiste azuréen à Berlin
Yééé, yééé, yééé...
 
Signé, votre dévoué KTTER .
L'agent Pélican ZKTT fait l'inspection
Mais donc, que diable  signifie ce télex ! Un violoncelle retrouvé alors qu’il s’agit d’un violon à l’origine, il se serait transformé ? Et qui est cet altiste Azuréen ? Peut-être qu’au prochain arrêt du train on aura des réponses à ces questions saugrenues ou du moins des explications.
En attendant, je dois revenir au fait et garder la tête froide, la seule manière de fonctionner est la rationalité, m’en tenir à la consigne. Consultons l’agenda, inspection des lieux à 10 heures aux peignes fins pour faire plaisir au chef de train et à 16 heures, partie d’échecs où je me sais un adversaire invincible.
Il est déjà l’heure, il est temps de me mettre au travail, tous ces wagons se ressemblent et sont dans un désordre épouvantable, allons à l’essentiel. Tiens, un petit morceau de velours rouge qui aurait appartenu à l’étui du stradivarius, un morceau de volute, une mentonnière, une cheville, une clef de fa, puis de sol, étrange cimetière d’instruments de musique, je ne rentrerai pas bredouille, mais mon esprit fait des siennes, il déraille. Que nous réserve le wagon n°7 ?
Un violon, mais il est posé comme un jouet d’enfant, ce n’est pas la peine d’en faire état. Voilà que j’éternue et mon asthme me reprend, diantre des poils de chats ! Aucun animal ne doit être accepté dans ce train sous peine d’amende ou d’emprisonnement selon l’article n°21 des chemins de fer, il ne manquerait plus qu’un chien et ce serait la fin des haricots, il n’a qu’à bien ce tenir ce propriétaire animalier, cela sent le trafic à plein nez. Un parfum de rose obscure s’échappe du wagon n° 6, c’est le wagon d’un magicien et d’une cartomancienne en voyage de noce, il doit leur être facile de transformer un violon en violoncelle d’un coup de baguette magique ! Je ne dois pas m’égarer, l’important est que Herbert n’assiste pas au concert et pour cela une erreur d’aiguillage ou un peu de poudre d’explosif dans l’étui à violon, ou peut-être encore un peu de pavot des jardins serait la solution. Et pour éviter tout cela, je compte bien sur l’intervention de l’agent triple « Impossible is nothing » héliporté de Belgique pour la circonstance.
- Avez-vous trouvé des indices, demande le chef de train.
- Non, que de vagues broutilles sans intérêts, mais je continue mes investigations, soyez-en sûr, répond Monsieur Glorieux, inspecteur Pélican ZKTT d’un air détaché.
L'agent Pélican ZKTT au terminus
La fin du voyage approche. Un pot de départ est prévu en fin d’après-midi. L’inspecteur Pélican a hâte d’arriver et n’a pas très envie de s’éterniser, il salue quelques personnes à la va vite, Mademoiselle Satine, Monsieur Christophe, Sofia, Mathilda, Pierre, Osman, Xavier et bien d’autres personnes croisées ici ou là. Comme pris d’un élan d’euphorie il se met à chanter à tue-tête « Ce n’est qu’un au revoir... » et s’arrête au milieu de la chanson car personne ne l’écoute, tous étant absorbés par une conférence cinématographique. Quelqu’un lui crie quelque chose tout en gesticulant, mais il n’en croit pas ses oreilles ni ses yeux, il semble apercevoir l’ombre de Kathéter mais il se rappelle soudainement qu’une partie d’échecs l’attend, qui le consolera de l’indifférence des passagers. Il s’installe au bord d’une table et voit, en chair et en os cette fois-ci, l’agent Kathéter 4 ter près d’une plante qui lui cache la moitié du visage, il s’approche de lui comme d’un revenant et lui dit :
- C’est bien toi KT, que fais-tu là ?
Kathéter le regarde à son tour :
- Je dois t’’entretenir car la fin est proche ; pour cela j’ai créé un jeu facile qui demande que très peu de concentration, cela nous permettra d’échanger quelques pièces tout en bavardant sans attirer l’attention. Voilà, le meurtre aura lieu quand les cloches sonneront, cependant entre-temps, il y a eu une conspiration, une guerre des agents secrets et j’ai perdu tous mes contacts, pour rien arranger, les chefs d’orchestres à éliminer se sont multipliés et font partie d’un gang « tout est à faire». Je ne sais pas comment on en est arrivé là, mais ce qui est sûr, c’est que l’on doit disparaître le plus rapidement possible.
Le train ralentit, les passagers commencent à descendre leurs bagages et à se diriger vers la sortie. Terminus du train.
 
Ils seront arrêtés à Constantinople. L’inspecteur Pélican sera relâché, faute de preuves et coulera une paisible retraite. L’agent Kathéter 4ter, lui fera six mois d’enfermement, puis s’engagera dans l’armée et deviendra par la suite marchand financier.
 
Le 20 mai 1977, L’orient express fera son ultime voyage entre Paris et Istambul avec Herbert et Agatha à son bord se rendant à l’Opéra de Paris.
 
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Rédigé par Catherine

Publié dans #Voyage

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