TOUS LES INSTANTS D’APRÈS
Publié le 6 Février 2023
Quand, exposé dans le vétuste musée des sciences de notre petite ville, j’ai découvert ce bout de météorite biscornu, gros comme orange écrasée, malgré mes à peine 10 ans, j’ai compris que, comme le soufre de l’allumette, ma curiosité s’enflammait d’une étincelle qui durerait, j’en étais presque sûr, pour longtemps, voire toujours.
En grandissant, ma part de rêve et d’espace ne me quitta plus. Je me plongeais dans les études et je m’abreuvais de recherche de savoir, mais des myriades questions s’amoncelaient tandis leurs réponses suffoquaient. J’arpentais la fin de mon adolescence et mes livres, l’école devenaient une frontière contraignante.
Un matin mon envie de course au trésor, tel un chien qui demande pour sortir jouer, posa sa truffe humide sur un rebord de mon cœur. Une brise légère et tiède jouait avec le tissu des rideaux, les lueurs douces de l’aube naissante, se faufilaient entre les lattes des persiennes, les premières rumeurs citadines bourdonnaient, le goût acidulé et pétillant de l’aventure me réveilla, d’un bond je quittais mon lit. Une douche, un café, mon sac, des fringues, un carnet, mon appareil photo, mon argent économisés dans ma poche, un message pour mes parents pour ne pas qu’ ils s’inquiètent,
(mais quels parents ne s’inquiètent jamais) et me voilà sur le seuil de ma maison que je m’ apprête à quitter.
Je vais le franchir tout va changer, et je repense à mon compagnon le météorite, vestige du fameux big bang.
En ce temps n’y avait rien et une seconde après…
Quelle Seconde Magique ce dût être ! Belle, mystérieuse, quasi mystique, qui fait tout basculer et propulse, sur une trajectoire, une perpétuelle marche avant à l’image de ce caillou, voyageur interstellaire, minuscule miette d’univers, qui aura traversé l’insondable Espace nous surplombant pour conclure son embardée loufoque sur notre Terre, dans une pièce mal éclairée et poussiéreuse et enfin parader devant mon regard d’enfant émerveillé jusqu’à la fin de mon temps à moi, notre temps à nous tous.
Et je suis parti. Bus, train de banlieue et grande ligne, au gré des jours, des semaines des mois, copie tracée sur papier calque de la particule primaire lancée dans le cosmos primitif, j’abordais mon odyssée dans ma galaxie terrienne.
Durant la principale partie de mon avancée, j’ai bourlingué au cœur palpitant de fortunes éparses, mon appétence en évidence, comme une baïonnette posé bout du canon, quand le moment arrive pour partir au front.
Mes champs de bataille, c’était un globe de presque 40 000km d’un point à l’autre.
Mon passeport en poche, les frontières devant moi décuplèrent encore plus mon énergie cinétique.
Bien des lieux, monuments, méritent d’être vus. Le soleil couchant sur les pierres blanches en granit du château d’Amboise, les odeurs de pins l’été dans les gorges du Tarn, bien des œuvres sont à découvrir : Radeau de la Méduse, le couronnement de Napoléon, des livres d’Irving, Pagnol, Bradbury ou Simon valent une lecture paisible, ne serait ce qu’une fois. Mais moi, l’émotion qui m’a chopée, me chope et me chopera toujours en refermant les crocs de ses mâchoires sur mon cœur, en jouant de lui comme un simple bout de barbaque, lorsque je me retrouve face à de ses vestiges de notre passé antique, autant « d’astéroïdes » édifiés par la main humaine qui, après une traversée en funambule sur fil de plomb des siècles et millénaires, s’érigent en conteur des légendes d’autrefois. J’aimerais vous décrire avec justesse ce qu’on ressent quand à la sortie du canyon forgé par une rivière fossile il y est milliers d’années, on voit la ville Pétra dans le désert de Jordanie, sculptée dans la roche rouge témoignage d’une civilisation nabatéenne disparue.
Si vous saviez tout ce que mes yeux ont vu.
Si vous saviez tout ce que mes yeux ont vu. J’en deviendrais vite intarissable.
Et si je dois vous causer de mes déserts, celui du Yémen, celui de Namibie, de la grande plaine du Dakota, les Moaï de l’Île de Pâques, le Colisée de Rome, le Mur d’Adrien, Stonehenge, le temps me manquera.
Les hommes, la société, les civilisations vont, viennent, naissent grandissent meurent et se remplacent l’une par l’autre, mais leurs histoires, leurs mémoires subsistent au travers les pierres qu’elles taillent et laissent sur le bords de notre course éperdue dans le feu de notre existence.
Et si c’est ça que ma pierre spatiale, celle de ma jeunesse, cherchait à me dire… ?