INDESTRUCTIBLE
Publié le 12 Janvier 2023
« Élégant, gigantesque, robuste, indestructible, Rome a-t-il construit une œuvre pareille ? »
C'est ce qu'a déclaré Cléopâtre lorsqu'elle m'a présenté à César. C'est la seule fois où j'ai cru apercevoir un semblant de sourire sur son visage. Je m'en rappelle encore. Je suis le phare d'Alexandrie construit en 300 avant JC. Voilà seize siècles que j'existe.
Je ne suis pas encore une des merveilles du monde, mais tout le monde m'admire.
Il faut dire que les dieux se sont penchées sur mon berceau. Le plus grand mathématicien jusqu'à aujourd'hui, Euclide, a mis en application son postulat de géométrie tout en guidant l'architecte dans ma construction. Équilibre, inébranlable, proportions sans failles pour les trois étages...
Bon ! J'arrête il vaut peut-être mieux vous raconter mon histoire !
Le soleil se lève dans la douceur de l'orient lumineux. Les pierres s'animent...
Les meilleures pierres de granit d’Égypte, les clavetages en plomb fondu les plus judicieux pour assembler ce mastodonte.
Un premier étage carré, pyramidal de soixante-dix mètres de hauteur.
Une rampe intérieure accessible aux hommes et aux bêtes pour approvisionner en papyrus, herbes sèches, huile de combustion le deuxième étage octogonal de trente-quatre mètres où tout est transporté à dos d'hommes vers le troisième étage cylindrique. Et là brûle le feu permanent, de jour comme de nuit, visible cinquante lieues à la ronde.
Cent trente cinq mètres de hauteur, vous vous rendez compte du jamais vu !*
Il faut dire que la côte ici est plutôt plate, rectiligne, parfois même elle se confond avec un mirage, mais les récifs tranchants, immergés sont bien là pour rappeler qu'il ne faut pas la longer mais bien s'en éloigner.
Tous les capitaines de navires savent depuis des siècles qu'il faut rester en mer jusqu'à ce qu'ils m'aperçoivent. Alors il faut naviguer face à mon repère, manœuvrer à quatre-vingt dix degrés et se diriger vers ma lueur salvatrice.
Combien de cris de joie ai-je entendus lorsqu'ils franchissent la passe de l’îlot de Pharos où l'on m'a construit et apportent toutes sortes d'offrandes à la statue gigantesque de Ptolémée pour le remercier de sa bienveillance.
Finis les dangers, les angoisses. Je suis là sous la protection de Zeus pour apporter espoir et salut aux navigateurs.
Je suis une légende vivante. Les tempêtes de Méditerranée, ciel noir, coups de tonnerre, éclairs, déferlantes, Poséidon sait bien qu'il y aura toujours LE phare d'Alexandrie pour guider ces malheureux à bon port !
Encore une journée passée avec le bonheur d'entendre les clameurs de l'équipage de ce « nave onerariae » chargée de marchandises passer le goulet de Pharos.
Le soleil se couche dans le rougeoiement de quelques nuages épars. Les vaguelettes s'alanguissent le long du quai nord. Le vent de la mer arrive avec son murmure caractéristique. La nuit s'installe, calme. Un air d'éternité...
Un grondement sourd venu d'on ne sait d'où s'installe, s'amplifie. Les vaguelettes s'agitent… frétillent... Sur le quai nord des fissures apparaissent… Quelques clavettes en plomb fondu s'échappent… Ptolémée vacille. Nous sommes en 1303...
* Il faudra attendre des siècles avant qu'un gratte ciel de New-York le surpasse avec le « Singer Building » et ses 187 mètres. Construit en 1908 et démoli en 1968 !