GILLES. RETRACER MON AVENIR

Publié le 27 Décembre 2023

Personnage :
 
Gilles SANTINI
Niçois pure souche du babazouk, habite maintenant versant ouest du Mont Boron
63 ans - 1,78 m - 72 kg - yeux bleus - bronzé toute l'année
Une force de la nature
Veuf depuis peu
Retraité, Ancien maître nageur
Bonne forme physique (il s'est toujours "entretenu")
Timide
Ose une croisière. Il avait promis à son épouse malade d'aller voir Alger, là où elle était née et d'où elle est partie à l'âge de 15 ans
Il a peur de l'avion.
Il a peur de "l'estranger".
 
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L'EMBARQUEMENT
 

Voilà ! Je claque la porte de la maison. Je descends à pied la Corniche André de Joly, j'enquille le boulevard Stalingrad (oui, je sais, il ne s'appelle plus comme ça... ) et je débouche sur le port où nous attend un monstre marin de plusieurs étages.

C'est parti ! Je m'engage sur la passerelle après avoir décliné mon identité et montré passeport et billet. A la sortie de la passerelle, bien alignées sur le pont, un stock d'hôtesses aux uniformes impeccables me souhaitent la bienvenue. Je reçois une brochure contenant toutes les informations nécessaires au déroulement de la croisière et vantant les caractéristiques du navire, ainsi que les clefs de ma cabine. Pont 4 - Cabine 428.

Je la trouve facilement. J'ouvre la porte et me voilà dans ce qui sera mon "chez moi" pour les jours à venir. La cabine est claire. Pas immense, mais fonctionnelle. Un grand lit, une table de chevet, une petite table basse et deux fauteuils tournés vers un très large hublot face à la mer.

La météo est au beau fixe. Le vent est en vacances. Pourvu qu'il y reste longtemps, au besoin en enchaînant quelques RTT, car je n'apprécierais pas les creux et le mal de mer qui pourrait en découler, même si j'ai entendu que les paquebots étaient assez stables... à voir... ou pas...

Une armoire avec une petite penderie et trois tiroirs complètent l'ameublement de la cabine. J'y range tout de suite toutes affaires. La salle de bains attenante est lumineuse car elle aussi possède un hublot... tant qu'à faire, pour quelques dizaines d'euros de plus !!!

Je m'approprie les lieux rapidement et ressors illico pour aller explorer le navire et surtout assister depuis le pont supérieur au largage des amarres.

LE DINER A LA TABLE DU COMMANDANT
 
Lundi 13 Novembre
Après ma sortie matinale sur le pont, quelques exercices et de bonnes bouffées d'iode, rien de tel pour se mettre en forme, je regagne ma cabine et quelle surprise de trouver sur la table basse une invitation à dîner à la table du commandant ! Je ne suis pas trop fan de ces mondanités, mais faut assumer mon vieux, ça fait partie de la croisière !
Je fouille dans ma garde-robe et j'y trouve un costume adéquat pour ce genre de sortie. On m'avait bien prévenu qu'il fallait s'habiller dans certaines circonstances sur un paquebot. La voilà l'occasion ! Et puis pourquoi ne pas faire connaissance avec d'autres voyageurs ?....
Retour à ma cabine, il est 23 heures 50 ! Un bon moment finalement ! Quelle découverte !
A mon arrivée dans l'immense salle de restaurant ça brillait de partout : des lustres dignes de salles d'opéra, des tables longues recouvertes d'immenses nappes blanches. Une vaisselle délicate et raffinée, des verres en cristal, des couverts d'argent rutilants, des serviettes blanches artistiquement pliées...
Au milieu de la salle, une immense table ronde, celle du commandant, celle où j'ai trouvé mon nom. Le commandant est impeccable dans son costume, un petit ventre prouve qu'il s'adonne un peu trop aux joies des dîners sur son paquebot.... Un discret sourire en moi-même.
Je m'assois à ma place et observe les convives s'installer autour de la table. A ma gauche, une jeune fille, belle brune aux yeux verts, j'attendrai qu'elle termine la conversation en cours sur sa gauche...
A ma droite, en bout de table, un drôle d'individu, haut en couleurs, Gino, arrivé un chouïa en retard, au fort accent marseillais et au bagout qui va avec. Je sens que la soirée ne sera pas trop morne et le déroulement m'a donné raison. Quel bonhomme ! Bourlingueur et très bon vivant d'après tous ses récits et anecdotes relatés. Il a régulièrement fait les niveaux dans mes différents verres, ce qui fait que je vais avoir besoin de quelques paires d'heures pour dégriser tranquillement dans ma cabine, même si avant de la rejoindre, j'ai arpenté le pont un bon moment pour amorcer la digestion de ce dîner raffiné et abondant, mais oh combien loin de mes habitues alimentaires !!!
Quant à Valentine -j'ai appris son prénom- placée à ma gauche, il s'est avéré qu'elle était de la descendance de Doisneau, elle m'avoue tout d'abord une passion pour la photographie (les chiens ne font pas des chats) et le but de sa croisière : un peu de décompression après un divorce difficile. Elle m'a l'air assez simple, pas du tout excentrique et je pense que j'aurai plaisir à bavarder un peu plus avec elle dans les jours qui viennent.
J'avoue que dans le brouhaha habituel des dîners de ce type, je n'ai pas pu correctement engager une conversation bien suivie mais en observant la quinzaine de convives attablés autour du commandant je pense ma foi que j'arriverai à tisser quelque lien avec quelques-uns et unes. Un panel varié et coloré d'individus. Un grand bain social après les soucis de ces derniers mois et j'avoue que ça me fait un bien fou.
 
PREMIÈRE ESCALE
 
Aujourd'hui première escale ! Marseille... J'avoue que comme la majorité des niçois, Marseille m'est un peu inconnue, alors c'est l'occasion de découvrir cette ville et ses quartiers rénovés bordant le port.
A peine un pied sur le quai la jolie Valentine file droit, son appareil photo en main, je la vois s'éloigner mitraillant bateaux, passants, façades avec un bonheur non feint.
Maya -dont j'ai découvert le prénom avant de débarquer- un brin excentrique dans son accoutrement certes charmant, semble avoir attiré un excentrique d'un autre genre, Oolala -c'est la jounée de découverte des prénoms- ! Les voilà partis comme deux compères vers je ne sais quelle direction mais avec un air bien décidé.
Pour ma part, je commence ma balade en solitaire en direction du quartier du Panier, après avoir longé les quais du Vieux Port, face à Notre Dame de la Garde. J'irai contempler plus tard l'architecture du Mucem. Je me délecte à me perdre dans les petites rues aux escaliers nombreux, aux façades colorées, aux maisons fleuries, regorgeant de petites boutiques accueillantes et d'ateliers d'artistes. De quoi passer la journée entière ! Je m'attable à une minuscule terrasse de café et je me délecte à regarder les passants et la vie de ce quartier auparavant si mal famé, en sirotant un pastis bien tassé accompagné d'olives noires aux herbes. La vie est douce ! Les yeux à moitié fermés par une torpeur due au soleil insistant, j'aperçois Valentine qui débouche d'une ruelle, un brin essouflée, les joues colorées après avoir arpenté mille recoins pour enrichir son trésor numérique. Je l'invite à s'asseoir un instant à mes côtés. Elle n'est pas contre le fait de pouvoir se reposer quelque peu. Un deuxième pastis pour moi, un premier pour elle, accompagnés de mini-toasts de tapenade et de crudités à tremper dans une coupelle remplie d'anchoïade. Elle est pas belle la vie ?
La conversation s'entame doucement, elle me raconte son désir d'escapade, l'envie et surtout le besoin de tirer un trait sur les derniers mois. A mon tour je lui parle de ces deux dernières années difficiles et de la raison pour laquelle je me suis lancé dans cette croisière. La conversation dévie ensuite sur le dîner d'hier et inévitablement sur les personnages attablés autour du commandant. On papote gaiement et elle me propose de la suivre pour aller découvrir la Vieille Charité. Cet ensemble entièrement restauré était à l'origine destiné à rassembler les populations pauvres de Marseille. Chargé d'histoire, il est à présent un centre culturel incontournable, ensemble de quatre bâtiments dans une enclave cernée par des arcades au centre desquelles subsiste une chapelle dont la construction remonte au XVIIème siècle. On déambule et je vois Valentine se régaler de clichés. C'est tout simplement très beau et très sobre.
Un coup d'oeil à nos montres nous rappelle à l'ordre. On a encore le temps de redescendre pour passer devant le Mucem et le Fort Saint Jean avant de rejoindre le quai d'embarquement.
Quelle belle journée ! Je pose ces quelques lignes de retour dans ma cabine avant d'aller dîner. J'ai envie d'un dîner léger et d'un grand moment sur le pont supérieur à contempler un ciel d'une clarté incroyable. J'ai l'impression de redécouvrir un peu la vie avec toutes ses choses banales et ses surprises. Je me sens incroyablement bien.

 

LE BILLET

Ce matin les cris des oiseaux de mer m'ont sorti de la douce torpeur dans laquelle je me prélassais. Une bonne douche et un habillage "sport" après je me dirige vers la porte pour aller prendre mon petit déjeuner lorsque je vois un billet plié en deux et coincé sous la porte de la cabine. Intrigué je me baisse pour le ramasser et en l'ouvrant je découvre ces mots : "Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux."
 
??? Pourquoi un tel message et surtout de la part de qui ? Je me remémore les personnes rencontrées depuis l'embarquement et avec lesquelles j'ai eu quelques échanges. J'ai beau faire le tour, aucune ne me paraît correspondre à l'auteur de cette phrase recopiée. Alors est-ce vraiment moi le destinataire ? Je mets le papier dans la poche et je sors en direction du buffet du petit-déjeuner. Peut-être que je serai plus inspiré en rencontrant les personnes éventuellement présentes dans la salle.
 
Je salue les quelques "connaissances" présentes et décide de m'installer un peu à l'écart pour y réfléchir... Aucun "indice" ne fait surface, jusqu'à ce que j'entende à une table voisine Maya racontant sa découverte d'un billet glissé sous sa porte ce matin.... OK ! Une manoeuvre de cohésion ??? Je ne suis donc pas le seul à avoir reçu cette intriguante phrase ! A moins que le texte reçu par Maya soit différent ? Je me vois mal aller me mêler de la conversation pour lui demander... Ce serait en plus avouer que j'avais les oreilles qui traînaient...
 
En marchant sur le pont pour retourner dans ma cabine je me décide à répondre et comme je ne sais pas bien à qui adresser ma "missive", je m'en vais la scotcher sur le panneau d'information qui trône dans le grand hall circulaire par où transitent absolument tous les croisiéristes.... et puis finalement je décide de répondre à quelques unes des personnes qui étaient au dîner du commandant. Oui, c'est une bonne idée et même que je vais faire mieux ! Me voilà devant le bureau d'information pour quérir le numéro de cabine des heureux(ses) élus(es).
 
Assis devant la table basse de ma cabine, je détache plusieurs feuillets du bloc disponible, aux "armoiries" de la compagnie de croisière. Très fier de moi, je commence à me creuser la cervelle...
 
Pour Maya ce sera "Un bon voyageur n'a ni plans établis, ni destination" (Lao Tseu)
Pour Valentine et son oeil numérique : "Une fois par an, visitez un lieu où vous n'êtes jamais allé auparavant" (Dalai Lama)
Pour Gino tiens, je lui envoie "Voyager c'est vivre" (Hans Christian Andersen). Je trouve que ça lui va bien !
Pour Jean... ah oui ! celle-ci "Voyager vous laisse d'abord sans voix, avant de vous transformer en conteur" (Ibn Battuta)
Pour OOlala, voici "N'hésitez jamais à partir loin, au-delà de toutes les mers, toutes les frontières, tous les pays, toutes les croyances" (Amin Maalouf)
Pour Julie qui d'après ce que j'ai compris cherche l'inspiration "Voyager c'est découvrir que tout le monde se trompe sur les autres pays" (Aldous Huxley) A creuser...
Pour Edward, je sens bien "Une destination n'est jamais un lieu, mais une nouvelle façon de voir les choses" (Henry Miller)
Pour Oscar "Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en ont lu qu'une page" (Saint Augustin)
Pour Hector, je lui réserve "Voyager rend modeste. On voit mieux la place minuscule que l'on occupe dans le monde" (Gustave Flaubert)
 
Je me suis peut-être un peu planté mais pas grave, ça peut servir d'animation !
 
Quant à moi, je pousse le bouchon à coller sur ma porte "Je n'ai pas encore été partout, mais c'est sur ma liste".
 
Ah ! Ah ! Ah ! Je me suis bien amusé... on verra la suite... ou pas...

 

LA RENCONTRE AU SALON

Ah ! Ah ! Ah !
La voilà la suite ; "l'affaire" est remontée jusqu'au commandant qui, après avoir eu vent de ces échanges "épistolaires" a décidé de convoquer tout le monde au salon. Je ne comprends pas bien ce qu'il en espère car même si je n'ai pas tout suivi de ces échanges et de leurs réactions, je ne pense pas qu'il y ait vraiment matière à mettre les choses au point.
 
Allez, je me décide à descendre dans l'idée de laisser traîner mes oreilles ! Je verrai bien au moins si j'entends des babillages en retour des citations restituées à leur auteur initial puisque je n'ai moi-même signé aucun des billets distribués. Quand je pénètre dans le salon j'ai bien l'impression d'être le dernier à arriver. Des conversations à trois ou quatre sont en train, à voix assez basse, genre conspiration ou espionnage. Je fais quelques pas entre les fauteuils mais je n'arrive pas à capter grand chose de cette effervescence toute en retenue.
 
Comme je ne me suis pas fondamentalement lié à qui que ce soit durant ces derniers jours -mis à part un après-midi marseillais auprès de Valentine- je décide de m'installer dans un profond fauteuil près d'une large baie vitrée qui laisse passer les derniers rayons de l'astre solaire en train de s'allonger sur la ligne d'horizon au loin.
 
De temps en temps mon regard dévie à l'intérieur du salon, j'observe sans vraiment remarquer... Le capitaine est entouré de quelques femmes qui ont l'air de vouloir tenir le crachoir, il a l'air de s'en amuser discrètement, en tout cas j'ai bien l'impression que cette "convocation au salon" ne va pas lui rapporter grand chose.
 
Certes j'avais bien une enveloppe glissée sous la porte de ma cabine, contenant quelques lignes signées par Oolala, mais j'avoue qu'étant assez cartésien, je n'ai pas été suffisamment atteint par le texte pour m'en préoccuper comme d'autres. Apparemment une conversation plus animée que les conversations feutrées alentour avait pour "protagonistes" Oscar, Sir Edward, Hector et Gino l'impayable. Le nom d'Oolala revenait sur leurs lèvres. Un billet groupé pour tous les hommes ? Il aura eu le mérite de les faire parler.
 
Pour ma part, je préférais me détacher mentalement de cette atmosphère suspicieuse pour laisser mon esprit vagabonder librement au gré du roulis qui commençait à s'installer.
 
Avis de tempête ?

 

LA SOIRÉE D'ADIEU

Bonsoir mon journal,
Ce soir c'est ma dernière bafouille.
Je reviens de la soirée d'adieu organisée par le commandant. Cette nuit nous naviguons vers Nice.
 
Ce fut une belle soirée ma foi. Avec tout ce qu'il fallait comme lumières, habits de fêtes, des robes de soirée de la plus simple à la plus sophistiquée, du costume chic-décontracté au "smoking-noeud pap", des tables basses merveilleusement décorées, des fauteuils bas et profonds. Le côté musique n'a pas été oublié. Un jeune guitariste notamment, à la prestation plus qu'appréciée, avec un audacieux mélange de jazz manouche et de standards internationaux.
 
Quelques couples évoluaient sur la piste de danse dans une savante pénombre.
Un instant karaoké avec Jean.
Une démonstration de transe papouasienne par Oolala qui nous a laissés "babas".
Des échanges avec quelques-uns autour de Maya, délicieusement discrète.
 
Je remarque une absence, celle de Valentine... et à force de faire le tour de l'immense salle, je m'aperçois qu'il manque également Gino le rigolo. Et pourquoi je ne suis qu'à moitié étonné ?
 
Finalement cette croisière m'a fait vivre une petite parenthèse dans ma vie, au bon moment, avec ce qu'il fallait de nouvelles têtes sans qu'elles soient envahissantes, du lâcher-prise temporaire pour profiter du moment présent. Pas de remise en question, mais juste une bonne dose de sérénité pour me remettre sur les rails de mon quotidien niçois. Et puis un petit coup de pouce et d'envie pour continuer d'aller "voir ailleurs".
 
La tempête annoncée n'était finalement qu'un gros coup de vent qui n'a pas duré. Avant de rejoindre ma cabine j'ai longuement arpenté le pont supérieur, respiré l'iode à m'en faire péter les poumons, écouté le bruit de l'eau qui glissait sur la coque du monstre, imaginé les mouettes et les goélands remplir mes oreilles de sons de voyage. J'ai découvert la Méditerranée du grand large et des hauts-fonds. Je suis apaisé et prêt à reprendre les rennes du reste de ma vie.
 
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Rédigé par Bernadette

Publié dans #Ecriture collective

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