TEMPUS FUGIT

Publié le 10 Janvier 2023

 

On m’appelait le phare d’Alexandrie. J’ai servi de guide aux marins pendant des siècles. Tous les soirs un homme montait à mon sommet pour raviver le feu. Et moi, fier, dressé au bord de la Méditerranée, j’éclairais la nuit, j’envoyais la lumière jusqu’au bout de la mer, jusqu’au bout de la Terre, veilleuse nocturne pour les habitants de la ville.

Un jour, j’ai senti vibrer sous mes pieds. C’était léger, je ne me suis pas méfié. De toute façon, qu’aurais-je pu faire, scellé sur la roche ? Ce petit tremblement fut suivi d’une secousse terrible. Tout mon socle a vacillé, mon faîte s’est décroché. Un grondement, un rugissement digne d’un grand fauve m’a encerclé, la mer m’a attaqué pendant qu’autour de moi, la ville s’écroulait. Une autre secousse est arrivée, encore plus forte. Elle a descellé mes pierres blanches, je me suis effondré, des vagues terrifiantes m’ont avalé.

Depuis je gis, éparpillé, au fond de la mer. L’algue, le sable ont peu à peu recouvert les morceaux de moi. Je ne sais plus si c’est ma base, mon centre, mon sommet qui raconte mon histoire. Drôle de sensation d’être ainsi éclaté…

Moi, symbole de puissance, haut de plus de cent mètres, j’étais altier et magnifique. J’étais l’une des sept Merveilles du monde antique, orné de statues roses, resplendissant de jour comme de nuit, et me voilà aujourd’hui déchu et disloqué ; je ne sers plus que de cachette aux petits poissons.

Il y a quelques années, un espoir insensé m’a traversé. Des plongeurs ont retrouvé quelques pierres de mon corps. Tous mes autres débris ont alors essayé de crier, de bouger, de se manifester de toutes les manières possibles pour qu’on nous repêche et qu’on me reconstruise. En vain. Personne ne les a entendus, ni vus. Les plongeurs sont repartis, je suis resté au fond de l’eau. La mer, mon tombeau… Je me croyais immortel, je n’étais qu’éphémère.

Un matin de soleil, alors que la lumière dansait entre deux eaux, j’ai vu passer une bouteille, sans doute jetée à la mer par un poète car elle ne contenait que quatre vers, mais qui ont résonné très fort en moi :

Le Temps qui, sans repos, va d'un pas léger,

Emporte avecque lui toutes les belles choses :

C'est pour nous avertir de le bien ménager

Et faire des bouquets en la saison des roses.

Il m’a semblé important de vous les transmettre, juste pour vous dire de rester tout le temps en éveil devant les trésors que le monde vous offre. Moi, je repars vers l’oubli.

 

 

Rédigé par Mado

Publié dans #Trésors du monde

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