CROISIÈRE SUR LE RHÔNE

Publié le 19 Décembre 2023

 
Personnage :
 
Lucas Leblond
35 ans, de taille moyenne, un léger embonpoint.
Contrairement à son nom, il a des cheveux très noirs, coupés courts, yeux noisettes.
Visage agréable, barbe de trois jours.
Célibataire, pizzaiolo. Il a un camion à pizza garé dans le quartier ouest de Nice.
Plutôt discret, mais curieux. Il aime se cultiver, découvrir le monde.
Fasciné par le système des écluses, il rêvait depuis longtemps de faire une croisière fluviale.
Tiendra son journal de bord.
Il garde toujours un petit carnet vert et un stylo prêts à prendre des notes dans sa poche.
 
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LE DÉPART
 
6 Novembre 2023
 
Je commence ici mon journal de croisière sur le Rhône. Départ : Arles
Le Commedia dell'arte, sympathique péniche, m’attendait le long du quai. Quand je suis arrivé pour embarquer, il y avait deux personnes avant moi, une belle jeune femme brune et un homme quelconque. Ils se sont tournés vers moi pour me saluer, et là, j’ai eu un choc, genre coup de foudre. Je n’ai plus vu qu’elle. Superbe, magnifique. J’ai perdu pied, impression de me noyer... Je suis resté là, à couler sans réagir, comme un imbécile. Heureusement, le personnel de bord est intervenu pour nous accueillir ; j’ai retrouvé mes esprits et un peu de dignité.
 
Nous sommes montés à bord. Une dame, la cuisinière, je crois, nous a conduits vers nos cabines.
Ça va être tranquille comme croisière ! Nous ne sommes que trois passagers, en fait que deux, cette ravissante inconnue et moi-même, car, si j’ai bien compris, le petit bonhomme insignifiant serait le pilote de la péniche. Tant mieux ! Ça me va tout à fait cette escapade intime…
La bonne surprise, c’est que la belle inconnue s’installe dans la cabine voisine de la mienne. Elle avait quelques difficultés à ouvrir sa porte, je lui ai proposé mon aide et nous avons pu faire connaissance. Enfin, c’est surtout moi qui parlais, elle, elle est du genre timide… mais tellement belle ! Elle me trouble trop avec ses formes pleines. Et je n’ai pu empêcher mon regard de glisser vers son décolleté appétissant en diable. J’espère qu’elle ne s’en est pas aperçue…
Si j’osais, je me laisserais envisager une romance au long du Rhône…
 
Bon, pas d’anticipation. Restons concentré sur le but de ce voyage : les écluses, le paysage au fil de l’eau, la lenteur, la douceur, la tranquillité. Quel pied !
A peine entré dans ma cabine, j’ai sorti mon carnet pour noter… ce que je suis en train d’écrire.
Ma cabine est agréable. Une petite fenêtre carrée avec des rideaux en vichy rouge, à travers laquelle je peux admirer le paysage, que je verrai bientôt défiler dans toute sa sérénité.
J’ai l’impression d’être dans une maison de poupée ambulante ! Sur la couchette, un édredon moelleux, des coussins douillets, c’est bien plus confortable que chez moi !
La cabine est lambrissée, une lampe rose ajoute à son ambiance reposante. Je sens que ce voyage va être magnifique.
 
Ah ! Ça bouge. Je file sur le pont pour ne rien rater du départ.
 
 
7 novembre 2023
 
J’ai regardé la péniche s’éloigner du quai hier. Arles me regardait partir et j’ai vécu littéralement l’expression ‘‘larguer les amarres’’. Sur le fleuve large, le bateau glissait. On a quitté la ville pour des rives boisées. L’automne dans toute sa splendeur ! Du rouge, du jaune, de l’ocre, de l’or.
Je suis resté longtemps à contempler le paysage, la campagne tranquille. Parfois, j’ai senti la présence de la belle inconnue. Elle allait de l’autre côté du pont, repartait. Mais je n’avais pas envie de lui parler, je voulais juste savourer l’instant lent, mouvant, dans ce ruban d’azur doré.
 
 
UN DÎNER RAFFINÉ
 
8 novembre 2023
 
Ce soir, dîner de bienvenue à la table du commandant, comme sur les grands paquebots.
On s’est retrouvés à 20h dans la salle à manger, la belle inconnue qui ne l’est plus car j’ai appris son nom, Melinda, et Paul, le pilote de la péniche, que je n’ose appeler ‘‘commandant’’, tellement il est quelconque. Rien à voir avec l’image de prestige viril d’un uniforme ! Melinda, elle, est resplendissante. C’est fou l’effet qu’elle me fait ! J’ai du mal à ne pas oublier mon regard sur elle.
 
Nous prenons place autour d’une table de fête toute en nappe blanche et couverts délicats. De la cuisine s’échappent bruits de casseroles et appétissants fumets bientôt matérialisés par de œufs pochés et mousseline de topinambour. C’est écrit sur le menu, sinon, je ne l’aurai jamais trouvé tout seul… Pas mauvais… un peu pâteux sur la langue cette mousseline, vaguement sucrée… étonnant… Des champignons rôtis suivent. Quel délice ! Fondants à souhait. L’odeur boisée des champignons précède leur saveur si particulière, j’adore. Humer d’abord, déguster ensuite, je suis au paradis ! Un vin blanc épanoui, dont j’ai perdu le nom, en sublime le goût.
Melinda, face à moi, semble se régaler aussi. Ses yeux pétillent. Paul sauce son œuf sans faire de manières. Pour un peu, il mettrait sa serviette autour du cou. De temps en temps, il zieute discrètement la belle. Faut dire qu’elle ne passerait pas inaperçue même si on était une vingtaine à table.
 
L’arrivée du saumon et son lit de lentilles me ramènent vers mon assiette. Le mélange est plutôt chouette, les saveurs se marient bien. C’est délicieux, cuisson impeccable. Pourrais-je m’en inspirer pour de nouvelles pizzas.. ? Pizza saumon-lentilles ? Cette idée m’amuse, j’ai légèrement pouffé, ce qui a surpris mes deux compagnons. Alors j’ai expliqué pourquoi ; du coup, ça a détendu l’atmosphère un peu guindée et tout le monde s’est marré.
Et puis, j’ai croisé le regard de Melinda, profond, mystérieux. Je ne sais pas ce qu’elle cache, qui elle est, mais j’ai furieusement envie de le découvrir.
 
Au dessert, entremet coco, mangue, passion, crème fouettée, frais et onctueux, saveurs acidulées exotiques qui explosent sur la langue, aussitôt adoucies par la crème… la cuisinière s’est surpassée, ce soir…
Au dessert, donc, j’avais réussi à faire rire Melinda trois fois et lui arracher quelques phrases. Voix mélodieuse qui m’a fait frissonner alors qu’une chaleur incongrue monte jusqu’à mes joues. J’espère que ça ne s’est pas vu…
Quant à Paul, il est plutôt agréable. On a parlé écluses, ce qui n’a pas eu l’air de passionner Melinda. Ce qui m’inquiète un peu, c’est que j’ai repéré quelques incohérences dans ses explications. J’espère qu’il sait ce qu’il fait… Je vais rester vigilant.
 
En tout cas, j’ai beaucoup aimé cette soirée tranquille. Paul et Melinda sont des compagnons de voyage charmants. Surtout Melinda… serais-je en train de tomber amoureux… ?

 

L'ESCALE EN AVIGNON

9 novembre
 
Aujourd’hui, escale à Avignon. La péniche accoste en douceur. Nous sommes sur le pont, Melinda et moi, prêts à débarquer. Devant nous, le Palais des Papes, monumental, tout en pierres blanches, se dresse au-dessus de la ville. D’abord happé par les hautes tours, le regard tombe ensuite sur les toits aux tuiles rouges avant de couler jusqu’au port où s’affairent quelques plaisanciers.
Les moteurs de la péniche se taisent. Paul nous rejoint. Nous partons tous les trois vers le centre ville. Nous traversons des ruelles encombrées d’étals à touristes. Epices colorées aux odeurs exotiques, marchands de foulards, d’éventails bigarrés, pizzerias, kebab… j’ai l’impression de traverser le Vieux-Nice. La cause touristique rend les vieilles villes interchangeables. Dommage ! Au détour d’une venelle, un pan de palais papal bouche le ciel. Melinda ne peut retenir un Oh ! de surprise ravie et presse le pas. Ce palais l’attire plus qu’un aimant, en tout cas plus que moi. Elle ne me calcule guère. Ce qui me console, c’est qu’elle ne semble pas plus intéressée par Paul qui n’a pas hésité à laisser la péniche à la seule garde de la cuisinière pour nous suivre… enfin, pour la suivre...
Nous débouchons devant une immense place peuplée de touristes. Le palais, impressionnant ! Splendeur médiévale parfaite, bâtie d’arcades, de tours, de créneaux, de murs, de pierres, de murs, de pierres, harmonieux et massif à la fois. Je me sens tout petit devant cet édifice, pour un peu, je retrouverais la foi. Melinda semble l’avoir en elle, la foi. Elle est en contemplation, avec une lumière nouvelle dans ses yeux d’émeraude, comme une joie profonde qui la rend encore plus belle.
Elle nous propose de faire la visite du palais. Je décline l’offre. Ça va prendre trois plombes, je préfère tracer vers le fameux Pont d’Avignon, vestige d’un pont médiéval dont il ne reste aujourd’hui que quatre arches et surtout, j’aimerais trouver un moyen d’aller jusqu’à l’écluse d’Avignon. La voir de la rive avant de la franchir demain en péniche. C’est quand même ce qui m’a poussé à faire ce voyage… Melinda sourit devant mon enthousiasme. Il paraît que lorsque je parle d’écluse, je m’illumine, enfin, c’est ce qu’elle m’a dit. Et ça, ça m’illumine encore plus !
Finalement, Paul et elle iront visiter le palais pendant que je fonce vers l’écluse et on se retrouve pour déjeuner ensemble vers 13h devant le Pont où nous danserons ensemble…
J’ai trouvé un bus, je suis arrivé devant l’écluse, en apnée devant des chutes d’eau tonitruantes. Un vacarme d’écume, de vent, d’embruns de rivière auxquels manque le sel. En amont, c’est tout calme. Une étendue d’eau tranquille, des canaux et l’usine hydroélectrique post-art-déco, classée aux Monuments Historiques. Vivement demain sur la péniche !
A 13h, j’ai retrouvé Melinda et Paul, comme convenu, devant le Pont d’Avignon. Nous avons déjeuné d’une pizza approximative, rien à voir avec mon savoir-faire ! Mais j’ai oublié illico l’absence de saveur de la pseudo-pizza quand Melinda nous a raconté le but de son voyage : elle envisage de devenir bonne sœur et profite de cette croisière sur le Rhône afin d’obtenir les bonnes réponses à ce grand choix de vie. J’en reste sur le cul ! Paul aussi !
Deux ou trois verre de vin plus tard, j’ai réussi à intégrer le truc et c’est à peu près rasséréné que je suis mes compagnons vers le pont. Là, j’ai osé ! J’ai esquissé un pas de danse et tenant la main de Melinda du bout des doigts, genre menuet. Sympa, elle a joué le jeu et a fait de même avec Paul. Puis, on s’est promenés sur le pont, le Rhône magnifique sous nos pieds. Le soleil commence à décliner, le fleuve vire au pourpre, les pierres du Palais des Papes se teintent de rose et d’ocre. Nous repartons vers la péniche dans une lumière dorée presque surnaturelle, d’une beauté qui m’étreint le cœur.
Maintenant, à l’abri dans ma cabine, j’écris pour raconter et surtout garder le souvenir de cette journée. Je ne veux rien oublier.

 

UN AUTRE REGARD

10 novembre
 
Ce matin, glissé sous la porte de ma cabine, il y avait un billet avec cette citation :
Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.
De nouveaux yeux… cela mérite que je m’y arrête. Mon regard sur les choses a-t-il changé en ces quelques jours de navigation ? Peut-être…
 
Le fait de côtoyer ce Paul que j'ai découvert tout empêtré par l’emprise de sa mère me donne à réfléchir, m’incite à plus de bienveillance envers lui. Et Melinda ! Moi, le ‘‘célib’’ endurci, protégeant depuis toujours ma liberté et mon indépendance, je serais prêt à renoncer à tout ça pour elle, elle qui n’a d’yeux que pour Dieu ! Ce voyage lui donnera-t-il de nouveaux yeux à elle aussi ? Des yeux qui me regarderaient moi ? Difficile de rivaliser avec son fantasme divin, mais sait-on jamais…
En tout cas, il me semble que je suis plus ouvert aux autres, enfin, je crois... Car le fait même d’avoir reçu ce message pose question et pourrait vouloir dire tout à fait le contraire… Me préconiserait-on d’être plus à l’écoute d’autrui et moins à celle des écluses ?
 
Les nouveaux paysages se fichent bien de la façon dont on les regarde, mais les gens…
Quels gens, au fait ?
Sur ce petit bateau, nous ne sommes pas nombreux. Qui m’a envoyé ce message ? Procédons par élimination :
- la cuisinière ?… mmm… non, je ne pense pas.
- Melinda ? Aimerait-elle que j’ai de nouveaux yeux, que je la vois comme la nonne qu’elle souhaite devenir et non comme la femme qu’elle est ? Ça sera dur, mais s’il le faut… Cela dit, je ne crois pas que ce soit d’elle, ce message énigmatique. Ça ne colle pas avec le peu que je sais d’elle.
- Paul ? Il ne reste que lui. Il est parfois tellement falot que j’ai du mal à cacher mon agacement. L’aurait-il ressenti ? Voudrait-il de ma part un peu plus d’attention amicale ? A moins qu’il n’ait le béguin de moi… ? Non, vu comment il regarde Melinda, ce n’est pas ce genre de chose qu’il recherche. Ce serait plutôt l’inverse : de nouveaux yeux pour que je regarde ailleurs que sur elle ! C’est sûrement plus probable !
 
Tout bien réfléchi, je penche pour Paul et je vais lui répondre par un petit billet moi aussi :
 
 
                                   Bonjour Paul,
 
J’ai reçu ce matin un message anonyme avec cette citation : ‘‘Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.’’
J’ai réfléchi à sa signification, analysé quel impact cela a sur moi et j’ai envie de partager mes réflexions avec toi.
D’ailleurs, j’ai dans l’idée que c’est toi qui me l’a envoyé. Est-ce le cas ? Serais-tu d’accord pour qu’on en discute ?
Je pense que ce serait une bonne chose pour tous les deux.
 
         Bien amicalement
                                                     Lucas
 
 
Je relis ma lettre… je ne sais pas trop si ça vaut le coup de la lui faire parvenir… Je vais plutôt parler de ce message à tout le monde, tout à l’heure, au salon. En attendant, je file sur le pont, on va franchir l’écluse.

 

AU SALON

10 novembre au soir
 
Ça y est, j’ai franchi l’écluse !
Comme il n’y avait pas d’éclusier, avec Melinda nous avons ouvert les vantelles aval pour vider le sas, puis ouvert les portes. La péniche est rentée dans l’écluse, on a refermé les vantelles aval. Puis on a manœuvré sur les vantelles amont pour remplir le sas. Le bateau montait tranquillement le long des quai. Il fallait tout de même le sécuriser par des cordages pour qu’il ne heurte pas les bords de l’écluse. Une fois le niveau d’eau atteint, on a ouvert les portes amont, la péniche est sortie de l’écluse, alors on refermé les portes, la péniche est venue accoster au ponton d’attente pour nous récupérer et nous sommes repartis. Fascinant ! Ce système d’eau qui monte, qui descend, ça m’épate toujours autant ! J’en oublierai même le message anonyme reçu ce matin.
 
Mais Paul a enquêté. Il nous rassemble tous au salon, la cuisinière, Melinda et moi, et nous apprend que l’on a tous reçu, ce message.
– Alors qui ? Et pourquoi ? demande-t-il.
– Est-ce vraiment important de le savoir ? répond la cuisinière. Après tout, ça a mis un peu de piment dans cette croisière. En tout cas, moi, ça m’a fait réfléchir et sortir de mes casseroles.
– Vous avez raison, ajoute Melinda. Moi aussi, ça m’a fait réfléchir…
Son regard se perd quelque part très loin. Cette citation a dû l’emmener vers quelques rivages secrets ou divins...
– Moi, dis-je, j’ai cru que c’était Paul qui m’avait adressé ce message.
Melinda sursaute, rougit. Peut-être pensait-elle que c’était moi qui lui avais envoyé cette citation… J’ai croisé son regard un peu perdu et quelques petits bruits incongrus, genre flatulences intempestives, se sont alors faufilés parmi nous. Instant de gêne dans le salon... Melinda a pété.
Je reprends vite la parole :
– J’ai imaginé plusieurs hypothèses, mais elles sont tellement débiles que je n’ose vous les soumettre..
S’ensuit alors un échange décousu, vite clos quand la cuisinière nous dit :
– C’est peut-être l’inconnu qui est monté à bord pendant l’escale. Je l’ai trouvé devant la cabine de Paul. Le genre ermite en robe de bure, ou un moine peut-être. Je lui ai demandé ce qu’il faisait là, il ne m’a pas répondu, alors je l’ai raccompagné sur le quai.
Paul s’énerve :
– Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi tu ne me l’a pas dit ?
– Pour ne pas t’inquiéter ! Tu es tellement stressé… J’ai vérifié qu’il n’emporte rien et je l’ai mis dehors. Fin de l’histoire.
– Peut-être aurait-il aimé naviguer avec nous pour nous montrer la lumière et il nous a laissé son message à la place… ? suggère Melinda.
Cette idée me laisse pensif..
– Nous serions les nouveaux yeux d’un ermite, quelle idée poétique ! dis-je.
Paul conclut :
– Soit, va pour l’inconnu puisque personne ne se dénonce.
 
C’est ainsi que se termine l’anecdote « citation anonyme ». Ça me va.
En tout cas, mes nouveaux yeux m’ont permis de percer un autre secret de Melinda : quand elle est émue, elle pète. Toute une série de petits pout pout pout. C’est trop mignon !
 
SOIRÉE D'ADIEU
12 novembre
 
L’énigme de la citation résolue, nous avons continué le voyage. Avec Melinda, on a profité du paysage, accoudés au bastingage. On a bavardé comme de vieux camarades, elle m’a parlé de sa foi, des questions dont elle n’a pas encore la réponse, et moi, je lui ai parlé de mon camion à pizza, tellement plus terre à terre, mais quand je l’ai invitée à venir en déguster si elle passe par Nice un de ces jours, elle a souri ; j’ai pris ça pour un oui.
On a vu apparaître la ville de Valence, notre prochaine escale. On a débarqué, Paul s’est joint à nous, bien sûr ! Tous les trois, on a visité la cathédrale de fond en comble. Melinda est un guide hors pair. Elle connaît son affaire et nous a tout expliqué. L’escale a été courte, juste une demi-journée. L’après-midi on a repris la route, ou plutôt le fleuve. Demain, fin du voyage, on arrivera à Lyon. Je sens déjà poindre une once de nostalgie… vite oubliée quand Lucie, la cuisinière, nous annonce une soirée d’adieu jazzy. Voilà qui est intrigant !
Un mystère vite résolu : Un musicien est monté à bord à Valence. C’est le neveu de Lucie, guitariste de son état, qui propose d’animer la soirée en échange de son transport jusqu’à Lyon. Why not ? Un peu de musique pour finir le voyage, quelle belle surprise !
 
Le soir, après le dîner, le musicien s’est installé avec son matériel dans le salon. Un jeune mec, genre beau gosse, chemise rouge, guitare rouge, avec juste ce qu’il faut de barbe et de cheveux pour être sexy. Manquerait plus qu’il ait du talent ! Je me sens nul avec ma calvitie naissante, mon embonpoint qui s’affirme et mon four à pizza pour unique talent. Melinda semble déjà subjuguée… Je vais la lui faire avaler sa guitare !
Et puis, il a commencé à jouer, un air tout tranquille qui se promène, nous promène, on s’est laissés porter. Il a enchaîné ainsi des standards connus, des airs de sa composition, toujours dans une ambiance intimiste, propice aux conversations paisibles.
Paul nous a rejoint, on a discuté tous les trois au son du jazz, de tout, de rien, de nous, de notre rencontre… puis, la musique est devenue plus entraînante, on a eu des fourmis dans les jambes et nous voilà partis à nous trémousser tant bien que mal sur du be-bop. On devait former un trio plutôt comique à en croire la mine hilare du guitariste! On s’est bien amusés. Fous-rires quand Paul s’est emmêlés les bras pour faire pirouetter Melinda, fous-rires devant mes pas de danses hybrides entre twist et sirtaki. Melinda nous a accordé, à tour de rôle, quelques pseudos-rocks ou assimilés. J’ai fait au mieux, mais je crois que j’étais plus proche du pire ! L’important, c’était la lumière dans les yeux de Melinda. Pas besoin de boule à facettes, son regard plein de joie a suffi pour illuminer la soirée. Plus tard, la musique s’est faite douce, j’ai pris Melinda dans mes bras et on a dansé, comme bercés, serrés l’un contre l’autre. Un moment suspendu, où le cœur se dilate, gonflé de musique et d’amour. J’ai eu du mal à redescendre du nuage enchanté.
La soirée s’est terminée comme elle a commencé, avec des musiques faites pour converser, un verre à la main, ambiance cosy, détente… On a échangé nos adresses, nos téléphones, nos mails, enfin, tout ce qu’on a pu échanger pour rester en contact, se donner mutuellement des nouvelles et pourquoi pas se donner rendez-vous, un jour, plus tard… Melinda nous promis de nous faire part de sa décision au sujet du noviciat. J’attends déjà ses messages…
Les dernières notes de musique s’égrènent. La guitare se tait, le musicien salue. Finalement, il est très bien ce guitariste, on l’a applaudi et je suis même allé le remercier pour sa prestation. La soirée a été parfaite.
Maintenant, dans ma cabine, j’essaie de ne rien perdre de tout ça, de tout consigner dans mon petit carnet. De retour chez moi, je mettrai tout au propre pour en faire un récit de voyage. Mais pour l’heure, il est temps d’aller dormir. Demain, on arrive à Lyon, tout le monde descend. J’irai passer quelques jours chez des potes et je repartirai en train pour rejoindre Nice.
Bye, bye la croisière sur le Rhône, bye, bye le Commedia dell'arte, ça pique un peu du côté du cœur, ce soir…
 
 
Epilogue
 
Plus d’un mois s’est écoulé avant que je reçoive des nouvelles de Melinda et Paul. C’est arrivé aujourd’hui, 18 décembre, sous forme de cartes de vœux pour Noël.
Melinda, de sa belle écriture fine, m’apprend qu’elle est entrée au couvent et qu’elle est à présent sûre de son choix. Je m’y attendais et je crois même que je suis content de sa décision. Cet amour est si particulier que je ne peux envisager d’autre forme que platonique. Il est né sur un fleuve, il continuera d’irriguer ma vie, je le sais, et elle le sait aussi. J’aurais eu trop peur de le gâcher, le banaliser, si on était partis dans une relation de couple. Je préfère le garder ainsi, immatériel et immuable, doré comme la lumière du soleil sur le Rhône.
Quant à Paul, il m’apprend qu’il a envoyé balader son insupportable mère et m’invite à passer Noël dans une auberge tout près d’un certain couvent, avec messe de minuit chantée par les novices. Je crois que ça être le plus beau Noël de ma vie !
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Rédigé par Mado

Publié dans #Ecriture collective

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