Si Ming m'était contée

Publié le 3 Juin 2023

 
Je vais vous raconter une histoire extraordinaire… ou pas ! Tout dépendra de l’œil du lecteur qui daignera accrocher son regard aux mots que je vais écrire.
En cette fin de journée pluvieuse, je rentrais chez moi, fatigué, mais avec le sentiment du devoir accompli, tant mes heures de labeur avaient été contraignantes. Dès que j'ouvris la porte de notre chez nous, Ming, une petite chatte siamoise, rapide comme l’éclair, se précipita pour passer l'inspection quotidienne à laquelle je ne pouvais échapper. A travers son comportement je devinais ses questions : Où as-tu été traîner tes guêtres ? Comment se fait-il que tu rentres à cette heure tardive ? Qui as-tu vu ? Etc... etc.
Mon épouse dormait déjà. Je décidais de l'imiter, d'autant plus que par cette soirée automnale, la pluie nous gratifiait d'une sérénade bienfaisante propice au sommeil. En pyjama, je me glissais avec volupté dans ces draps doux et soyeux, tièdes de la présence de mon épouse, et Ming vint, comme à ses habitudes, se pelotonner au pied du lit. Mes muscles étant endoloris par mes efforts du jour, je tournais sur moi-même pour trouver la position qui conviendrait le mieux à mon confort, quand une voix se fit entendre.
- Arrête de bouger ! Tu me donnes le mal de mer…
Je croyais pourtant ma femme endormie. Je me tournais vers elle pour m'excuser et en profiter pour l'embrasser en lui souhaitant une bonne nuit, mais son petit ronflement doux et harmonieux me fit douter… Avais-je vraiment entendu une voix ? Il n'y avait personne d'autre dans cette chambre. C’était certainement la fatigue qui me jouait des tours. Seule Ming me regardait. Dans cette obscurité, que trahissait une faible lueur dispensée par une lune en partie cachée par des nuages, je l’observais avec curiosité car un détail me semblait bizarre. Elle ne me regardait pas... en fait elle m'examinait... Je me sentais comme un cobaye sur une table de laboratoire. Ses grands yeux, bleus le jour et sombres comme l'enfer la nuit, hésitaient. Devaient-t-ils se décider à quelque chose ? Bon ! Il était temps que je retrouve ma raison. Toutes ces questions ne m'emmèneraient à aucune réponse. Bonne nuit Ming et tâche de ne pas me marcher sur la figure en te promenant.
- Tu devrais savoir que je ne me promène pas sur n'importe qui. Les gens que j'approche sont ceux que j'aime.
Je sursautais ! J’avais bien entendu. Aucune erreur possible... Quelqu'un me parlait. Mais qui ?
- C'est moi qui te parle. Regarde et tu verras, écoute et tu entendras. Rassure-toi, je ne suis pas l'auteure de ces paroles. C'est un chat de mes relations qui me les a rapportées.
La situation m'échappait. Pourtant, quelque chose faisait que j'acceptais cet instant comme s'il était le plus naturel du monde et ma stupeur s'évanouissant, je découvris un monde nouveau à travers un voile de soie qui se déchirait lentement.
- Voyons ! Les chats ne parlent pas, ils miaulent.
- Les chats ont toujours parlé. C'est vous, les humains, qui n’entendez rien. Vous vous dites intelligents mais, souvent, vous êtes aveugles et sourds. Vous vous réfugiez derrière vos convictions et vous vous rassurez en les disant "gravées dans le marbre". C'est une erreur que vous devriez essayer de corriger.
- Oui, c’est vrai. Nous ne sommes pas toujours cohérents dans nos idées mais si tu nous parlais un peu plus souvent, tu nous ferais bénéficier de ta sagesse. Peut-être même envisagerions-nous d'apprendre à miauler pour entretenir un échange d'idées, dont le fond ne manquerait certainement pas de sel. Quand nous t'avons trouvée, tu étais accrochée à un grillage en essayant d'échapper à deux chiens qui te hurlaient dessus. Depuis tu sais que tu es un peu comme notre fille. Tu étais tellement casse-cou que tu es tombée de nos trois étages en parlant aux oiseaux qui avaient leur nid sur le micocoulier face à notre fenêtre. Ce qui nous vaut de ne plus vivre dès que tu sors prendre le soleil sur le balcon. Tu chasses les oiseaux, c’est dans ta nature… mais n’oublie pas qu’ils ont des ailes… Eux !
- Rassure-toi, je ne suis pas adepte du parachutisme et cet accident m'a fait comprendre les risques engendrés par la chasse aux volatiles. Je suis trop bien avec vous et je ne vais pas risquer de vous perdre, je sais tout ce que vous faites pour moi.
- Sais-tu que avons eu deux autres chats avant toi ? Le chagrin de les voir partir a tellement été fort que nous ne pensions plus en adopter.
- Hé oui… Ponpon et Rocky.
- Tu nous as entendus en parler ?
- Oui, mais surtout je les vois souvent et nous échangeons les sentiments et les ressentis que nous éprouvons pour les humains. D'ailleurs vous êtes régulièrement l'objet de nos discussions, car vous comptez beaucoup pour nous.
-Mais... ils nous ont quittés ! J'ai du mal à comprendre ce que tu me dis. Tu racontes ça comme si...
- Tu n’es pas en mesure de comprendre. Le temps n'est pas venu pour toi de pouvoir répondre à des questions dont tu ignores l’origine. Tout ce que je peux te dire c'est que tes deux anciens compagnons ne t'ont jamais quitté. Ils savent tout de cette maison, le moindre centimètre leur est familier, et ils ont imprégné les murs de leur présence. Dans ton lit tu profites de ma chaleur quand je me colle contre toi, et moi je profite de la leur car ils sont là avec moi dans la quiétude de la nuit. Ce calme porteur de la sérénité qui te fait voyager vers le sommeil, tu le dois à tout l'amour que l'on te porte.
- C'est pour cela que tu fais ma toilette tous les matins à la même heure en me léchant le crâne ? Je pensais à un rappel matinal de l'instant sacré où je te sers à manger. Toujours, tu l'auras remarqué, avant de m'occuper de notre propre déjeuner. Mais, dis-moi, pour en revenir à notre conversation, dois-je comprendre que Ponpon et Rocky sont dans une sorte de paradis des chats ?
- Ce que tu comprends ou ce que tu ne comprends pas n'a aucune importance. Le jour où tes oreilles seront débouchées tu sauras. Ce que je crois, moi, c'est que tu es persuadé que les humains sont les seuls à avoir une âme. Les hommes ont d'ailleurs mis un certain temps à accorder ce privilège aux femmes. Cette religion qui cloisonne ton comportement ne doit pas te faire oublier que nous vivons tous sur le même cailloux. Infime grain de poussière à l'échelle de l'univers, perdu dans l'immensité d'un néant dont vous ne savez pas grand-chose.
- C'est justement cette ignorance qui nous fait peur. Ne pas savoir nous fait douter de tout. Qu'en sera-t-il après ? Après quoi d'ailleurs ? Chaque question traîne derrière elle une autre question, comme une farandole où chaque participant en entraîne un autre.
- Je ne te savais pas philosophe à ce point. Fais attention, tu risques de t'égarer dans un chemin plein d’ornières où chaque tournant peut se transformer en labyrinthe. Tu devrais vivre l'instant présent, comme les chats, et abreuver de ton amour ceux que tu aimes. Un geste, une caresse, un mot gentil, une attention, ces choses simples qui font tant de bien à l'être qui les reçoit.
- Dis-moi, puisque tu m'entends, j'aimerais te poser une question. Pourquoi, chaque fois que tu quittes une pièce, tu sautes comme si tu franchissais un obstacle ?
- Nous passons, nous les chats, d'une dimension à une autre. Je sais, ce n'est pas très crédible pour toi mais bientôt tu accepteras l’idée que chaque minute est différente de celle qui la suit et que l'existence n'est qu'une forme de théâtre où les acteurs ne savent pas qu'ils sont sur une scène. Tu sauras que l'instant n’est qu’une frontière. Dès que tu l'as franchi, il s'éloigne vers d'autres vies. Vous les humains vous passez votre temps à collectionner des souvenirs qui n'ont plus lieu d'être. Vous pleurez d'émotion en regardant des photos, mais votre priorité est de créer des armes plus dévastatrices les unes que les autres alors que le principe de votre création n'a pas besoin de canons pour vous amener là où on vous attend quand le destin prononcera votre nom.
- Tu passes d'un monde à un autre… Comme s'il suffisait de mettre une clef dans une serrure et de pousser la porte. Avec la meilleure volonté du monde j'ai le plus grand mal à avaler ce concept. Après tout, pourquoi ne pourrais-je pas en faire autant ?
- Parce que tu es un terrien. Simplement un terrien et rien d'autre.
- Un terrien ? Bien sûr ! Je ne suis pas un martien que je sache. Et puis, qui nous attend au moment de l'appel ? Tu dis beaucoup de choses mais tu n'expliques rien.
- Nous sommes venus bien avant que vous sachiez marcher debout. Vous avez mis des siècles pour apprendre à parler. La roue a été, après le feu, votre première grande invention. Par contre vous n'avez pas perdu de temps pour manier le bâton et y associer des pierres pour tuer vos semblables. Le mirage, porteur du pouvoir, a été le déclencheur de plusieurs guerres insensées qui n'avaient aucune raison d’être. L'envie, mère de la jalousie, et un égo surdimensionné vous ont poussés à croire aux bienfaits de la richesse. Les hommes ont oublié la nature et tout ce qu'elle distribue avec générosité à ceux qui savent tendre la main et dire merci… Vous êtes comme des enfants méchants qui ont grandi sans en avoir conscience... Le moment venu, tu iras à la rencontre d'une nouvelle vie et personne ne te demandera ton avis. Celui qui t'attend te dira ce à quoi ta vie passée te donne droit. As-tu bien compris mes explications ?
- Tu me parles d’un temps que les moins de cent siècles ne peuvent pas connaître. Vous seriez venus ici avant les hommes ? Mais de où ?
- D’ailleurs !
- Et qui nous attend ? Dieu ? Le Diable ? Le Bien ? Le Mal ?
- La nuit s'écartera comme le rideau d'un grand théâtre et l'astre de lumière éclairera de mille feux le chemin que tu devras suivre. Qui sait ! Peut-être que dans un élan de reconnaissance Rocky et Ponpon feront un bout de route avec toi pour te rassurer. Tu marcheras le temps que tu dois et tu finiras par apercevoir un miroir perdu au milieu de nulle part. La curiosité, ou plutôt l'impatience de savoir, te poussera à regarder.
- Et qui verrai-je dans ce miroir ?
- Toi ! Toi tel que tu seras à ce moment. Beau comme un ange, laid et démoniaque, fort et invincible ou faible comme un vieillard titubant avec peine pour rester debout. Pour ce qui est de Dieu, vous passez votre temps à le confiner entre quatre murs et quand la peur tenaille vos entrailles vous vous dépêchez de prier pour qu’il soulage vos peines. Dieu est un livre ouvert où certaines pages sont blanches et d’autres écrites avec des mots que vous ne lirez jamais car vous ne savez pas lire.
- Mais alors ! Que faire ! Que faire….
- Oh ! Réveille-toi, c’est l’heure et le petit déjeuner n’est même pas prêt.
Ma femme était levée et s’activait avec une belle énergie autour de notre lit. Je réalisais, dans un état semi-comateux, que j’avais ouvert les yeux, mais sans être certain de les avoir fermés. Je cherchais Ming en fouillant la chambre du regard. Ne la voyant pas je posais la question à ma femme.
- Où est notre bestiole ?
- A la cuisine, en train de manger, car tu dormais comme un loir et elle s’impatientait en tournant autour de sa gamelle.
- J’ai l’impression de ne pas avoir dormi.
- Ce qui est certain c’est que tu n’as pas arrêté de parler. Quand je pense aux reproches que tu me fais pour mes petits ronronnements de minette.
- J’ai parlé… Eh bien parlons-en ! Je vais te raconter ma nuit, tu ne vas pas me croire. Figure-toi que…
Au fur et à mesure que je racontais mon rêve, la stupeur grandissait sur le visage de mon épouse. Quand j’eus fini mon récit, elle s’exclama :
- J’ai fait exactement le même rêve que toi ! C’est incroyable ! Comment est-ce possible… ?
...
Dans la cuisine, Ming jubile :
- Eurêka ! J’ai enfin atteint mon but ! Depuis le temps que je m’entraîne… ! Ça y est, mes pensées télépathiques ont traversé leurs rêves. Tous les soirs, désormais, je peux communiquer avec eux. Ils n’ont pas fini d’être étonnés à leur réveil ! Peut-être leur dirai-je mon secret… ou pas. Il est bon parfois de garder un peu de mystère. Je les guiderai là où je veux qu’ils aillent. Je les inciterai partager leurs interrogations, comme il l’a fait pour cette première expérience, je les libérerai de l’étau qui bride leur imaginaire et surtout, je leur expliquerai que je suis une déesse et qu’à ce titre il convient de me donner en offrande, au lieu de ces croquettes triviales, quelques belles assiettes de steak haché !
 
Fernand

Rédigé par Fernand

Publié dans #Les concours

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