RETOUR AUX SOURCES

Publié le 17 Décembre 2022

 

Avec un emprunt, à peine modifié, à Madeline MARTIN pour incipit

 

« John Bennett avait toujours rêvé de vivre à Londres. Mais il n'aurait jamais imaginé qu'un jour, ce serait sa seule solution »

La lecture ça avait toujours été son Graal. Enfant il dévorait les romans qui le portaient à la rêverie. Le comte de Monte-Christo, Les Trois Mousquetaires, Les Misérables, Sans famille. Combien de temps s'était-il attardé a dessiner tout ce qui l'interpellait : fiacres, landaus, sulkys visages juvéniles, visages patibulaires. Relire les passages qui l'avait impressionné. S'imprimer de toutes ces émotions contradictoires.
Évidement on peut se libérer d'une mauvaise éducation en apprenant plus tard la littérature, la Vraie, les grands auteurs, les Morrison, Faulkner, Steinbeck. Mais comment oublier le retour d'un Edmond Dantès, le trouble d'une Dolorès, l'émotion liée à une telle injustice… C'était décidé, plus tard il sera écrivain.
Où trouver l'inspiration quand on mène une vie on ne peut plus normale ?
Par la fréquentation de lieux plus sombres, plus adaptés à l'action de ses compagnons de rêverie et imaginer à son tour des histoires que seule portera l'aventure.
Où rencontrer cela ? Ici au village, qui lirait ce qu'il écrirait ? Le rédacteur principal du canard local lui avait clairement précisé que ce n'était pas ce qui intéressait les lecteurs.
« Visez plutôt une grande ville, où il existe une soif de culture, de nouveautés. Paris ou une autre capitale, Londres peut-être, n'oubliez pas tous les auteurs qui ont percé là bas : Mark Twain, Virginia Woolf. Et surtout cette phrase qui n'a existé que là bas : Lorsqu'un homme est fatigué de Londres, c'est qu'il est fatigué de vivre. Alors installez-vous à Bloomsburry  et inspirez-vous de cette fièvre créatrice. »

Quitter Thénezay son village natal des Deux-Sèvres pour s'installer à Londres apparut comme une évidence. Il parlait correctement l'anglais et son oncle le recommanda auprès d'un exportateur de cognac.
Ses soirées, ses fréquentations, lui inspiraient quelques nouvelles sans grand intérêt à ses yeux, éditées par un amateur sous le vocable « Le frenchie et ses rêves » ce qui lui permettaient d'en vivre en attendant mieux.
Ses dernières lectures l'avaient progressivement amené à la recherche d’événements plus dramatiques. Ses personnages vinrent à lui pour ainsi dire en ami.
Il passait souvent ses soirées attablé jusqu'à point d'heure.
- Ça suffit, ça suffit ! éructait son voisin.
Son mini scandale aurait pu passer inaperçu dans le brouhaha, les rires sonores et l'orchestre qui venait de terminer « Times goes by ».
Est-ce la prise de conscience de la vie qui s'enfuit inexorablement ou la succession de verres d'alcool divers absorbés depuis une bonne heure qui avait déclenché son redressement brusque ?
Ancien casque bleu en Bosnie, il alimentait John d'histoires invraisemblables, vécues, qu'il se remémorait en fixant le fond de son verre toujours vide et toujours rempli. Comment ce pays, avec une côte bénie des dieux où chaque crique vaut une Côte d'Azur à elle seule, a-t-il pu sombrer dans une atroce guerre civile. La révolte grondait avec toutes les rancœurs accumulées depuis la dernière guerre et allait bientôt éclater.
L'individu se leva, se déshabilla avec des gestes incertains, resta en slip et brodequins et se dirigea en titubant vers la scène, voisine de l'orchestre, qu'il parvint à gravir avec quelques erreurs d'appréciation. Il se lança dans quelques approximations des mélodies de Roy Orbisson dans le but d'entraîner des accords plus justes par l'orchestre.
Les musiciens impassibles enchaînaient morceaux connus et improvisations.
- Ce type est malade, s'exclama son autre voisin de table.
Son regard trouble croisa celui de John ;
- Il faut le calmer, prononça t-il tout en faisant mine de se lever.
Il n'eut pas le temps de réaliser son projet. Un roulement de tambour figea l'individu en goguette et les « quatre filles du docteur March » légèrement vêtues apparurent et débutèrent un french-cancan digne d'un spectacle du Moulin rouge.
Le Docteur March était le nom de l'établissement de nuit bourré d'expatriés Français, où John aimait traîner.
Il était subjugué. Comment imaginer pareille faune et pareilles expériences ailleurs qu'ici ? L'Underground de Londres sera vraiment la source de ses futures inspirations.
L'individu en slip et brodequins revint s'installer à la table de John. Toujours l’œil vitreux il fixa John et déclara :
- Ah ! Ce n'est pas dans les Deux-Sèvres que ça serait arrivé !
- Ah bon ! Vous aussi êtes des Deux-Sèvres ? Et de quel patelin ?
- Thénezay...

 

    Gérald IOTTI

 

 

 

Rédigé par Gérald

Publié dans #Divers

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