Les obsèques de Marcel

Publié le 9 Janvier 2024

 
Si les obsèques de Marcel Péricourt furent perturbées et s’achevèrent de façon chaotique, du moins commencèrent-elles à l’heure…Après de nombreuses discussions entre les copains de Marcel, le Maire qui connaissait l’aversion du défunt pour les gens d’église et le jeune prêtre qui ignorait la vérité et aurait bien voulu apporter une bénédiction à « ce pauvre jeune homme », le rendez-vous fut fixé le lendemain dans la salle commune de la Mairie, sans passer par le lieu de culte du village. Les jeunes étaient nombreux autour du cercueil, émus que l’un des leurs connaisse une telle fin, après une courte vie sans joie.
Tous savaient que Marcel, dans son enfance, avait souffert des non-dits et des sous-entendus, et certains se sentaient vaguement coupables … Beaucoup se souvenaient que l’arrivée du petit Marcel dans un groupe suscitait des murmures chez les adultes, des sourires entendus chez les ados, et l’enfant ne comprenait pas pourquoi. Sa maman l’avait mis, dès la maternelle, dans une école tenue par des religieuses. Même les « bonnes sœurs »se montraient désagréables avec lui, alors qu’il recherchait simplement un peu de gentillesse. Il se sentait souvent mis à l’index, sans explication. Sa maman lui avait rarement parlé de son papa, elle lui avait dit qu’il était parti très loin à cause de son métier, et qu’il ne pouvait pas venir le voir. Marcel en avait pris son parti. Lorsqu’il entra en pension au collège à onze ans, il devint le souffre-douleur d’une bande d’adolescents. On lui disait qu’il aurait dû se mettre des robes longues comme son père, et pas des pantalons. Et qu’on l’avait assez vu dans le village, qu’il n’avait qu’à rejoindre son père chez Africains. Lorsque sa mère venait le chercher le dimanche, elle voyait qu’il était toujours triste, elle n’arrivait pas à lui rendre le sourire. Il ne lui racontait pas tout ce qu’il subissait à la pension, il ne voulait pas inquiéter sa maman si douce avec lui. Après deux ans de souffrance, il apprit que sa maman était malade, elle dut se faire hospitaliser. Il allait la voir le dimanche, il rencontrait alors des dames qui lui rendaient visite, des dames avec des vêtements excentriques, des robes trop courtes ou trop décolletées, des lèvres trop rouges ou des yeux qui semblaient passés au charbon. Elles étaient si différentes des religieuses qu’il voyait tous les jours…La maman, très fatiguée, n’avait pas la force de donner des explications à Marcel. Une des visiteuses, très gentille, se fit un devoir de se substituer à la malade pour tout révéler au garçon. Elle le prit à part, et lui raconta alors des choses étonnantes sur sa vie. Il comprit alors que sa maman, Jeanne Péricourt, fréquentait journellement de riches messieurs, qui l’aidaient à payer sa pension à l’école religieuse. A ces mots, Marcel ressentit encore plus d’amour pour sa maman, qui se sacrifiait pour le bien de son fils. C’est alors que la dame lui parla de son père. Il apprit que sa maman avait travaillé pour lui, lorsqu’il était le prêtre de la chapelle du Sacré-Cœur. Elle évoqua une histoire d’amour entre les deux jeunes gens, ce qui eut pour conséquence l’arrivée au monde d’un petit Marcel. Même si le garçon était plutôt ignorant des choses de la vie, il comprit que sa naissance n’était pas la bienvenue aux yeux des gens du village. Choqué, il retourna à la pension, il pouvait maintenant réfléchir à sa vie. Quelques jours plus tard, il apprit le décès de sa maman…Il était vraiment seul, maintenant, perdu…Peu de temps après, il dut quitter la pension que plus personne ne payait…Il trouva du travail sur les marchés, pour aider les revendeurs. Le maire du village, ému par sa situation, lui trouva un petit logement. Marcel était sérieux dans son travail, les gens qui le connaissaient faisaient volontiers appel à lui. Il arrivait à vivoter, mais parfois il allait se consoler au bar du village, d’où il sortait en titubant. Jusqu’au jour où, en traversant le pont pour se rendre chez lui, il perdit l’équilibre et tomba dans l’eau glacée. Personne ne l’avait vu chuter. Il ne survécut pas. Ce n’est que le lendemain que son corps fut repêché, il n’avait que dix-huit ans. Le Maire et ses quelques copains décidèrent de l’enterrer au plus vite, avec les indigents. Le jeune prêtre, lorsqu’il fut au courant de l’accident, essaya de convaincre le Maire et les gens présents de faire une courte cérémonie religieuse, mais il fut confronté à une forte opposition : Marcel n’avait aucune sympathie pour la religion ou l’église, cette église qui avait envoyé le jeune prêtre du village comme missionnaire en Afrique, pour éviter un scandale, et qui ne s’était jamais soucié, dix-huit ans plus tôt, d’un enfant sans père !
 
Annie Tiberio
 

Rédigé par Annie

Publié dans #Divers

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