LA DENTELLIÈRE

Publié le 4 Février 2023

 
 
Rentrée à Nice, Maëlle avait mis plusieurs jours pour décanter des découvertes-chocs de ce dernier mois. Elle avait opté pour un peu de farniente à la mode sudiste, mais c’était sans compter sur sa bougeotte légendaire.
 
Pas de passeport, pas de visa, juste un billet de train qui la mènerait au Puy-en-Velay, point de départ de la Via Podiensis, en direction de Santiago (celui d’Espagne cette fois-ci !) Un long cheminement qui lui prendrait presque deux mois… Elle avait du temps. Elle avait envie. Alors pourquoi pas ?
 
Le tortillard qui se traînait de Saint-Etienne au Puy-en-Velay n’en finissait pas avec ses « escales » mais elle ressentait déjà la pression du TGV Nice-Lyon et de la gare Lyon Part Dieu retomber. Elle se laissait doucement porter en ce début d’après-midi, n’ayant aucune idée de ce qui pouvait bien l’attendre sur ce Chemin.
 
Arrivée au Puy, elle rejoignit le gîte qu’elle avait réservé et ses affaires installées dans sa chambre, elle partit illico pour une découverte de la ville haute, dédale de rues escarpées sous la cathédrale majestueuse Notre-Dame du Puy.
 
Au détour d’une ruelle, sur une placette à peine plus grande que son salon, Maëlle aperçut une vieille dame assise devant la vitrine d’une échoppe hors du temps. Habillée de noir, la tête penchée en avant, elle était captivée par un ouvrage quelconque autour duquel ses mains s’activaient fébrilement. En s’approchant, Maëlle découvrit que ces mains qui bougeaient sans arrêt prenaient et reposaient des espèces de fuseaux en bois dont elle entremêlait les fils de coton blanc. Un ballet orchestré de main de maître, dont la partition lui semblait aléatoire. La dentellière, par contre, n’avait aucune hésitation. Ses doigts déformés par la vieillesse semblaient fragiles mais elle se saisissait habilement de chaque fuseau-bobine pour le reposer après l’avoir glissé une fois dessus, une fois dessous son ouvrage (à moins que ce ne soit l’inverse) et en reprendre un autre après. La composition de dentelle se faisait petit à petit.
 
Maëlle était fascinée par la concentration de la vieille dame, qui semblait absorbée dans une bulle intemporelle. Elle imaginait combien d’ouvrages elle avait pu accumuler durant toute sa vie, l’échoppe semblait dater d’un autre monde, sans doute avait-elle pris la suite de sa mère, de sa grand-mère ? Pendant qu’elle se perdait dans ses pensées, de son côté la vieille dame continuait inlassablement, à peine avait-elle levé un instant ses yeux d’un bleu délavé vers Maëlle en lui adressant un sourire timide.
 
En regagnant son gîte, Maëlle se disait que désormais elle verrait d’un autre œil le napperon jauni sur le guéridon de l’entrée chez sa grand-tante. Tant d’heures de travail minutieux forçaient au respect.
 
 

Rédigé par Bernadette

Publié dans #Trésors du monde

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