Le désert

Publié le 15 Mai 2024

 
 
... Moteur... ? ... bateau...
Le bourdonnement d'une mouche traverse la conscience de Pierre.
La tempête... la tempête...
Doucement, il émerge, réalise qu'il est au chaud, au sec.
La mouche continue son vol vrombissant.
C'est ça, le moteur... mouche à moteur...
La réalité s’immisce dans ses sensations. A peu près réveillé, il ouvre les yeux. Au-dessus de lui, le toit d'une tente. A côté de lui, une femme voilée, dont il n'aperçoit que le regard sombre, lui tend un mug fumant.
 
Il s'assied à demi et avale le thé à la menthe le plus délicieux, le plus réconfortant qu'il ait jamais goûté. Cela finit de le réveiller.
Il explore son environnement. Par l'entrée ouverte de la tente, il distingue des hommes en djellaba, turban sur la tête, devant une montagne de roches arides.
Hommes du désert... comment... refaire le film... la tempête, au large de la Sardaigne... Aurais-je dérivé jusqu'au Maghreb ?
Pierre se tourne vers la femme, mais elle s'éclipse. Un homme entre, s'adresse à lui dans un français parfait :
- Bonjour, je suis Salah.
- Bonjour, je suis... je suis....
Terreur dans les yeux de Pierre. Son nom s'est envolé, emporté par les bourrasques furieuses.
- Tu ne sais plus qui tu es ? demande Salah.
- ...
Salah sourit, compatissant :
- Je vais te raconter où on t'as trouvé. On passait par la côte pour s'approvisionner en vivres et médicaments avant de repartir dans le désert. On a vu ton bateau échoué, fracassé. Tu étais inconscient, attaché par un cordage, bien mal en point, mais vivant. On t'a emmené avec nous, on t'a soigné. On a fouillé ton bateau, on n'a pas trouvé tes papiers d'identité. On a supposé que tu étais français à cause d'un journal dans la cale.
J'ai fait mes études en France, je suis médecin. mais je préfère la vie nomade à la routine d'un cabinet en ville. Je suis bien ici, avec les miens. Repose-toi, la mémoire te reviendra.
 
Pierre, épuisé, désemparé, se rendort aussitôt d'un sommeil sans rêve.
Les jours passent, il reprend des forces, participe à la vie du groupe, mais sa mémoire n'est pas revenue.
Sensation terrible que d'être sans passé, sans famille, sans ami, sans nom. Enfin, pas tout à fait sans nom : Salah l'a surnommé Yamal, espoir en arabe.
Bien besoin de yamal... Je ne sais plus où j'habite, au sens littéral de terme...
Car, il a tout perdu. Il n'a aucune idée d'où il vient, où il vivait, pourquoi il était seul sur un bateau. Rien, il ne sait plus rien. Il ne sait pas non plus ce qu'il va devenir. Rester avec ces gens qu'il commence à connaître et qu'il apprécie...? Se rendre dans une ambassade, expliquer son cas, avec toutes les complications qui ne vont pas manquer de lui tomber dessus...? Etait-il un honnête homme, un truand...?
Ses souvenirs s'arrêtent à la tempête, au bateau fou, au vent furieux, aux embruns glacés, à la corde qui l'a sauvé. Avant, rien.
 
Peut-être est-ce l'occasion de recommencer, ou plutôt, de commencer une vie, vierge de passé, riche d'avenir ? Une vie anonyme et nomade, camouflée sous une djellaba et un turban, dans les sables du désert...?
 
 

Rédigé par Mado

Publié dans #Ecrire sur des photos

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