Un si joli tableau
Publié le 26 Mai 2024
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Roméo, souvent seul à la maison, s’invente des jeux. Depuis leur déménagement, son père a entassé des objets ramenés de son ancien foyer, pour lesquels il n’a pas encore trouvé d’emplacement idéal. C’est vrai qu’il n’a pas beaucoup de temps pour s’occuper de la décoration de leur nouvelle maison. Il essaie de passer son peu de temps libre avec son fils.
Roméo, heureusement, a une imagination débordante, ce qui lui permet de ne pas trop souffrir de sa solitude. Ce matin, il est monté au grenier, parce qu’il avait remarqué dans un coin un tableau entreposé recouvert de toiles d’araignées. Avec un balai trouvé sur place, il a débarrassé la peinture de son décor de soie, tout en surveillant les deux araignées qui se sont enfuies sous la caresse du balai. Roméo, qui a été élevé dans une ferme, n’est pas impressionné par les insectes et autres bestioles de toutes sortes. De la main, il essuie la poussière qui masque le dessin, et découvre l’étrange tableau : une fenêtre ouverte sur un paysage marin, des arbres qui balancent leurs branches, il sent presque le vent dans les feuillages… Des petits voiliers naviguent au premier plan sur une mer aussi bleue que le ciel, et, à l’arrière, un transistor géant, les pieds dans l’eau…
Roméo ne comprend pas très bien ce que fait ce poste de radio dans l’eau, c’est peut-être quelqu’un qui l’a jeté. Roméo sait bien qu’il ne faut pas se débarrasser des objets inutiles dans la nature, il faut les emmener à la déchetterie. La maîtresse leur avait fait faire une sortie éducative en début d’année, elle avait emmené tout son petit monde au bord de la rivière dans un endroit un peu isolé, et les enfants avaient constaté que des gens avaient jeté dans l’eau des objets inattendus : une machine à laver, un vélo tout rouillé, des pneus de voitures, beaucoup de bouteilles en plastique et en verre, et d’autres choses indéfinissables. Mademoiselle Lambert avait distribué des gants en plastique et des sacs poubelles à ses élèves, et ils avaient nettoyé les bords de la rivière en enlevant les petits objets à leur portée. Ils avaient séparé le verre et le plastique des autres détritus. Un monsieur était venu avec sa camionnette prendre les sacs pour la déchetterie. Et le lendemain, Monsieur le Maire était venu apporter des biscuits et des bonbons pour les enfants. Ils avaient été félicités, et on avait pris des photos. On avait bien profité de ces moments agréables.
Mais ce transistor, là, c’était bizarre… et soudain, sous les yeux ébahis de Roméo, le poste de radio se transforme en paquebot. L’antenne devient une grande cheminée qui se met à fumer, le bateau possède des hublots, et des ponts sur lesquels les passagers se promènent. Il entend les conversations et les cris de joie des enfants embarqués pour aller en Corse. Aller en Corse, comme l’avait fait sa Tata Marie, elle avait débarqué à Calvi, elle avait montré des photos à Roméo. Là, sur le Transistor-Bateau, Roméo aperçoit sa maîtresse et les élèves de son école. Il est heureux, il va enfin faire un voyage, il en rêvait depuis longtemps. En regardant le bateau plus attentivement, Roméo va constater que le capitaine, à l’avant du bateau, n’est autre que son Papa, et le Second, avec cette belle casquette, mais oui, c’est Maman ! Plus de prison, plus de visite encadrée par les Gardiens pour aller la voir : tous sont libres, heureux, sur cette mer si bleue et si calme !