Le chat qui s’appelait Souris

Publié le 3 Juin 2023

 
La Rencontre
 
J’adore les animaux et il y en a toujours eu à la maison : chiens, chats, lapins, oiseaux se sont succédés et, avec chacun d’eux, son lot de joies et de peines. Après la disparition de Finaud, mon beagle, je m’étais promis de ne plus en avoir. Mais c’était sans compter sur le hasard qui bouleverse souvent nos vies…
 
Lisa
L’été dernier, une de mes amies me demande de l’aider à « capturer » une chatte et ses chatons qui squattaient une grange derrière chez moi. Elle me rassure en me disant qu’ils seraient vaccinés, stérilisés et ensuite proposés à l’adoption. L’opération se passe sans grande difficulté. La chatte entre docilement dans la cage et les petits, tous noirs et blancs comme leur mère, la rejoignent sans problème. Alors que je m’apprête à refermer la porte de la grange, j’aperçois deux yeux qui me fixent dans le noir. Je réalise alors qu’il s’agit certainement du dernier chaton de la portée, le plus sauvage sans doute. Je m’approche doucement mais il s’enfonce encore plus profondément dans le carton qui lui sert de maison. Quand je tends la main vers lui, il se met à cracher. Après plusieurs tentatives j’arrive enfin à l’attraper. Je sors de la grange et à la lumière du jour je peux enfin l’examiner. Il est plus petit que ses frères et sœurs mais il ne leur ressemble pas du tout. Son pelage est d’un gris un peu bleuté. Et même s’il a bien besoin d’un brossage on peut déjà en deviner la beauté. Sa tête est petite et allongée. Mais ce qui me frappe aussitôt ce sont ses yeux : ils sont immenses et d’un vert éclatant, peu commun. Et même s’ils me fixent sans aménité, je ne peux en détacher mon regard. Sans réfléchir davantage, je supplie mon amie de ne pas l’emporter. Je sais qu’il m’est destiné et je veux le garder. Quelques instants plus tard, je rentre chez moi, serrant contre mon cœur une petite boule grise qui tremble de peur et de froid.
 
Le Chat
Je suis le cinquième de la portée et d’après ma mère le plus petit et le plus sauvage. Je ne lui ressemble pas du tout. Elle est noire et blanche comme mes frères et sœurs alors que je suis d’un gris bleuté. Mais j’ai hérité de ses yeux, d’un vert éclatant et peu commun. J’en suis d’ailleurs très fier. Aujourd’hui, alors que je fais ma sieste dans mon carton favori, je suis réveillé par des voix féminines. La porte de la grange s’ouvre et deux humaines entrent, une cage à la main. Cela ne me dit rien de bon. Je m’enfonce un peu plus dans mon carton pour échapper à leur regard. Elles s’emparent facilement de ma mère et mes frères et sœurs la rejoignent dans la cage docilement. Ils n’ont pas compris qu’ils sont tombés dans un piège. Voilà ce qui arrive quand on est trop gentil et trop confiant. La porte est sur le point de se refermer quand soudain une des humaines revient sur ses pas Elle m’a vu c’est sûr, mes yeux m’ont trahi ! Si j’avais su je les aurais gardés fermés. J’ai beau cracher le plus fort possible, le combat est inégal. Quelques instants plus tard, je me retrouve dans ses bras, serré contre sa poitrine. Elle m’étouffe ! Où m’emmène-t-elle ? Je veux rester dans ma grange. C’est ma maison. Elle, je la déteste déjà !
 
 
La Cohabitation
 
Lisa
Voilà une semaine que le chat est à la maison. Il mange bien, il dort bien mais il est toujours aussi difficile de l’approcher. Ses yeux suivent chacun de mes gestes. Il est le plus souvent perché et hors d’atteinte. J’aimerais le prendre dans mes bras, le caresser mais ses yeux m’en dissuadent et la patte qu’il lance vers moi, toutes griffes dehors, me fait battre en retraite. Il faut que je fasse preuve de patience même si ce n’est pas ma qualité principale. Je suis sûre qu’avec le temps nous deviendrons amis. Aujourd’hui j’ai trouvé le nom que je vais lui donner. Quand je le regarde, avec son museau encore pointu, ses petites oreilles dressées et son pelage gris il me fait penser à une souris égarée. Il s’appellera donc Souris ! C’est le comble pour un chat me direz-vous mais je trouve cela amusant.
 
Le Chat
Voilà une semaine que je suis enfermé chez elle. C’est une prison dorée je vous l’accorde, mais c’est une prison quand même. Je veux bien reconnaître que je commence à apprécier la bonne nourriture, le coussin très doux près du radiateur et le tapis devant la cheminée. Elle fait des efforts pour se rapprocher de moi mais, pour l’instant, je garde mes distances. Un regard vert et métallique, un coup de patte et tout rentre dans l’ordre. Ah ! J’ai oublié de vous dire ! Savez-vous comment elle a osé m’appeler ? « Souris ! ». Quel déshonneur pour un chat ! J’en ai la chair de poule.
 
 
L’ Amour ?
 
Lisa
Aujourd’hui est un jour anniversaire. Voilà un an que Souris fait partie de ma vie. Après des débuts un peu difficiles chacun a trouvé sa place et on commence à s’apprécier. Quand je m’approche de lui, il ne se sauve plus. Je peux le caresser et il lui arrive même de ronronner. Si je l’appelle, ses oreilles se dressent et il me regarde presque tendrement. Il daigne même dormir sur mon lit mais en prenant le plus de place possible bien sûr ! J’aime le regarder se prélasser au soleil. La lumière joue avec son pelage et lui donne des reflets argentés Je suis heureuse car ma patience a été récompensée. Nous nous aimons pour la vie.
 
Le Chat
Déjà un an que j’ai quitté ma grange. Ma vie est tranquille même si je m’ennuie un peu. Elle a fait beaucoup d’efforts pour me séduire et Elle y est presque arrivée. Je suis devenu un chat domestique. J’aime quand Elle me caresse le dos de sa main douce et parfumée. Je me surprends même à ronronner mais je me reprends aussitôt. Si Elle m’appelle, je fais d’abord la sourde oreille mais finalement je me dirige vers Elle, la queue en l’air et en dansant. Elle est ravie. Il lui en faut peu quand même ! Tous les soirs, Elle veut jouer à cache-cache et c’est devenu un rituel. Je me dissimule derrière une porte ou je m’enfonce sous le couvre-lit. Elle rit aux éclats quand Elle me découvre après avoir fait semblant de me chercher longtemps. Mais je ne suis pas dupe ! Enfin, je reconnais qu’il est très agréable, en fin de journée, de m’allonger sur son lit confortable pour une longue et douce nuit. Et pour tout cela, je lui pardonne presque de m’avoir appelé Souris.
 
 
La Trahison
 
Lisa
C’est une belle journée de printemps. Je m’active dans la cuisine, Souris est couché sur le rebord de la fenêtre. C’est son point d’observation favori : il peut voir les gens passer tout en étant hors d’atteinte. Je monte quelques instants au premier étage pour étendre mon linge. Quand je redescends Souris a quitté son poste. Il doit être dans le salon vautré sur le canapé. Mais ce n’est pas le cas. Je l’appelle plusieurs fois, mais il ne vient pas. Il n’a pas pu monter dans la chambre car j’ai fermé la porte derrière moi. Où se cache-t-il ? Sous la table ? Derrière le fauteuil ? Je commence à m’inquiéter mais je cherche à me rassurer. Il n’a pas pu sauter dans la rue, il ne l’a jamais fait, il est tellement craintif. Mes recherches dans la rue restent vaines : personne ne l’a aperçu non plus. Mais au bout de deux heures je dois me rendre à l’évidence : Souris a disparu ! Je suis anéantie ! Pourquoi a-t-il brusquement décidé de sauter ? Où a-t-il pu aller alors qu’il n’est jamais sorti ? La fenêtre et le balcon étaient ses limites et il les a toujours respectées scrupuleusement. Je n’arrive pas à réaliser ce qui m’arrive. Je ne peux pas envisager ma vie sans lui. Mais plus le temps passe, plus je perds espoir…
 
 
Le Pardon
 
Six mois plus tard…
Depuis deux jours il pleut sans discontinuer et la température a vraiment chuté. Enveloppée dans un plaid, confortablement installée dans mon fauteuil préféré, je lis devant la cheminée. Soudain il me semble entendre des miaulements. Mon imagination me joue encore des tours sans aucun doute. Mais les miaulements se répètent et deviennent de plus en plus fort. Ils semblent venir de la porte d’entrée. Je me lève et je vais l’ouvrir doucement. Le spectacle qui s’offre à mes yeux me fait vaciller : sur le paillasson, trempé jusqu’aux os et tremblant de froid, Souris me regarde et ses yeux semblent implorer mon pardon. Il tient dans la gueule ce que je prends d’abord pour une souris mais, en me penchant vers lui, je m’aperçois qu’il s’agit en réalité d’un chaton au pelage gris. Quand ce dernier lève vers moi un regard apeuré, je remarque aussitôt que ses yeux sont verts. A partir de ce moment je ne sais plus si c’est la pluie qui inonde mon visage ou mes larmes de joie. Je prends délicatement le chaton dans mes bras et je rentre dans la maison, précédée par Souris.
Un peu plus tard, séchés, brossés et nourris ils dorment tous les deux à mes pieds. Je n’ose même pas bouger de peur de les réveiller. Je suis comblée. Souris ne m’avait pas oublié et il vient de me faire le plus beau des cadeaux en me confiant son fils qui devait être, j’en suis sûre, le plus petit et le plus fragile de la portée. Au fait comment vais-je l’appeler ?
 
Le Chat
J’avais oublié que j’étais si bien chez Elle. Comment ai-je pu lui faire autant de peine ? Mais c’est la faute de cette jolie chatte blanche qui passait chaque jour sur le mur en face de la fenêtre. Elle s’asseyait face à moi et clignait des yeux pour me montrer que je lui plaisais. Après plusieurs jours de ce manège, je n’ai pas pu résister et, malgré ma peur de l’inconnu, j’ai sauté ! Je venais de trouver à la fois l’Amour et la Liberté.
Mais j’ai vite déchanté : finis les repas copieux et variés, il fallait chasser pour manger ; finies les nuits douces sur un lit douillet, il fallait trouver un trou, une cave pour ne pas mourir de froid. Et tout cela pour qu’elle finisse par me quitter pour un vulgaire chat de gouttière ! Elle a emporté avec elle les trois chatons blancs et m’a laissé le gris si petit et si fragile mais il me ressemble tant. J’en suis fou. J’espère qu’Elle finira par l’aimer. Mais aujourd’hui une chose est sûre : je suis rentré chez moi et je ne repartirai jamais !
 
 
Epilogue
 
Si un jour, en vous promenant, vous passez à Bagnols en Forêt dans le Var, vous verrez peut-être à l’entrée du village, couchés sur le rebord de la fenêtre, deux chats magnifiques. Vous ne pourrez pas vous empêcher de marquer un temps d’arrêt, fascinés par leurs pelages gris bleuté qui brillent au soleil et leurs yeux immenses d’un vert éclatant.
 
Elisabeth
 
 

Rédigé par Elisabeth

Publié dans #Les concours

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