NOUVELLE
Publié le 3 Décembre 2022
NOUVELLE
En utilisant l’incipit de la nouvelle de Romain PUERTOLAS intitulée
L’incroyable stylo Bic quatre couleurs de Benjamin Bloom
pour incipit de ce texte :
Quelques mètres après avoir franchi l’entrée de la librairie, l’écrivain à succès Benjamin Bloom stoppa net devant l’un des présentoirs.
Il était venu pour une séance de dédicaces, et comme d’habitude, il aimait bien s’imprégner de l’ambiance de la librairie, regarder les rayons, les différents comptoirs, les couvertures colorées ou non des livres étalés… Tout avait l’air en ordre au premier abord. Une table passablement grande sur laquelle trônaient des piles de son dernier roman. Un fauteuil en velours rouge, confortable, car ses séances duraient régulièrement plus longtemps que « la normale ».
Il ne put s’empêcher de feuilleter un des exemplaires de son dernier roman, celui pour lequel il était là ce soir. Lui revenaient les heures, les jours, les nuits, où inlassablement, il couchait sur le papier des mots, des phrases, des idées, jusqu’à s’emparer de son ordinateur pour relier tous les éléments de ce patchwork et finaliser son récit.
Il fut à ce moment précis abordé par une femme à l’accent chantant.
« On se connaît non ? » lui dit-elle.
« Désolé, je ne pense pas, ou alors je n’ai pas le bonheur de me souvenir de vous » lui répondit-il, flatteur, en détaillant son visage.
« Si, je vous assure, il y a longtemps… »
« Peut-être… Vous savez, je vois beaucoup de monde ! »
Elle allait tenter de lui rafraîchir la mémoire, lorsque la gérante de la librairie s’approcha et, prenant Benjamin Bloom par le bras, l’accompagna vers la table de dédicaces. « Il y a déjà beaucoup de monde qui vous attend… » Avec un sourire, l’écrivain s’installa, regardant joyeusement le public qui, sagement, se mettait en place pour patienter. Il sortit de sa sacoche une petite trousse, un carnet de notes et son stylo fétiche « spécial dédicaces ».
Avant toute chose, il chercha au fond de sa trousse un crayon à papier dont il vérifia la pointe. Il prenait toujours ses notes avec ce crayon dans son petit carnet, tous les jours, à n’importe quel moment, il notait ce qui lui passait par la tête et souvent il s’en resservait dans ses livres. Mécontent de constater que la mine était cassée, il sortit de la trousse un taille-crayon et se mit à tailler la mine. Ce taille-crayon l’accompagnait depuis maintenant plus de 50 ans, un cadeau qu’il avait reçu alors qu’il était en Cours Préparatoire. Pas n’importe quel taille-crayon, non, c’était un taille-crayon qui représentait un petit cochon. Deux trous dans le groin, dans lesquels on insérait le crayon (gros ou plus fin) et les taillures ressortaient à l’autre bout, figurant la queue en tire-bouchon du porcin. Un objet à la fois désuet et précieux, auquel il était particulièrement attaché depuis toutes ces années.
Ayant terminé ce qu’il avait entrepris, il s’attarda un instant avant de commencer ses signatures pour consigner quelques lignes dans son carnet, puis, avec un plaisir non feint, il attaqua sa séance de dédicaces, glissant un mot à chacun, questionnant les acheteurs sur leur fidélité à l’auteur, toujours attentif à tout le monde.
Un bon quart d’heure avait passé et derrière le monsieur austère qui lui faisait face à présent, il aperçut la femme qui l’avait abordé devant le présentoir. Quand ce fut son tour, elle s’avança en souriant vers Benjamin Bloom :
« Et maintenant ? Toujours pas de souvenir qui vous revient ? »
« Non, et j’en suis désolé croyez-moi. Etes-vous de la région ? Je suis déjà venu il y a deux ans, c’est peut-être là que nous nous sommes aperçus. »
« Pas du tout, je suis de passage, un pur hasard que ma présence ici, mais lorsque j’ai vu en vitrine votre nom sur l’affiche qui annonçait votre venue, je me suis dit que je ne devais pas vous rater ».
Le regard de la femme était clair, ses yeux pétillaient et son sourire se transforma bientôt en un rire irrépressible. Elle s’empara du taille-crayon qui était resté sur la table et l’agitant devant les yeux ébahis de Benjamin Bloom, continua :
« Mais si mon visage ne vous dit rien, peut-être que ce taille-crayon vous rappelle quelque chose ? »
Une incompréhension totale se peignait sur le visage de l’écrivain qui se mit à balbutier :
« Ce taille-crayon, on me l’a donné quand j’étais au Cours Préparatoire, je fréquentais à l’époque l’école Jean Jaurès à Albi ».
« Je sais, je fréquentais également cette école ! »
Une statue. Benjamin Bloom s’était transformé en statue. Il détaillait la femme qui lui faisait face et qui continuait à rire :
« Copains comme cochons, ça vous parle ? »
Un éclair passa dans le regard de l’écrivain, qui se levant d’un seul coup, contourna la table pour venir serrer dans ses bras son amoureuse du primaire qui lui avait offert ce fameux taille-crayon.