Augustin CALVY
Publié le 16 Octobre 2024
/image%2F2034508%2F20241016%2Fob_55f8e1_mado.jpg)
Fils d'agriculteurs, son avenir aurait été de poursuivre le travail à la ferme, dans les pâtures à moutons de ses belles montagnes. Des activités qu'il adorait. Il vivait avec les saisons, le soleil, la lune, les bêtes. Il connaissait tous les chemins, les sources, le cri de la chouette, le brame du cerf, les bruissements furtifs des choses invisibles.
Mais, un beau jour de moisson, en août 1914, le jour de son anniversaire, tout a basculé.
Mobilisé avec les jeunes gens de la région, il est parti au front, a connu l'odeur du sang, de la mitraille ; il a vu tomber ses camardes, il a tué, encore tué, embroché des gars de son âge à la baïonnette, entendu les cris, les suppliques, les râles, la mort.
Comme beaucoup de soldats, me direz-vous... Certes, mais Augustin est revenu de la guerre, la haine, la rage, le désespoir dans l'âme. Il n'est pas rentré au village. Il s'est installé à Marseille, a intégré la pègre locale. Très vite, il s'est imposé comme chef de gang. Torturer, tuer ne lui posait aucun cas de conscience, au contraire, si l'on en croit le témoignage d'une prostituée du port :
" Calvy, c'est un brutal et il aimait faire mal. J'en sais quelque chose ! Quand il me tabassait, ses yeux brillaient de haine, il murmurait des trucs qui venaient de la guerre. Il murmurait en frappant, comme s'il ne voulait pas que j'entende. Une fois, j'ai entendu ; il a dit : ça, c'est pour Joseph. Je crois que c'était son copain mort à la guerre..."
La drogue et les putes ont fait sa richesse. Il est devenu le caïd de Marseille, le maître de la rue.
Pendant ce temps, ses parents vieillissaient, tous seuls dans leur ferme. Le travail devenait trop lourd pour eux, mais Augustin avait perdu l'amour, l'empathie, le respect. Ne lui restait que la violence comme ligne de vie.
Jusqu'à ce jour de juin 1925, le 25 exactement, date de l'anniversaire de sa mère à laquelle il ne pensait plus du tout. Ce jour-là, un ancien camarade d'école, courageux, vient lui rende visite. D'après Tonio, un des hommes d'Augustin présent lors de la rencontre, lui aurait dit à peu près ceci :
" Ta mère est au plus mal, elle te réclame. Ton père est vieux, fatigué, il n'arrive plus à s'occuper des bêtes. On a besoin de toi, là-haut."
Et il lui a tendu une lettre. Tonio raconte qu'à la lecture de la lettre, Augustin a blêmi. Il aurait juste dit :
" Tonio, règle les affaires courantes, je dois partir quelques jours."
Il n'est jamais revenu à Marseille. Il est arrivé à la ferme familiale juste à temps pour voir sa mère une dernière fois. Elle lui a parlé. De quoi ? Nul ne l'a su. Mais, après cela, il a repris la ferme, s'est occupé de son père jusqu'au bout. Il est devenu le paysan le plus honnête de la région. Taciturne, mais droit. Solitaire, mais généreux.
Le curé du village disait qu'une douceur oubliée lui remontait du fond de l'être quand il le regardait choyer ses bêtes.
Peut-être, la beauté d'un lever de soleil, le bêlement d'un agneau, l’incandescence des arbres à l'automne, le nacre de la lune ont-ils apaisé la fureur de son cœur ? Peut-être les dernières paroles maternelles ont-elles réveillé le jeune homme qu'il avait été ? Augustin ne se livre guère, le mystère demeure.
Il a fini sa vie dans son lit, à la ferme, ne s'est jamais marié, mais, quand le docteur est venu constater le décès, Marcelle, sa "fiancée" du CM2, lui tenait la main en pleurant...