L’ŒUF MAUVE A DISPARU
Publié le 24 Janvier 2023
Je suis né en Russie, fabriqué par la noble famille Fabergé, dont le père Pierre Karl, joaillier est issu de la lignée huguenote française. Je suis le symbole d’une tradition païenne. La célébration du renouveau du printemps, associé par la suite à la résurrection du Christ à travers les œufs de Pâques.
Le premier œuf a été conçu sur la demande du tsar Alexandre III, pour sa femme l’impératrice Maria Fédorova, connu sous le nom d’Œuf à la poule.
Je suis l’un des cinquante quatre œufs impériaux.
Je suis aussi rare que luxueux, composé d’or, d’améthystes ou encore de diamants. Majestueux, je trône sur un socle incrusté de pierres précieuses. Je suis l’œuf de l’amour interdit offert, en cadeau d’adieu, par le tsar Nicolas II à Mathilde Kschessinska, sa maîtresse. Il était tombé éperdument amoureux de cette célèbre danseuse polonaise, à la beauté envoûtante qui lui donna un fils. Cette liaison, peu conventionnelle à la Cour, prit fin le jour des noces de Nicolas II avec Alix de Hesse-Darmstad, l’impératrice Alexandra Fedorovna.
Après cette idylle secrète, Mathilde me conserva jalousement, j’étais le joyau de sa vie.
Chaque matin et soir, elle insérait un minuscule pic en or, qui ouvrait et refermait les deux parties invisibles de ma structure, au son d’une douce mélodie romantique. J’étais devenu le gardien du secret du tsar, qui avait eu l’idée de dissimiler une parure de bijoux pour sa bien aimée, bague, collier, boucles d’oreilles sertis de brillants aux mille reflets.
Au début de la révolution, Mathilde se réfugia dans un premier temps à Vienne, chez une de ses sœurs. Je trouvais ma place, dans une des malles, précieusement enveloppé, au milieu de soyeux jupons de dentelles à l’abri des regards. Mon périple ne s’arrêta pas là. Après l’assassinat du tsar et de sa famille, Mathilde décida de rejoindre la France. Durant des jours, bercé dans un luxueux wagon de l’Orient Express, je redevenais le centre d’intérêt de ma jolie maîtresse qui se paraît de ses plus beaux atours.
J’avais disparu de la Russie, mais je roulais vers d’autres aventures.