Conversation avec Elle
Publié le 19 Juin 2024
La pluie venait enfin de cesser après un déluge peu ordinaire en ce début de printemps. Mon téléphone portable, toujours à mes côtés, se mit à vibrer. Fin de l’alerte météo ! La deuxième en quinze jours. Soulagée je m’apprêtais à vérifier sur les réseaux sociaux que mes amis allaient bien. C’est à ce moment-là que j’entendis pour la première fois cette drôle de voix.
« Encore sur ton écran ! ». Surprise, je levai la tête et parcourus la pièce du regard. Personne bien évidemment puisque je vis seule. « Comment faisais-tu il y a seulement quelques années pour avoir des nouvelles du monde ? Aujourd’hui avec ces moyens modernes tu peux savoir ce qu’il se passe à des milliers de kilomètres de chez toi, tout en restant assise un téléphone à la main sur ton canapé !» La voix se faisait plus intrusive. Une voix féminine caverneuse qui semblait venir de loin, de très loin même. Elle poursuivit : « La vie est dehors, dans les gouttes d’eau qui tombent du ciel, dans les mers et les océans, dans un champ de fleurs où butinent des abeilles, dans le galop d’un cheval sauvage » Comme je ne répondais pas, elle demanda : « Dis-moi, prends-tu encore le temps de t’émerveiller devant ces spectacles que je t’offre ? » Mon étonnement grandissait au fil de ses paroles. Mes pensées se bousculaient et partaient vagabonder par-delà la fenêtre du salon. Je devenais cet oiseau aux ailes déployées porté par le vent, ne craignant pas la pluie qui s’était remise à tomber. J’étais cette branche d’acacia doucement bercée par la brise. Je me perdais dans les nuages lourds, gonflés d’eau. Oui, Elle a raison, la vie est dehors.
Elle semblait lire dans mes pensées et insista. « Qu’attends–tu pour chausser tes bottes et enfiler ton imperméable ? N’as-tu pas envie de contempler le spectacle grandiose des vagues écumeuses et bondissantes, de te laisser surprendre par leur fracas sur les galets, de t’extasier devant le vol éperdu des mouettes désorientées ? » Oh ! Oui ! Faire comme la petite fille que je n’étais plus depuis bien longtemps et jouer avec les flaques, retrouver cette insouciance du temps où je n’imaginais pas que la nature était en danger! Encore une fois la voix avait touché juste. Je décidais de profiter de la beauté du spectacle de la mer démontée en allant sur la Promenade des Anglais, sans me demander pour combien de temps encore l’humanité pourrait savourer ces instants magiques. Oublier un moment que la banquise fond, que les mers se vident de leur population naturelle mais se remplissent de plastique, que l’eau manquera peut-être aux générations futures et que la pollution lumineuse des villes nous empêche de voir les étoiles. Sans parler des ours polaires en voie d’extinction que mes petits-enfants ne connaîtront peut-être qu’en photo dans leurs livres de classe, si les livres existent encore, ou en video sur leurs écrans.
Prête à sortir, je glissai discrètement dans ma poche mon téléphone portable. « Tu ne t’en sépares donc jamais ? » Elle ne faisait pas que parler, Elle voyait tout ! Je sentis dans le timbre de la voix de l’ironie, mêlée de lassitude, avec un brin de reproche. Et je m’entendis lui répondre : « Non, grâce à lui je vais pouvoir faire des photos, recevoir des nouvelles de mes proches, consulter si besoin le web. Comment pourrais-je m’en passer aujourd’hui ? » Aucune réponse, aucun commentaire. La voix s’était tue.
C’est là qu’un grondement sourd venant du sol se fit sentir. Tout se mit à trembler dans la pièce, les meubles se mirent à grincer, je dus m’assoir précipitamment pour ne pas tomber. Pendant quelques secondes plus d’électricité. Puis le calme revint. Un tremblement de terre !?
Mon premier réflexe : les réseaux sociaux. « Décidément ! » La voix était de retour. Je commençais à être perplexe. Tout à l’heure le déluge, maintenant un séisme. Qui exprimait ainsi sa colère ?
*La terre a tremblé aujourd’hui dans les Alpes Maritimes. Un séisme de magnitude quatre sur l’échelle de Richter, seulement des dégâts matériels.* Voilà les informations données par la télévision aussitôt allumée. Ouf ! J’étais plutôt rassurée mais pas au bout des mauvaises nouvelles. Je restais abasourdie devant les images diffusées ensuite. Des rivières en crue, des inondations, des éruptions volcaniques spectaculaires. Une île était apparue dans l’océan Pacifique ! Au Japon un nouveau séisme, heureusement non suivi de tsunami, mais des dégâts importants et un affolement de la population pourtant habituée à ce genre de phénomène. En Islande un volcan s’était réveillé. Il crachait des coulées de lave incandescente, telles des langues voraces et affamées, dévorant tout sur leur passage, cultures, forêts, villages.
STOP ! J’ai éteint la télévision. Pas envie d’entendre la suite. Les catastrophes naturelles se succédaient depuis quelques années. La Terre serait-elle en colère ? Elle en aurait le droit. Les humains ont tellement usé et abusé d’Elle et de ses richesses. Quel monde vont connaitre mes petits-enfants ?
« J’entends ce que tu penses, voilà une question sensée ! » La voix était revenue, mais je savais maintenant qui parlait ainsi. « Les Hommes vont-ils enfin prendre réellement conscience de la fragilité de leur environnement avant qu’il ne soit trop tard et mettre en place des solutions pour en conserver la richesse et la diversité ? » Je m’apprêtais à lui répondre que je me sentais concernée par l’évolution actuelle et à lui énoncer ce que je faisais déjà à mon niveau pour inverser ou au moins stopper la dégradation de ma planète. Elle ne m’en laissa pas le temps. « Rien n’est permanent ici, tout ce qui est vivant sur la Terre est en danger et mérite d’être protégé ». Je tentais un peu de réconfort : « Gardons espoir ma chère Terre, les prises de conscience sont nombreuses et la volonté de stopper le déclin est bien là, du moins pour un nombre croissant de femmes et d’hommes.» Avec un besoin évident d’exprimer son mécontentement trop longtemps retenu, Elle poursuivit : « Je suis là depuis des milliards d’années et sans doute encore pour quelques autres milliards, toi et les autres vous aurez disparu depuis longtemps, en laissant derrière vous des forêts sans arbres, des mers sans poissons, des montagnes sans neige et des champs sans insectes. » La voix enflait emplie de colère et de désespoir. J’aurais voulu la calmer mais je me sentais si petite et si impuissante face à Elle. « Ta planète est unique et même si certains aiment à le penser, il n’y a pour vous les humains pas de planète de remplacement, pas de planète B ! » Cela j’en étais persuadée. « Je suis bien d’accord avec toi ! Pour moi les missions sur la Lune ou sur Mars destinées à y installer bientôt des humains relèvent de l’utopie. Je n’ai pas envie de vivre ailleurs que sur la Terre ! ».
La priorité en effet n’est-elle pas de préserver notre magnifique planète bleue comme une orange comme dit le poète? Une priorité ou plutôt …une urgence ?
__________________