Bernard

Publié le 5 Décembre 2024

Stéphane aux commandes de la "bête"
Je suis né le 27 avril 1950 je m'appelle Stéphane Pierre-Brune cela fait plus de dix ans que je suis employé au chemin de fer. Aujourd'hui pour moi est un grand jour, je vais être aux commandes de la locomotive type 120 mais pas n'importe laquelle, celle qui va entraîner derrière elle un des plus célèbres trains : “L'orient express”.
Pour fêter cet événement j'ai mis mon plus beau bleu de travail ; c'est avec un petit peu d'angoisse que je rejoins la gare de l'Est où, j'en suis sûr, mon coéquipier, Romain le chauffeur, m'attend.
Elle, elle est là, brillante dans la lumière du matin, entourée par les fumerolles de vapeur. Le foyer, alimenté par Romain, laisse entrevoir les boulets de charbon incandescents, Elle est prête.
Un grand coup de sifflet déchire l'espace invitant tous les voyageurs à prendre place dans leur compartiment.
Un regard en arrière, je contemple le ballet des porteurs qui s'affairent à accompagner tout ce parterre du beau monde parisien. Après ce brouhaha de voix, mélanges d'ordres et d'au revoir, un deuxième sifflet annonce le départ.
Romain et moi, nous nous assurons par un dernier regard que le chef de gare restait seul sur le quai en agitant son drapeau pour nous donner le feu vert du départ .
Romain jeta quelques pelles supplémentaires dans le foyer et je fais crier le sifflet en lâchant un grand jet de vapeur, la machine se mit à grincer, les roues firent jaillir des étincelles, la bête, comme nous avions l'habitude de l'appeler, se mit en marche.
C'est avec une série de secousses que le convoi s’ébranla pour entamer son long voyage à travers l'Europe. Les lumières de la ville comme une guirlande paressai glissé devant mes yeux pour disparaitre dans le lointain.
Apparition
Sur les rails luisant sous la lumière de la lune, la machine déchire le voile de la nuit.
La vapeur qui s'échappe, enveloppe l'atmosphère formant un ruban cotonneux entourant les wagons d'un nuage de mystère.
Au rythme du tempo - badaba, badaba - des roues sur les rails, j'actionne le sifflet, cri strident qui, comme un hurlement d'un loup, fait fuir l'animal caché au fond du trou noir des tunnels.
Le paysage défile laissant derrière lui les histoires d'un monde qui lui était inconnu. Dans leur espace entre locomotive et le tandem, les cadrans brillent comme des étoiles et le visage de Romain, éclairé par la lumière du foyer, ressemble à un tableau d'un peintre hollandais.
Le crissement des roues immobilise, le train étape indispensable pour recharger en eau et en charbon, éléments nécessaires pour continuer notre voyage. J'en profite pour sauter sur le quai où seul le chef de gare donne des consignes aux quelques voyageurs qui, comme moi, ont eu besoin de se dégourdir les jambes. Sous le halo d'un réverbère, enveloppée par la brume, elle était là, silhouette fine et fuselée. Son allure, ses habits, tranchaient avec ce que Stéphane avait observé en regardant les voyageurs à la gare de l'Est. Le temps fut de courte durée et déjà Romain, resté à bord, actionna le sifflet annonçant le départ.
C’est avec une série de secousses que le convoi s'ébranla pour repartir faire une nouvelle destination. Stéphane emporta avec lui le souvenir de cette brève apparition en se promettant d'essayer de la revoir au prochain arrêt.
Crissement dans la nuit
Le voyage continue à travers des paysages fantastiques, cartes postales éphémères qui disparaissent dans la nuit, accompagnées par le sifflement aigu du moteur qui se mêle au cliquetis des pistons qui poussent les bielles entraînant avec force la machine vers l'avant ,dans une musique composée du bruit caractéristique de la vapeur à mesure que la pression augmente. Stéphane, comme un capitaine de navire, surveille le bon fonctionnement de sa bête. Romain alimente le foyer en jetant des pelletés de charbon dans le foyer ouvert devant lui.
Soudain, le crissement des roues sur les rails fit jaillir des étincelles éclairant d'une lumière inquiétante le monde de Stéphane. Après quelques centaines de mètres, le convoi s'immobilise au milieu d'une campagne déserte.
Que se passe-t-il ?
Stéphane jeta un œil au cadran, pour comprendre le pourquoi du comment.
Un voyant rouge lui donnera la réponse: un voyageur avait actionné l'arrêt d'urgence.
Stéphane sauta sur le ballast pour aller demander des explications sur cet acte répréhensible.
Le chef de train lui fit un rapport circonstancié sur un vol qui aurait été commis au préjudice d'un certain Marco Morassi.
Le voleur aurait emporté un violon d'une valeur inestimable.
C'est alors qu'un certain Hercule Poirot, détective privé, se présenta spontanément pour, dit-il, élucider cette affaire, car pour lui le violon n'avait pas pu disparaître sans laisser un son ou une trace.
Pendant ce temps, le chef de train essayait de calmer Marco Morassi qui n'en finissait pas de crier au scandale, et fit part à Stéphane qu'il pouvait reprendre le voyage vers sa prochaine destination, Vienne.
C'est avec une série de secousses que le convoi s'ébranla laissant derrière lui son nuage de mystère.
Un violon au charbon
Le paysage défile à la vitesse du train au rythme des pelletées de charbon enfournées par Romain. Stéphane se laisser bercer par le bruit régulier des roues sur les rails. Vienne n'était plus qu'à une heure, étape obligatoire pour permettre à Romain et Stéphane de vérifier « la bête » et de l’approvisionner en charbon et en eau pour le reste du voyage.
Stéphane, les yeux fixés sur les cadrans, sursauta au cri de Romain.
- Regarde ce que j'ai trouvé, là dans le tandem  !
Au milieu du charbon apparaissait une caisse métallique qui résonna au coup de pelle de Romain.
Stéphane s'en saisit et la déposa sur le plancher délicatement ; il l'ouvrit et là, devant leur yeux ébahis, le violon scintillait dans son écrin de velours.
- Qu’allons-nous faire, dit Romain.
- Dès notre arrivée à Vienne j'irai avertir monsieur Poirot de notre découverte.
Les lumières de Vienne brillent dans la brume du matin quand Stéphane, suivi par le chef de train, alla retrouver monsieur Poirot.
- Je savais que le violon n'avait pas pu disparaître, murmura monsieur Poirot, voyons l'objet du délit.
La boîte était d'une facture toute simple, ne portait pas d’éléments distincts pour vous donner un indice pour la suite de l'enquête. Monsieur Poirot prit le temps, avec une loupe, de scruter toutes les faces de la caisse et remarqua sur le côté droit une empreinte de main noircie par le charbon. Rien d’exceptionnel pour Stéphane et pourtant Monsieur Poirot s’écria :
- Ça y est je tiens le voleur !
- Comment pouvez-vous affirmer cela, dit Stéphane d'un air étonné.
Monsieur Poirot explique alors que, lors de son enquête, il avait pu remarquer et fut étonné de constater, connaissant la propreté du train, que sur le montant du compartiment numero5 du premier wagon, une trace noire, à peine effacée, comme si l’auteur avait été dérangé et n’avait pas pu supprimer son forfait.
- Allons de ce pas réveiller le titulaire du lieu.
Accompagné par la police de la gare et après avoir frappé délicatement, la porte s'ouvrit et quel ne fut pas l'étonnement de Stéphane de voir apparaître monsieur Marco Morassi, le propre propriétaire qui, deux heures avant, criait au voleur au voleur à qui voulait l’entendre.
C'est dans le bureau de la gare que Monsieur Marco Morassi avoua avoir voulu faire une arnaque à l'assurance pour combler ses dettes de jeu.
Ce violon était le seul bien qui lui restait et qui avait comme particularité de ne pouvoir être vendu car il était déclaré faisant partie du patrimoine.
Marc Morassi en avait la jouissance pour en jouer lors de ses concerts.
Et c'est la tête basse qu'il fut obligé de suivre la police, sous le regard réprobateur de l’ensemble des passagers.
Stéphane retrouva sa place aux commandes de la bête prête pour le départ, ultime étape vers le Bosphore, vers Istanbul.
La bête au terminus
La bête siffla et lâcha la vapeur comme pour dire : voilà je suis arrivée en cette ville aux nombreux minarets qui, le soir, appellent à la prière.
Romain interpella Stéphane :
- Tu te rends compte, il aurait suffi d'une pelleté pour faire disparaître ce violon dans le ventre de la bête. Sans le savoir, nous avons sauvé une partie de notre patrimoine.
Stéphane, le regard perdu en direction de Sainte-Sophie, hocha la tête pour acquiescer. Il laissa son imaginaire divaguer... et si …..
Lui, le simple mécano qui venait de transporter à travers l'Europe des personnes fortunées et de sauver un objet d'une grande valeur était-il considéré ?
En réponse, le quai, maintenant désert, lui renvoya son silence, un merci que lui seul pouvait apprécier.
Romain le sortit de sa rêverie pour l'inviter à se rendre au restaurant de la gare, pour déguster un couscous maison, et c'est sur un air de violon de Jean-Sébastien Bach, musique qui semblait faire un clin d'œil dans cet environnement oriental, que Stéphane et Romain terminèrent leur soirée en oubliant cette aventure policière passée.
 
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Rédigé par Bernard

Publié dans #Voyage

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