BIBLIOTHÈQUE ENCORE ET TOUJOURS
Publié le 7 Avril 2023
Cette bibliothèque finira par avoir ma peau. Rien ne s’améliorait. Toujours aussi mal rangés, les livres qui s’empilaient sur les étagères en prenaient à leurs aises et se promenaient en toute liberté dans une obscurité trahie par la flamme d’une bougie oubliée par le préposé des lieux qui, à quatre vingt cinq ans, ne pensait plus qu’à sa retraite.
Je remarquai, au fond d’une étagère branlante, un ouvrage particulièrement agité qui faisait des effets de pages comme s’il voulait s’envoler.
- Quand je pense à tous ces philosophes qui s’expriment à travers mes mots dans ce temple de la pensée universelle, que je suis, j’enrage d’être obligé de supporter ces nuages de poussière contre lesquels personne ne fait rien.
- Moi aussi, dit une petite voix claire et douce.
- C’est vrai que votre couverture composée d’un paysage rupestre agrémenté de fleurs et de petits oiseaux virevoltant dans un ciel azur et ensoleillé, mérite un autre environnement.
- Oh oui. D’autant plus que mes tendres amoureux sont des êtres délicats et ont du mal à côtoyer un tel voisinage.
- Dites moi, est-il vraiment indispensable que les héroïnes qui animent vos pages soient mannequins ou danseuses étoiles, voire, hôtesses de l’air ? Et que ces messieurs roulent en Ferrari ?
- Non mon cher. Nous en avons aussi des pauvres, mais ils sont tellement beaux. Tenez, à la page dix-sept, j’en ai un qui fauche les blés par une journée de chaleur torride pour gagner une assiette de soupe. Il est torse nu, pas un brin de graisse, ses muscles se dessinent sous sa peau bronzée, la sueur ruisselle sur sa poitrine et dégage une odeur de fauve. Ses yeux bleus vous fascinent quand…
- Eh OH ! Doucement, calmez vous, vous allez tomber en pâmoison. Il est peut-être beau votre minet mais comparé à tous ces anciens, tel que Socrate, Platon, Aristote, Diogene et tant d’autres, qui ont créé la démocratie et essayé de donner l’idée de la liberté aux peuples dans le monde entier, il ne fait pas le poids.
- Je sais, je sais. Mais j’ai aussi des petites qui souffrent d’amours déçus, d’aventures malheureuses sans lendemain et…
- Mes personnages à moi portent la barbe et enseignent à leurs contemporains la sagesse et la valeur du moment à l’instant où ils le vivent. Reconnaissez que c’est autrement plus important qu’un rêve de midinette.
- C’est vrai. Les grands hommes qui ont fait l’histoire méritent d’être, encore, parmi nous mais ceux qui vivent dans mes textes ont aussi le droit d’exister pour faire plaisir à tous ceux qui veulent lire leurs aventures. Tenez, j’en ai un autre à la page trente-deux qui va vous plaire. Celui-ci est riche. Il est à la campagne avec une dame qu’il essaie de séduire. Il l’enlace doucement, ses mains se posent sur ses épaules et il la pousse lentement vers le capot de sa voiture. C’est chaud, dit-elle. En effet le moteur de la Mercedes n’avait pas encore refroidi.
- Oui mais il n’y a pas que le moteur qui est chaud. Mes sentiments pour vous sont plus brûlant que la lave d’un volcan et…
- Excusez mon coté brutal, mais je pense qu’il veut la sauter à la hussarde et que l’histoire du moteur chaud est un prétexte pour préserver l’intégrité du cuir des fauteuils de sa berline.
- Quelle horreur ! Et moi qui vous prenais pour un ouvrage sérieux. Je suis très déçue. Je retourne sur mon étagère que je n’aurai jamais dû quitter.
- C’est ça ! Et si la page trente-deux arrive à ses fins, n’oubliez pas de me tenir au courant.