JE M’APPELLE LUCY

Publié le 15 Janvier 2023

 

 

Quels sont ces bruits que je ne connais pas, cette musique ?

Les vents du désert sont beaucoup plus voluptueux. Les balayettes d’alfa touffue qui diffusaient la poudre sur ma peau scandaient un rythme plus saccadé. Mais, folle que je suis, je n’ai plus de peau, plus de joues rebondies sur mon visage donc je n’ai plus besoin de poudre argileuse pour me protéger des brûlures du soleil !

Stupide, ma fille ! me dis-je, tu ne marches plus, tu es décharnée. Les scarabées ont festoyé depuis longtemps avec tes fesses galbées. Tes muscles et tes viscères ont été un dessert succulent. Fourmis, vers, hyènes se sont tous régalés avec les restes des vautours.

Alors ! Quoi ! Ce bruit maintenant, un silex frappé si brutalement, c’est moderne cette cadence de roc.

Ce sont sûrement les derniers envahisseurs du Nord ou du Sud, ceux dont la science du silex et la convoitise du feu ont exterminé notre horde. Enfin, je ne sais plus, ma confusion est totale et en plus, ce bruit de larynx, ces sons gutturaux me rappellent la logorrhée que nous utilisions dans la tribu. Nous imitions les cris d’oiseaux et les rugissements du lion pour échanger nos peurs, nos joies.

Tiens, ils sont entrain de bouger mon tibia, le droit qui croisait le gauche. Dommage que mes pieds sont en poussière, aucune phalange, aucun tendon maintenant! Sinon, ils l’auraient senti le coup que je leur aurais donné, cette horde de sauvages étrangers. Mais ce n’est pas fini, mon fémur, mon humérus, mes côtes, mes osselets, dans des boîtes enfermés. Heureusement, ils mettent des gants pour me toucher, c’est assez doux. Pour mon crâne, ils y vont avec des pincettes, je deviens très précieuse.

Je n’avais jamais été examinée et caressée autant, ou alors, je ne m’en souviens plus. D’ailleurs, ils me baptisent et me nomment « Lucy ».

Le bruit des balayettes s’est tu.

Mes os sont bien rangés. Chacun a un nom, un numéro classé comme ils disent.

Ça, j’ai compris, c’est le cri du singe quand il a faim et se met en colère dans l’arbre.

Enfin, c’est moi Lucy, trésor de ces gens. Anthropologues qu’ils se nomment dans leur dialecte. Parmi eux, il y en a un qui me ressemble quand j’étais en chair, il a la couleur de peau foncée que j’avais. Ils l’appellent « L’E-THIO-PIEN ».

J’ai oublié de vous dire, ils pèsent et mesurent tout. Je ris beaucoup de ces opérations.

Mes orbites sont vides et ma moelle est desséchée. Ils ne m’ont pas découverte avec des yeux bien fendus et vifs comme la braise. Ils n’ont pas touché mes seins pointus et généreux qui ont nourri six hominidés. Ils ne m’ont pas vu bondir dans la savane et cueillir les baies avec mes dents acérées. Cette Lucy pleine de nerfs, de poils et de cartilage était un vrai trésor. C’est ce que me murmurait mon hominidé qui riait avec moi à l’ombre des bosquets. Il se battait contre les tigres pour nous protéger, avec mes petits. Tiens, je vais l’appeler Luc. C’est un trésor lui aussi maintenant.

Vivement qu’ils le trouvent pour nous réunir, Luc et Lucy.

 

Rédigé par Dona

Publié dans #Trésors du monde

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