FANTASMES 2
Publié le 23 Mai 2024
Il se réveilla sans le savoir. Encore eut-il fallu que ses yeux aient daigné se fermer pour lui accorder un semblant de sommeil réparateur. Mais il n’en était pas convaincu, tant il avait été perturbé par sa rencontre avec Madeleine. Demi sœur … ? Cela ne le gênait pas vraiment, mais elle savait trop de choses et sa façon de venir l’aborder laissait présager des ennuis, à brève ou moyenne échéance. Ses six veuvages, particulièrement productifs, ne laissaient aucune place à l’improvisation, et faisaient d’elle un personnage redoutable qu’il fallait aborder avec méfiance.
Ses réflexions furent brutalement interrompus par des coups violents assénés sur la porte de son entrée. Quoi encore ! pensa-t-il. Il n’avait pas d’ami et les femmes qui avaient croisé son chemin avaient laissé des morceaux d’elles-même, au hasard des ruelles et des poubelles de la cité. Il en avait éprouvé, ensuite, un bienveillant repos de l’âme. Mais l’instant présent n’était pas à l’évocation des souvenirs. Il n’avait pas posé les pieds par terre que sa porte s’ouvrit avec fracas .
Deux monstres, courts sur pattes, de cent à cent vingt kilos chacun, se postèrent, jambes écartées et bras croisés, de chaque coté de l’ouverture. Le battant de sa porte n’avait pas supporté le choc, paumelles et chambranle avaient été arrachés… Malgré son sang froid habituel, Pierre était stupéfait. Il resta silencieux et se réfugia dans l’expectative en attendant la suite des événements. Un bruit se fit entendre dans l’escalier. Des talons tintant gaiement sur les vieilles marches et un froufrou soyeux de vêtements féminins vinrent réveiller ses pulsions démoniaques.
Telle une star, un sourire éclatant sur les lèvres, Madeleine fit son apparition.
- Salut à toi frérot, je suis si contente de te revoir, mais j’espère que je ne te dérange pas ?
- Pourquoi tes deux bœufs ont-ils fracassé ma porte ?
- Ce ne sont pas mes bœufs, ce sont mes gorilles, tu vois bien qu’ils ne portent pas des cornes ! C’est ma protection rapprochée. Ils m’adorent et ils sont prêts à tout pour moi. Allons, ne fais pas la tête, j’aimerais que nous ayons une petite discussion de famille.
- Si tu n’y vois pas d’objection, j’aimerais ne pas rester à poil et passer un vêtement. Tes deux amoureux ne m’ont pas laissé sortir de mon lit.
- Ne te gêne pas pour moi. J’ai déjà vu des hommes dans ma vie, et puis entre frère et sœur il n’y a pas de secret.
- C’est vrai que, après six mariages, tu pourrais commencer à éditer un catalogue avec mode d’emploi. Avant, pendant et après. Surtout : Après !
- Pierre, tu es mauvaise langue. J’espère que tu plaisantes, car j’ai des grands projets et j’ai besoin de toi. Il faut que tu me rendes un service.
- A première vue, ça me paraît mal barré. Je n’ai pas de compétence particulière et je n’ai pas l’intention de changer quoique ce soit dans ce domaine. Quant à te rendre service...
- Pas de modestie entre nous. Tu sais très bien de quoi je veux parler. Mon septième promis est à point. Comme je te l’ai dit, il est très riche. Là n’est pas le problème, je sais gérer. Par contre je me suis liée avec une vieille dame qui possède une belle villa sur un grand terrain qui conviendrait parfaitement à l’affaire que je souhaite développer. Cette chère âme que je coucoune avec amour depuis un bon moment a eu la bonne idée de me désigner comme légataire universelle. Le seul problème c’est que la patience n’est pas ma qualité première…
- Je ne m’intéresse pas aux vieilles. Elles ne me procurent aucune satisfaction. Et je n’ai pas vraiment l’esprit de famille. Alors… D’autant plus que tu serais la première personne soupçonnée, après les nombreuses pertes cruelles que tu as subies en si peu de temps, les autorités autorisées pourraient se poser des questions. Tu ne crois pas ?
- Justement, si tu t’occupes de cette affaire à ta façon, ça serait comme une signature qu’ils connaissent déjà et cela ne ferait qu’une victime de plus à ton palmarès. En plus, le fait que tu diversifies l’intérêt que tu portes à tes pulsions dévastatrices ne pourrait que rajouter des difficultés à te cerner. Et puis, le fait que moi je sache est un élément dont tu ferais mieux de tenir compte… Je t’aime, tu sais ! Je m’en voudrais toute ma vie si je devais contrarier ta vie tranquille. Je suis si sensible au bonheur des gens que j’aime que je préférerais les voir mourir plutôt que de les faire souffrir. Que veux-tu, je suis une fleur bleue qui s’ignore et j’ai souvent les larme aux yeux quand je vois les vicissitudes de l’environnement dans lequel nous vivons.
Pierre venait de recevoir le ciel sur la tête. Il lui fallait un certain temps avant de réaliser dans quelle nasse cette espèce de demi sœur l’avait coincé.
- Toi tu sais, mais moi aussi je sais ! Tu gagnerais à me parler sur un autre ton. Tes deux veaux ne m’impressionnent pas. Parlons peu mais parlons bien. Dans tes projets, pour l’instant je ne vois qu’une gagnante et çà m’égratigne la peau des…
- Ne sois pas grossier ! Tu parles à une dame. Tu a raison, réfléchis tranquillement et revoyons nous disons... dans trois jours pour mettre au point le bien fondé de notre association. Qu’en dis-tu ?
- Trois jours, où ?
- Chez toi. J’aime bien ton taudis ça me rappelle mes débuts. On se fait la bise ?
- Faudrait pas exagérer Madeleine. Faudrait pas... Et viens avec tes deux louveteaux, méfie-toi de ta beauté, elle ne te met à l’abri de rien... Même en famille.