LA CROISIÈRE DE L'ESPOIR
Publié le 30 Décembre 2023
La croisière de l’oubli
Personnage :
Valentine Doisneau
42 ans divorcée sans enfant
Photographe
Grande, élancée, elle a de longs cheveux noirs et de grands yeux verts toujours à l’affût d’une image à emprisonner dans son appareil qui ne la quitte jamais et qu’elle porte en bandoulière.
Sa passion est sans doute l’héritage de son arrière grand-père, le célèbre photographe Robert Doisneau, a qui elle doit aussi son insolence face à l’autorité et son besoin d’indépendance.
Elle est aussi volontaire, dynamique avec un goût prononcé pour tout ce qui est beau. Elle est libre aussi bien dans sa tête que dans ses actes. Et elle aime la vie par-dessus tout.
En faisant cette croisière, elle veut écrire en images le premier chapitre de sa nouvelle vie. Elle rêve de belles surprises et de rencontres imprévues…
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L’EMBARQUEMENT
Le jour du départ est enfin arrivé magnifié par une météo de saison : ciel bleu, brise légère, mer d’huile. Je suis sur le quai avec ma valise flambant neuve, au pied de ce géant des mers au nom évocateur : « Le Comté de Provence ». Je me sens bien petite à côté de lui, émue et intimidée à la fois. Une photo bien sûr s’impose, la première de cet album que je compte enrichir tout au long de mon voyage. Les voyageurs se pressent devant la passerelle : les uns agités et bruyants, les autres silencieux et un peu angoissés. Enfin me voilà arrivée sur le pont, un peu désorientée. Mais, un charmant steward à l’accent italien et au sourire ravageur, vole à mon secours et quelques instants plus tard je peux prendre possession de mon nouveau domaine. Je ne regrette pas d’avoir été déraisonnable en choisissant une cabine sur le pont supérieur car elle est somptueuse ! Tout est raffiné, élégant, confortable. Un vers de Baudelaire me revient alors en mémoire dans son invitation au voyage « Là, tout n’est qu’ordre et beauté Luxe, calme et volupté ». Conquise et ravie, je m’allonge sur le lit, je ferme les yeux et je rêve au merveilleux voyage que je vais faire qui j’espère va changer ma vie…
LE DÎNER A LA TABLE DU COMMANDANT
Aujourd’hui j’ai décidé de m’occuper de moi. Il faut que je sois irrésistible pour le dîner de ce soir à la table du commandant. Je commence par un massage relaxant. Je m’offre ensuite un soin du visage complet et un maquillage léger et je finis entre les mains du coiffeur. Concernant ma toilette j’ai opté pour une robe longue noire et légèrement fendue sur le côté accompagnée d’une étole en mousseline parme parsemée de fils argentés. Mes nouveaux escarpins ajoutent une touche élégante à l’ensemble. L’image que me renvoie le miroir me satisfait pleinement et c’est avec le sourire que je quitte ma cabine.
Je pénètre dans la salle de restaurant et me dirige vers la table du commandant au centre de la pièce. Elle est vraiment magnifique et d’un raffinement extrême : assiettes blanches avec liseré doré, verres en cristal et couverts en argent. Je cherche mon nom et le trouve rapidement. Je suis placée entre M. Gino Baldino et Sir Edward James Nottinghale. Au moment de m’asseoir un couple arrive et se place en face de moi. L’homme a belle allure et son regard bleu azur est magnétique. Je remarque alors que la jeune femme qui l’accompagne porte la même étole que moi. Elle répond à mon regard surpris par un sourire espiègle qui me la rend aussitôt sympathique. Mes voisins arrivent quelques minutes plus tard et me saluent poliment. M.Baldino est grand, musclé et vraiment séduisant. Il semble très à l’aise. Sir Edward, lui, est très distingué. Elégamment vêtu, il parle avec un fort accent anglais. Il m’intimide un peu. Pour me donner une contenance, je consulte le menu avec attention. Je remarque que l’homme en face de moi fait de même. Il n’a pas prononcé un seul mot depuis son arrivée à table et il évite de me regarder.
Le repas commence dans le calme. L’assiette que l’on pose devant moi est dressée avec style et une délicieuse odeur de vin caramélisé chatouille mes narines. M. Baldino se penche vers moi pour me servir un verre de vin. Son sourire éclatant et ses yeux de braise me font tourner la tête avant même d’avoir bu. Cette impression est accentuée par le brouhaha qui règne dans la salle, le tintement des verres et la chaleur qui monte peu à peu. Le plat principal est délicieux : le goût délicat du homard sublime celui du saumon et les lentilles fondent sous la langue. Quand le dessert arrive je me sens parfaitement à l’aise. Pendant que Sir Edward discute avec l’homme au regard bleu, je fais plus ample connaissance avec Julie qui me fait face et le courant passe vraiment entre nous. Les plaisanteries de M. Baldino nous font beaucoup rire. Seul l’homme en face de moi reste toujours aussi silencieux. La seule personne qui semble retenir son attention est sa voisine de gauche dont le prénom est Maya. Elle porte un bandana autour du cou et plusieurs bracelets multicolores aux poignets. Quand elle se penche vers lui, elle parle à voix basse et avec beaucoup de sérieux ce qui dénote un peu au milieu de l’atmosphère festive qui règne ce soir.
Le repas terminé, les convives se lèvent et prennent congé auprès du commandant. M.Baldino me propose d’aller boire un dernier verre au piano bar mais je décline poliment l’invitation. Demain peut-être ? En arrivant à ma cabine je constate avec plaisir que mes voisins sont en fait Julie et l’homme au regard bleu. Je suis ravie ! Ils me proposent de nous revoir le lendemain ce que j’accepte volontiers. La croisière promet de belles surprises !
ESCALE A BARCELONE
Quand je me réveille le lendemain, un magnifique soleil inonde ma cabine. C’est le temps idéal pour l’escale prévue aujourd’hui à Barcelone. Je me dépêche de rejoindre les autres passagers sur le pont, pour assister à l’arrivée dans le port. Je cherche des yeux mes voisins de cabine, Julie et Alistair, mais je ne les vois pas. Je ferai donc la visite de Barcelone en solitaire. Je sais que l’on peut rejoindre le centre de la ville à pieds en quelques minutes et je me mets en route. J’admire au passage la célèbre statue de Christophe Colomb qui s’élance dans le ciel bleu…
Me voilà maintenant sur la fameuse Rambla, avenue emblématique de la ville et la plus touristique. Très animée, elle est jalonnée de chaque côté de marchands de fleurs, de commerces, de nombreux bars et restaurants. Me voilà arrivée devant la Boqueria, le grand marché de la ville, unique par sa grandeur et la profusion des mets qu’il propose : fruits frais, légumes, viandes, poissons, fromages, sucreries…C’est une véritable explosion de couleurs et de saveurs. Alors que je m’apprête à y rentrer, je reconnais le couple qui marche devant moi : Maya en compagnie de l’homme silencieux de la veille. Je ne sais pas s’ils vont apprécier ma venue mais je me permets de les rejoindre. Je suis surprise par l’accueil chaleureux qu’ils me réservent et c’est ensemble que nous effectuons la visite. Après celle-ci, nous nous installons pour boire un verre, ce qui nous permet de faire plus ample connaissance. J’apprends que Maya fait cette croisière pour retrouver Pablo qu’elle a connu en Italie et dont elle est tombée éperdument amoureuse. Jean de son côté, veut retrouver les origines de son nom très poétique d’ailleurs : « Vague ». Alors que nous sommes sur le point de partir, le téléphone de Maya sonne. Elle semble très pressée de répondre et elle s’éloigne un peu avant de le faire. Quand elle revient vers nous, je ne la reconnais pas. Elle est très pâle et semble bouleversée. Quand je lui demande si tout va bien, elle éclate en sanglots. Jean et moi ne savons plus quoi faire. Quand elle réussit enfin à parler, elle nous explique que Pablo ne viendra pas et que le conte de fées qu’elle a échafaudé est terminé. Ne voulant pas la laisser seule avec son chagrin, nous décidons d’aller visiter la Sagrada Familia tous les trois. Nous sommes éblouis par la beauté de cette basilique géante, œuvre du célèbre architecte catalan Antoni Gaudi. Bien entendu, j’immortalise ces instants magiques par quelques photos. Maya retrouve même le sourire le temps d’une pose. Le chemin du retour s’effectue en silence. Jean semble rêveur et Maya apaisée. Nous nous quittons sur le pont et je regagne ma cabine. Je suis fatiguée, mais contente de ma journée.
LE MYSTÉRIEUX MESSAGE
Au lendemain de l’escale, je trouve, glissé sous la porte de ma cabine, un billet. Je suis très surprise et je l’ouvre aussitôt. Je lis la phrase suivante « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux » Qui est l’expéditeur de ce mystérieux message ? Et qu’a-t-il voulu me dire ?
Je réfléchis au sens profond de cette citation. Si je fais cette croisière, c’est avant tout pour oublier la période difficile que je viens de traverser. J’espère que les nouveaux paysages que je vais découvrir me permettront de m’évader, de reprendre pied et de commencer une nouvelle vie. Mais ce matin je m’interroge. Les beaux paysages que j’ai photographiés hier sont-ils seuls responsables de la joie que je ressens ce matin ? Je repense à la journée que j’ai passée en compagnie de Jean et de Maya. Certes, j’ai fait des photos magnifiques mais j’étais surtout heureuse d’être avec eux et d’avoir permis à Maya de retrouver le sourire. Je décide donc de répondre à ce message, pourtant bien étrange. Mais qui va en être le destinataire ? Tiens, pourquoi pas le séduisant Gino Baldino que j’ai éconduit l’autre soir sans raison. Donc je me lance :
Cher Monsieur Baldino
Le voyage que j’ai entrepris avait jusque là un seul but : me faire oublier la période difficile que je viens de traverser. Mais cela m’a empêchée de regarder autour de moi et est responsable de mon attitude envers vous l’autre soir. Aussi, pour me faire pardonner, c’est à mon tour de vous inviter à boire un verre ce soir. Je serai au bar à partir de dix-neuf heures et j’espère que vous m’y rejoindrez. Cordialement. Valentine.
Voilà, il ne me reste plus qu’à glisser ma missive sous la porte de Monsieur Baldino et à espérer qu’il répondra à mon invitation. Et qui sait ?...
RÉUNION AU SALON
Le commandant qui a eu vent du message anonyme reçu par chacun des invités au dîner de bienvenue, a décidé de nous réunir au salon ce soir, avant le dîner. En m’y rendant je ne me sens pas très à l’aise. En effet, suite à ce message, Hector et Oscar m’ont écrit. Hector, sûr que j’allais succomber à son charme, s’était même permis de me tutoyer dès la première phrase. Oscar, lui, semblait avoir eu un vrai coup de foudre et était prêt à entamer une relation sérieuse avec moi. Je reconnais qu’aucun de ces deux prétendants n’a retenu mon attention. De mon côté, j’ai été séduite le premier soir par le charme latino de M.Baldino et je me demande si la lettre que je lui ai écrite aura une réaction positive.
Me voilà arrivée ! Je parcours des yeux l’assistance et reconnais la plupart des convives du premier soir : Julie et son bel inconnu, Maya qui discute avec Jean, Sir Edward qui semble bien pensif… Quand Hector m’aperçoit, il se précipite vers moi et me propose une place à côté de lui. Je m’empresse de calmer ses ardeurs en lui expliquant poliment que je ne suis pas l’auteur du message et que je n’ai pas l’intention d’entamer une relation avec lui. Vexé, il tourne aussitôt les talons, et va se rasseoir. Alors que je me dirige vers Oscar, M. Baldino fait son entrée. Le sourire qui illumine son visage en me voyant me rassure et je m’empresse de le rejoindre. Je le remercie d’avoir répondu à mon invitation, malgré le refus qu’il avait essuyé de ma part le premier soir. Il se met à rire et accepte de me pardonner en échange d’un repas avec lui le soir même. J’accepte avec joie. Le commandant n’est toujours pas arrivé mais ça n’a plus d’importance maintenant. Je quitte la salle au bras de M. Baldino et le regard de braise qu’il pose sur moi est plein de promesses…
LA DERNIÈRE SOIRÉE
Nous sommes arrivés au dernier jour de notre croisière. Ce soir a lieu la soirée d’adieu, placée sous le signe du jazz. Après une après-midi passée au bord de la piscine, je rejoins ma cabine pour me préparer. Gino, avec qui j’ai passé hier une soirée délicieuse, sera mon cavalier. Je suis pressée de le retrouver.
Me voilà enfin prête ! L’image que me renvoie mon miroir me satisfait pleinement. Je quitte la cabine d’un pas léger et le sourire aux lèvres. Gino m’attend devant la salle de réception. Je le trouve vraiment magnifique ! Son costume blanc met en valeur son teint mat et ses cheveux noirs. Je vois dans ses yeux qu’il me trouve très à son goût lui aussi. Il me conduit à notre table où nous attend une bouteille de champagne. Je regarde autour de moi. J’aperçois Julie et son chevalier servant : ils se tiennent par la main et ne se quittent pas du regard. Maya, dans une robe toujours très colorée, est en pleine discussion avec Hector qui semble avoir oublié mon existence. Sir Edward, qui semble très en forme ce soir, fait son entrée avec Marjolaine à son bras : les opposés s’attirent paraît-il. Au bar, le curieux personnage aperçu l’autre soir, tient Anne-Sophie par la taille et la couve du regard. La soirée promet d’être très animée…
Après un repas délicieux, un guitariste vêtu d’une chemise aussi rouge que sa guitare, commence à jouer un air de jazz. Les couples envahissent la piste. Je me retrouve dans les bras de Gino pour un slow très langoureux. Je me laisse bercer par cette douce musique et par les mots que mon cavalier murmure à mon oreille. J’aimerais que cette soirée ne finisse jamais.
Quand plus tard Gino me raccompagne à ma cabine, il me glisse une carte dans la main en me disant : » Si tu veux qu’on se revoie , appelle-moi. » Puis il m’embrasse et s’en va sans se retourner…
Epilogue
L’album photos que je présentais à mon patron à mon retour de croisière eut un effet inespéré. Je sus immédiatement que ma carrière était lancée et que mon rêve allait se réaliser. A partir de ce moment les contrats s’enchaînèrent : un safari photo au Kenya, les cerisiers du Japon au mois de Mars, les aurores boréales en Finlande, le Carnaval de Rio…Mais mon prochain voyage, lui, ne sera pas professionnel. En effet je m’envole la semaine prochaine pour New-York afin d’assister au mariage de Julie avec qui je suis restée en contact tout ce temps. Elle épouse son bel Alistair et souhaite que je sois la photographe de ce bel évènement. J’ai d’autant plus de plaisir à la rejoindre que j’ai appris qu’elle avait invité plusieurs passagers du Comté de Provence : Jean Vague qui chantera durant la cérémonie, la douce Maya accompagnée de son Pablo, Anne-Sophie et Olala qui est devenu son mari et enfin Marjolaine et sa nouvelle conquête. Gino, que je n’ai jamais revu, ne viendra pas. Mais je ne serai pas seule pour autant. Julie doit me présenter un de ses amis qui sera mon cavalier durant tout le séjour. Et d’après ses dires il n’a rien à envier à mon amoureux d’un soir. Et la connaissant je lui fais totalement confiance…
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