FANTASME 4
Publié le 10 Juillet 2024
Vingt heures. La ruelle se prêtait idéalement à la situation que Pierre avait envisagée. Le peu de lumière, dispensée par deux luminaires faméliques qui n’éclairaient que leurs bases, avait favorisé son approche du terrain. Les deux loustics que sa sœur avait missionnés pour lui rendre compte se croyaient à l’abri de tout risque et se pavanaient comme des lutteurs fiers de leurs muscles... Mal leur en a pris ! Leurs cerveaux n’avaient pas suivi leurs carrures. Celui qu’ils devaient surveiller, voire plus, en continuité de sa mission, avait profité de la pénombre pour s’approcher d’eux par derrière. Deux coups de matraque télescopique avaient réglé le problème. Il avait profité d’être arrivé en avance pour repérer une vieille usine désaffectée à quelques pas de là. Un transpalette, encore en état, lui permit de transporter les deux monstres dans un coin obscur de la ruine. Bien attachés, à l’aides de colliers plastique, ils ne le dérangeraient pas pour un bon bout de temps.
Attendre ! Prendre son mal en patience. Pierre était un instinctif qui obéissait à l’instant présent, il n’était pas du genre à monter des traquenards. Il partait du principe que c’était déloyal et que ses victimes ne méritaient pas un tel traitement. Il agissait en accostant ces jeunes femmes avec un grand sourire et beaucoup d’éducation. C’était classe ! Ensuite, le découpage était à la hauteur de leur beauté. Le ciselage était digne d’un orfèvre. Il tenait à ce que cela ne change pas. Sa réputation était en jeu.
Tiens ! Voilà quelqu’un. Serait-ce la dame que j’attends ? Mais oui, on dirait bien. Pas si âgée, et bien sous tout rapport. Distinguée, très bien habillée, une démarche de mannequin et elle dégage une assurance naturelle qui cache le moindre soupçon de peur qu’elle pourrait avoir... Approchons-nous :
- Bonsoir Madame, veuillez excuser mon outrecuidance mais je suis perdu et j’aimerais trouver le chemin d’un restaurant que l’on m’a recommandé. Cette ruelle est tellement sombre que l’on ne sait plus où diriger ses pas.
- Bonsoir Monsieur, il s’agit certainement de la « Belle fourchette ». Justement je m’y rends, j’ai réservé une table et si vous êtes seul je vous invite à me donner votre bras. Je reconnais que votre présence est plutôt rassurante. Qu’en pensez vous ?
- Madame, vous servir de garde du corps est un honneur. Tant il est vrai que ce chemin n’est pas très engageant. Je m’étonne un peu de constater le risque que vous prenez. Par les temps qui courent, il y a tellement de personnages bizarres, la plus grande prudence est de mise…
- C’est ce que me rabâche une bonne amie qui veille sur moi et qui me chaperonne habituellement. Ce soir Madeleine a un problème de famille et n’a pu se rendre libre.
- Madeleine ? J’ai connu une femme qui porte ce prénom. Comme c’est drôle. D’ailleurs je l’ai revue il n’y a pas longtemps. A propos, je m’appelle Pierre... Pour vous servir.
- Je suis la duchesse de Brinvillier. Mais appelez moi Anna, en dehors de mon château, j’aime bien rester simple. C’est tellement compliqué d’assumer des titres d’un autre temps. J’aime aller au grès de la découverte et rencontrer des gens intéressants. D’ailleurs, si le cœur vous en dit, je vous invite à partager ma table. J’ai horreur de dîner seule et, soit dit en passant, je vous crois de bonne compagnie.
La situation devenait cocasse. Pierre se mit à penser qu’il serait amusant de changer de scénario... Pourquoi-pas ? Duchesse, château, pas vilaine, ne cochant pas toutes les cases de ses tourments... Elle avait des chances de vivre encore quelques temps sans que ses pulsions ne donnent le Top départ. La manifestation de ses talents pouvait attendre quelque peu. Madeleine aussi.
Ainsi fut fait. Ils partirent, bras dessus bras dessous, en devisant comme des vieux amis qui se retrouvaient après des longues années d’absence.
La soirée se passa magnifiquement bien et au moment de l’addition, Anna insista pour que Pierre soit son invité. D’ailleurs, n’avait-elle pas un compte dans cet établissement qui lui appartenait ? Allons rentrons, lui dit-elle.
-Raccompagnez moi, ainsi vous pourrez voir mon domaine et venir me rendre visite à votre convenance. Le plus souvent possible serait le mieux. Vous serez toujours le bienvenu. Ne tardez pas vous commencez à me manquer.
Pierre prit congé après moult remerciements, en lui faisant la promesse de ses visites prochaines. En rentrant chez lui, il eut la surprise de voir surgir de l’obscurité, sa sœur qui, l’œil mauvais de celle qui a envie de tuer, vint à lui d’un pas décidé.
- Où sont mes associés ? Que leur est-il arrivé ? Prends garde Pierrot, tu files un mauvais coton ! Réponds-moi !
- Bonsoir Madeleine chérie, rassure toi, tes deux minables vont bien. J’ai pris soin de les chouchouter.
Mais figure-toi que j’ai passé la soirée avec Anna et je crois qu’elle m’a réconcilié avec les femmes. Tu le croiras pas, mais elle m’a quasiment demandé en mariage. Elle a décelé en moi toutes les qualités que je cachais et me verrait bien endosser l’habit de châtelain. Tu te rends compte, ma sœur bien aimée ?
- Et mon héritage... Dans tout ça ?
- Je reconnais là ton coté égoïste. Tu n’a pas encore liquidé ton nouveau mari ?
- Il est mort, bêtement ! Sans que j’y sois pour quelque chose. Un accident de piscine. Rends-moi mes complices ! Je me sens en sécurité avec eux. Surtout avec toi dans les parages.
- Je veux la tranquillité tant que je n’ai pas épousé Anna.
- Je veux la tranquillité tant que je n’ai pas épousé Anna.
- C’est un ultimatum ?
- Ce n’est pas négociable !
- Et tu la tueras quand ?
- J’aviserais quand je serais légataire universel. C’est une femme bien, de grande classe. Je suis sûr qu’elle aura l’élégance de partir avec dignité, sans me faire attendre.
- Et mes projets ?
- Ce ne sont pas les miens ! Je te suggère de mettre un bémol à tes ambitions, d’autant plus qu’une lettre adressée à qui tu sais les renseignerait sur quelques morts subites à caractère inexpliqué qui pourrait leur ouvrir les yeux.
- Tu crois que je n’ai pas pris mes dispositions ?
- Si tu veux revoir tes deux comiques, garde ton cheptel de défunts et laisse-moi Anna... Ne sois pas gourmande, une indigestion est vite arrivée et c’est parfois tragique. Remarque que, à bien y penser, j’hériterai de toi et …
- Arrête de rêver. Je vais réfléchir à la question et je te répondrai sous peu.
- Mais, dis-moi. Si on éliminait les rares témoins de notre entourage, une fois libres, nous pourrions nous marier tous les deux. Nous ne portons pas le même nom et notre filiation n’est connue par personne… C’est à ça que tu dois réfléchir, Madeleine chérie...