LA LETTRE
Publié le 22 Décembre 2022
Nice, le 12 décembre 2022
Ma « Chiffon »,
Tu ne vas pas le croire !!! Devine qui j’ai vu aujourd’hui ???? C’est assez incroyable pour que je prenne un stylo et une feuille de papier à la place de t’envoyer un sms, voire un Whatsapp… Et du coup, tellement de souvenirs me sont remontés que je voulais les partager par écrit, il paraît que « les écrits restent » et puis ce ne sont que des bons souvenirs que je vais te rapporter, qui font partie de tous ceux que nous avons partagés depuis 50 ans que l’on se connaît…
Ce matin je déambulais avenue Victor Hugo en sortant de chez mon chirurgien et en passant au niveau de l’église anglicane, j’ai entendu ce chant de Noël qui a rythmé nos cours d’anglais pendant les deux premières années de notre apprentissage de la langue… Tu devines de quoi je parle ? « The twelve days of Christmas »… Figure-toi que me sont remontés à la tête les souvenirs de notre professeur d’anglais du secondaire, celle vieille fille « so british » mais qui nous a tellement fait aimer cette langue. Et bien je suis rentrée dans l’église et là j’ai découvert un mini-chœur qui répétait des chants de Noël. En m’avançant j’avais les yeux rivés sur la plus grande des choristes, grand fil de fer au profil d’aigle et aux yeux bleus acier… Si ! Si ! C’était bien elle !!! Cette miss qui nous faisait répéter quelques chansonnettes anglaises selon les saisons. Toi comme moi avions été marquées par celle-ci.
Je me suis assise et j’ai attendu que la répétition finisse. Ma tête bourdonnait à la fois de nostalgie et de fous-rires. Rappelle-toi comme elle était sérieuse, le dos très droit, battant la mesure avec sa main gauche, lorsqu’elle nous faisait chanter. On était à la fois surprises, décontenancées mais néanmoins joyeuses de partager ces moments de classe d’anglais, et personne ne pensait à faire l’andouille pour troubler la classe. Oui, peut-être un petit fou-rire et quelques regards en coin échangés lorsque, emporté par son élan chantant, son dentier descendait d’un étage, elle avait l’habitude et le remettait habilement en place d’un coup de langue. J’avais les yeux rivés sur elle, je la détaillais et essayait mentalement de lui donner un âge… Je dirais pas loin de 90 ans, c’est plausible.
Alors que le dernier chant venait de s’achever et que les choristes ramassaient leurs partitions et se mettaient à échanger quelques mots, je me suis avancée timidement vers elle. Elle a tourné la tête vers moi, un regard interrogatif que j’ai interrompu en lui donnant le nom de notre école. Une lueur de surprise et un large sourire lorsque je lui ai dit mon nom, transformés par une joie visible lorsque j’ai attaqué la conversation en anglais, langue que je parle actuellement couramment grâce à toutes ces années passées travailler dans un milieu anglo-saxon. L’émotion était visible sur son visage que l’on connaissait si strict. On a échangé quelques anecdotes, elle a une de ces mémoires ! On a même rigolé, peut-être bien parce qu’il n’y a plus de rapport d’autorité. Certaines de ses collègues ont dû avoir les oreilles qui se sont mises à siffler. J’avais l’impression de la découvrir.
Je me revoyais sur les bancs de l’école, dans la cour de récré et bien sûr tu étais là. Je me souvenais de cette chanson que nous entamions inévitablement dans ton petit studio parisien chaque fois que je montais passer quelques jours à la capitale. Des gamines, on est restées des gamines… J’aurais tant voulu que tu sois là pour partager ces quelques instants que j’ai partagés avec elle, je te l’ai peut-être déjà dit mais ce n’est pas grave, je me répète… L’horloge a carrément fait un bond en avant pour elle comme pour moi mais les souvenirs étaient totalement présents. Elle a gardé son flegme britannique et l’humour qui allait avec. Elle a toujours ce petit tic qui la faisait se balancer d’un pied sur l’autre, les coudes collés au corps et les bras pliés vers l’avant, comme si elle hésitait sur une attitude à prendre. Mais tu sais, ce qui m’a le plus marqué, c’est qu’on la voyait comme une grande gigue du haut de nos 11-12 ans et bien je l’ai quasiment rattrapée. Je revoyais ses arrivées à l’école le matin, au volant de sa 2 CV antédiluvienne, ses jupes crayon à mi-mollets et ses pulls shetland…
Oh là là ma « Chiffon », quelle matinée ! Je n’en reviens tout simplement pas qu’elle soit encore vivante et surtout en bonne santé alors que l’on a perdu de nombreuses copines qui ont accompagné notre scolarité.
Je suis toute « chose »…
Bon je vais arrêter là, je pense que les souvenirs te remontent à la figure à toi aussi. Je lui ai promis d’aller assister à leur concert et si jamais tu te décides à descendre pour Noël, on lui fera la surprise d’y aller ensemble.
Je pars de ce pas poster cette lettre et je m’aperçois qu’il y a je ne sais pas combien de temps que je ai écrit à quelqu’un, je ne sais même pas si j’ai un timbre en stock dans mon tiroir.
Prends soin de toi ma « Chiffon » et à très bientôt j’espère.
Je t’embrasse fort.