Une compagne idéale

Publié le 3 Juin 2023

 
Parfois, sur le chemin de la vie, nous sommes confrontés à une tragédie difficile à surmonter. Là tu rentres en scène :
Tu avais quatre mois, lorsque tu as débarqué dans ma vie. Dans ta cage, tu étais très calme, les yeux tristes grands ouverts, tu semblais curieuse ; tes compagnons de fortune, eux, étaient très agités, ils aboyaient sans cesse ; toi tu regardais avec un peu de méfiance ces personnes qui traînaient dans cet endroit sordide que l'on dit : refuge.
Je me suis approchée du grillage, je t'ai parlé doucement ; lentement tu es venue vers moi, avec prudence. En guise de bonjour tu m'as léché les doigts, avec minauderie tu as penché ta tête sur le côté, avec un air pensif qui voulait dire «  je te plais » ?
Les larmes aux bords des yeux, je n'ai pas hésité un instant. Je savais que c'était toi.
 
Ta robe était très jolie, faite de trois couleurs, noire, fauve et blanche. C'était très seyant. Tes longues oreilles encadraient ton museau d'une façon romantique.
J'étais très contente de te ramener à la maison. J'espérais que les enfants seraient heureux d'avoir un compagnon pour jouer, surtout un confident vivant.
Lorsqu'ils t'ont accueillie, le sourire est revenu. Par la suite, tu as su franchir toutes les étapes de séduction par de petits gémissements et coquetteries, tu as fait ta place dans la famille.
 
C'est ma tante Yvonne, sur la route du retour, qui t'a prise sur ses genoux, elle te rassurait par des mots gentils et des caresses. Je crois que tu n'as jamais oublié ces instants, même des années plus tard. Lorsque tu la voyais apparaître au bout de l'avenue, tu courais, avec tes oreilles en bataille, lui faire des fêtes. A croire que ton instinct te rappelait la fin de ta prison au refuge.
 
Combien de fois, le matin, quand j’étais assise devant mon café, mon cœur en bandoulière, pensive et désemparée, tu venais mettre ton museau sur ma cuisse, avec ton regard de chien battu. Tu me donnais des petits coups de pattes pour me ramener à la réalité. Alors je te racontais mes peines, que je cachais, tu me regardais et manifestais des gémissements pour me parler. J'aurais bien aimé, dans ces moments-là, savoir ce que tu voulais me dire…
Tu percevais les sentiments qui me traversaient. C'était un grand moment de tendresse.
 
Avec les enfants, vous avez grandi ensemble, tu étais très espiègle. Cent fois, tu as rongé les talons de mes chaussures. Ton grand plaisir était de monter sur mon lit dès que nous partions à l'école et au travail, je pense que tu te rassurais de sentir mon odeur.
Lorsque je rentrais le soir, parfois, tu dormais à poings fermés. Je te surprenais. Prise en faute, tu sautais du lit et allais te cacher sous ta couverture. Cela me faisait rire, on aurait dit un enfant lorsqu'il est puni.
 
Les souvenirs qui m'environnent sont des images de toi, animal vulnérable, perdu, qui a trouvé une famille et lui a tant donné.
Le mercredi, Yoyo passait l'après-midi couché sur le parquet, toi, allongée près de lui ; il te confectionnait « ta carte d'identité ». Pour cela, il s'était muni d'un centimètre de couturière pour mesurer tes pattes, le museau, les oreilles ; il écrivait sur un carnet, le nom, prénom, taille, date de naissance, toi, tu te laissais manipuler dans tous les sens, les quatre pattes en l'air.
 
Tu étais à l'époque une grosse boule de poils, tu surveillais tous les faits et gestes des enfants qui jouaient aux soldats assis à terre, tu faisais semblant de dormir d'un œil.
Je crois que tu veillais sur eux. Le plus petit jouait beaucoup avec toi. Cricri, lui, te faisait beaucoup de caresses, mais son cœur était à l'envers, tu avais plus de mal à le distraire, son papa lui manquait, il se réfugiait dans les livres.
 
Le soir, c'était le rituel, le moment privilégié de lire une histoire avant de s'endormir. Naturellement, tu venais nous rejoindre dans la chambre, tu posais ton museau sur le bord du lit, tes oreilles bougeaient à l'intonation de ma voix, ton regard suivait le mouvement de mon bras lorsque je tournais les pages. Ta fidélité ressemblait fort à du réconfort. Tu savais si bien apaiser les tensions.
 
Parfois, je grondais les enfants lorsqu'ils se disputaient, tu venais alors vers moi, tu sautais sur mes jambes pour attirer mon attention, quémandant une caresse. Je te parlais, tu écoutais mes angoisses, avec ma cuirasse en lambeau, tu apaisais mes émotions trop fortes. Tu étais une présence rassurante et fidèle.
 
Te souviens-tu de cette anecdote, lorsque tu as sauté sur le dos de Yoyo qui était accroupi entrain de jouer près de la bordure de pierres séparant la terrasse du jardin ? Il avait treize mois, toi aussi, la peur m'avait envahie, il s'était ouvert le front, son visage était entièrement recouvert de sang. Affolée, j'ai appelé ma tante Yvonne qui habitait à l'étage, nous sommes parties en courant chez le médecin, dans l'immeuble en face de la maison. Je revois encore aujourd'hui cette image et je ne peux m'empêcher de sourire devant la situation burlesque. J'avais mon enfant dans les bras, derrière ma tante, puis ma mère, puis mon autre fils et le chien. Le médecin a ouvert de grands yeux étonnés en nous voyant tous devant sa porte à la queue leu leu.…
 
J'ai le souvenir aussi des matchs de foot, vous étiez plus grands, six ans environ ; la partie finie, ta langue pendait jusqu'au sol, tu te précipitais sur ta gamelle pour te rafraîchir. Yoyo était rouge écarlate, les cheveux collés sur le front, son tee shirt mouillé de transpiration. C'était un vrai cadeau de voir cette complicité.
 
Le soir, quand je rentrais en voiture, ma mère me disait :
– Je savais que tu allais arriver, Rika va et vient depuis plusieurs minutes, elle n'arrête pas d'aller devant la porte avec des gémissements.
Je n’ai jamais compris cet instinct, tu semblais savoir l'heure de mon arrivée. Ce n'était certainement pas mon odeur tout de même, j'étais à sept cent mètres de la maison lorsque tu commençais à s'agiter. Dès que j’entrais, les démonstrations d'affection étaient très intenses. Il fallait un bon moment pour te calmer.
 
Nous avons vécu bien d’autres anecdotes avec toi.
Ta disparition dans la forêt en Autriche, on était en vacances, tu avais sauté par la vitre ouverte de la voiture. Les enfants jouaient sur le siège arrière avec les playmobils, Cricri avait enlevé la laisse attachée à son poignet pour prévenir l'incident. Personne s'en est aperçu. Cette histoire s'est bien terminée, après beaucoup de péripéties, émotions et pleurs.
 
Un jour de printemps, tu as pris la tangente pour aller flirter avec le copain du jeu de boules en face de la maison. Tu étais la plus dévergondée des chiennes. Je ne te laissais pas souvent le plaisir de t'évader sans la laisse. Ce jour là, à peine sortie de la maison, tu as couru au bout de l'avenue, avec ton copain qui t'attendait sur le trottoir. J'ai couru le plus vite possible. Arrivée au bout de l'avenue, c'était trop tard, tu avais perdu ta virginité.
Panique ! Je téléphone à mon bureau pour signaler mon absence. Ensuite, j'ai pris rendez-vous dans l'immédiat, car il fallait agir très vite, c'était dangereux pour toi, à cause de ta hernie ombilicale. Tu ne pouvais pas mener une grossesse à terme. Tu en aurais perdu la vie. J'étais déjà informée, c'est pour cela que je veillais à ne pas te laisser partir vagabonder. Ce fut une grande épreuve pour toi, je me sentais responsable de ton état dépressif. Tu as fait, quelques temps, après une grossesse nerveuse, tu pouponnais avec le doudou des enfants, tu étais très malheureuse. On a redoublé les caresses. Tu profitais aussi de la situation pour te gaver de douceurs. Ta joie de vivre est revenue.
 
Par contre, tu étais une douillette. Lorsqu'on allait à la campagne dans le Var, tu nous menais la vie dure avec tes caïn, caïn,caïn le long du trajet. Je te libérais sitôt arrivée dans le chemin de terre où tu ne risquais plus de te faire écraser. Comme une folle tu courais dans tous les sens, tu allais, tu revenais vers nous, joyeuse et fofolle comme d'habitude.
Soudain, Cricri, me dit :
– Maman, tu écrases Rika !
Panique ! J'avance... caïn, caïn, je recule... caïn caïn, je ne sais plus, je pleure, je descends, je regarde sous la voiture, angoissée.
Oh ! Douillette de douillette ! Pour quelques poils de ta queue pris sous la roue arrière de la voiture, tu m'as fait virer le sang. Ouf ! Quel soulagement, des caresses en cascade, des fêtes en veux-tu en voilà.
 
Tu nous en a donné des peurs de te perdre, mais aussi, nous avons reçu des moments d'affection magiques, remplis de tendresse et de douceur. Ma Rika, tu as été une compagne extraordinaire. Tu resteras dans mon cœur à jamais.
 
Aujourd'hui, tu n'es plus là. Tu avais douze ans, lorsqu'une maladie foudroyante m'a privée de l'attachement intense que je te portais. Ton empreinte est toujours là, souvent je pense à toi, surtout lorsque je regarde des photos où tu poses, fière, avec nous.
 
Ils ne s'effaceront jamais de ma mémoire ces instants où j'ai toujours plaisir à te voir courir, les oreilles au vent, dans un grand champs ensoleillé couvert de fleurs, à humer l'air de la liberté.
 
Fin
 
Arlette

Rédigé par Arlette

Publié dans #Les concours

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