OBSEQUES ET CHAOS

Publié le 20 Décembre 2023

 
Si les obsèques de Marcel Péricourt furent perturbées et s'achevèrent de façon chaotique, du moins commencèrent-elles à l'heure, se dit le curé en bénissant une dernière fois le cercueil.
En tant qu’ami du défunt, il avait retrouvé la famille et autres connaissances à l’Athanée pour la levée du corps. Marcel Péricourt, élégant, impassible, bien installé dans le satin blanc de sa mise en bière, reçut tout ce monde avec la même superbe qu’il avait eu de son vivant. Il avait été homme autoritaire et respecté, à défaut d’être aimé, et entendait bien le rester jusqu’au cimetière. Il avait organisé lui-même ses obsèques, obsèques dans la droite ligne de ce qu’avait été sa vie, austère, sérieuse, rigide. Tout devait se passer selon un protocole strict, plein de déférence envers sa personne et à l’heure exacte. Même mort, M. Péricourt n’aurait toléré aucun retard ni imprévu dans son organisation rigoureuse.
L’abbé avait scruté jusqu’au bout le visage de Marcel, fasciné par cette « tache de vin » en forme de croissant au coin de l’œil qui, hier encore, accentuait son regard bleu, aujourd’hui caché sous ses paupières closes. A 10h15 précises, on ferma le cercueil et Marcel Péricourt disparut à jamais.
 
Et maintenant, le cercueil est devant l’autel de la chapelle chère au cher disparu. L’abbé lui tourne autour en agitant son encensoir. Des fumerolles s’élèvent autour de lui, parfumant toute l’église.
Pourtant, le curé avait bien cru qu’on y arriverait jamais. Car, si le corbillard était bien parti à l’heure de l’Athanée, durant le trajet jusquà la chapelle, un énorme couac vint perturber la belle ordonnance des choses : le corbillard creva.
Stupeur et épouvante dans le cortège ! Tout le monde s’attendait à voir surgir Marcel Péricourt de son cercueil, furieux, vociférant. Mais rien de tout cela ne se passa. Marcel était bel et bien mort !
Les croques-morts ont entrepris de changer la roue. Ils ont manœuvré le cric qui a soulevé le corbillard du côté gauche. Le cercueil penchait dangereusement pendant l’opération, menaçant de tomber. Marcel a dû littéralement se retourner dans sa tombe… Quelques sourires ont commencé à poindre dans les voitures, quelques rires ont suivi. Le protocole pompeux venait d’en prendre un coup dans l’aile. Finalement, corbillard, cercueil et cortège arrivèrent devant la chapelle avec une demi-heure de retard sacrilège. Tout le monde se recomposa une mine de circonstance et le cercueil fut amené devant l’autel. Les gens prirent place en respectant les consignes laissées par Marcel Péricourt et la messe put commencer.
 
Le curé dépose l’encensoir et se dirige vers le pupitre pour une lecture… qui n’alla pas bien loin. Au beau milieu de la 1ʳᵉ lettre saint Paul aux Thessaloniciens, un cri fuse parmi les fidèles. Au troisième rang, une jeune femme, Fanny Péricourt, nièce par alliance du défunt, se tient le ventre, un ventre de femme très, très enceinte, en regardant une flaque de liquide à ses pieds. Elle vient de perdre les eaux et les premières contractions d’un accouchement se manifestent.
Panique dans l’église. Appel des pompiers, arrivée tonitruante de l’ambulance. Marcel relégué aux oubliettes. Décidément, rien ne se passe comme prévu. La jeune femme est évacuée vers la maternité, accompagnée par son mari et sa mère. La messe peut continuer et se terminer sans autres incidents.
On emmène ensuite Marcel au cimetière. C’est lors de la descente du cercueil dans la tombe que la nouvelle fait le tour des téléphones : Fanny a mis au monde un garçon. Il a une « tache de vin » en forme de croissant au coin de l’œil qui accentue son regard bleu. Alors, les parents l’ont appelé Marcel, Marcel Péricourt.
Se pourrait-il que ce diable d’homme se soit déjà réincarné… ?
 

Rédigé par Mado

Publié dans #Divers

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