RETOUR AU CARNAVAL
Publié le 10 Février 2023
Maëlle avait fait une pause dans son parcours du jour. Son sac à dos posé à ses pieds, elle alluma son téléphone pour regarder ses messages. Celui de son grand ami Laurent lui fit chaud au cœur. Laurent… compagnon de l’enfance, de l’adolescence, de la vie d’étudiant à Nice, des 400 coups et des virées mémorables ; Laurent qui avait quitté Nice pour « monter » à Paris exercer son métier de journaliste et à qui elle avait laissé les clefs de son appartement si l’envie lui venait de revoir la Méditerranée pour quelques jours ou quelques semaines.
« Ma Maëlle, je me suis décidé à profiter de ton appartement, même si j’aurais préféré te voir par la même occasion, mais la nostalgie de la Méditerranée, du Château et du Vieux Nice ont balayé mes hésitations. Je me suis rendu compte que le Carnaval commençait cette semaine et je compte bien aller me noyer dans la foule joyeuse et dans ce grand chahut qui entoure tous les corsos. Prend bien soin de toi. Bisous ma belle »
…
A peine descendu de l’avion, le tram avait transporté Laurent directement sur les quais du Port de Nice. L’odeur de la mer et des bateaux a fait ressurgir mille souvenirs d’enfance et, après avoir remonté les marches, il lui avait fallu quelques minutes pour se trouver devant la lourde porte de l’immeuble de Maëlle. Son appartement respirait les voyages, melting-pot international et coloré d’objets chinés, marchandés aux quatre coins du monde. En sirotant son pastis sur le balcon, il regardait la digue du port et le phare qui venait d’allumer son feu rouge. Demain il irait… il ne savait pas où ni dans quel ordre mais pour le moment il se laissait envahir par les souvenirs des Carnavals de son enfance.
D’abord, l’atelier immense où se construisaient les chars. Son père l’amenait de temps en temps le samedi matin, il allait y saluer un ami carnavalier qui se faisait un plaisir de donner mille explications au gamin qu’il était. C’était gris là-dedans dans ses souvenirs, gris mais joyeux, chacun savait exactement ce qu’il avait à faire. Et oui, gris, car avant les peintures et les habits en satin coloré il y en avait du travail pour construire les structures des chars et de leurs personnages de carton-pâte. Il y avait aussi de la musique. Des vieux airs niçois. Laurent tenait fermement la main de son papa et marchait dans l’atelier la tête penchée en arrière et les yeux curieux de tout. Ça s’interpellait – en niçois souvent – , ça criait, ça posait des questions. Un joyeux brouhaha… et à chaque visite Laurent voyait les chars et les grosses têtes qui prenaient forme.
Et puis c’était la première sortie de sa Majesté Carnaval. Les chars passaient dans les petites rues derrière le Port, les habitants du quartier étaient au balcon. Les flonflons commençaient à se roder. Quelques enfants costumés sur les chars, tranquilles pour le moment, jusqu’à arriver sur la « ligne de départ » du corso.
Et là, la foule, le bruit, la musique, les cris des vendeurs de confettis, la mise en place des orchestres et fanfares variées qui lâchaient quelques sons cacophoniques pour se chauffer. Laurent accompagné de sa famille se tenait au bord de la chaussée de l’avenue de la Victoire, au premier rang d’un ruban compact de touristes mêlés aux Niçois. Les chars défilaient à un train de sénateur. Chacun sa musique. Les enfants dansaient, chantaient, jetaient des confettis. Les porte-voix crachaient leur animation.
Laurent n’était pas en reste, avec son frère et ses sœurs. Entre deux chars, une fanfare défilait. Trompettes stridentes, cuivres aux sons pleins et grosse caisse caverneuse qui résonnait dans son ventre… Quel joyeux défilé mais quel bruit aussi ! La musique entraînante qui donne envie de danser, de tourner, de chanter. La musique « locale », des chansons aux paroles tantôt nostalgiques tantôt un peu osées mais en niçois, ça passe mieux !
Ce que Laurent adorait par-dessus-tout, c’étaient les grosses têtes. Des têtes énormes, aux bustes raccourcis, qui défilaient en petits groupes selon un thème bien précis lié à celui du Carnaval, avec de toutes petites jambes qui en dépassaient et un petit trou au niveau du buste par lequel on pouvait deviner la figure de celui qui la portait. Laurent en avait fait l’expérience à l’adolescence, il gagnait ainsi son argent de poche pour partir en vacances avec ses copains pendant l’été. Il adorait courir vers les enfants et s’incliner dans leur direction, risquer quelques pas de danse selon le morceau joué par le char qui le précédait. C’était fatiguant, la « tête » était lourde, il fallait tenir presque deux heures mais Laurent et ses copains rivalisaient d’ingéniosité pour protéger leurs épaules qui soutenaient la structure en bois.
Il y avait aussi l’immanquable lancer de « Paillassou » et tout autour du drap blanc tenu par quelques-uns, des gamins couraient, s’apostrophaient et chantaient pour encourager les lanceurs dans leur décompte de rebonds.
Une cacophonie incroyable, mélange de cris, musiques à fond dans les haut-parleurs, fanfare locale ou étrangère, majorettes. Des farandoles improvisées. Des couleurs, vives, chaudes sous le soleil ou scintillantes lors des corsos nocturnes.
Laurent savait qu’il ne retrouverait pas cette ambiance bon enfant et spontanée de ses souvenirs, mais il irait dès le lendemain soir assister à la première sortie du Roi, de la Reine et de Carnavalon.