LA MARCHE

Publié le 18 Novembre 2022

 

A mesure que le jour s’éparpille sur la colline, le froid de la nuit relâche ses morsures sur mes doigts et malgré les premiers rayons de soleil, je n’arrive toujours pas à me réchauffer.

Deux heures déjà que nous avançons à pas forcés. Le manque de nourriture, soif, fatigue et sommeil, mes muscles défient le lactique.

Devant moi, Conrad demeure toujours aussi silencieux. Sa colère ne desserre toujours pas son étau. Ses épaules raides et anguleuses portent le poids lourd de notre fuite.

Dans cette dérobade parvient-il à dégager une diagonale pour baliser ce no man’s land qui départagera fatalité et culpabilité.

Qu’il doive définir des torts, se désigner seul et unique responsable de cette situation.

Qu’il décide que pour lui aucun retour en arrière ne sera possible, qu’aucun compromis ou une quelconque reddition est envisageable. Que la seule solution raisonnable serait de me laisser partir et continuer seul son errance.

Ses recommandations s'averont vaines et finiront en poste restante. 

Je poursuis cette évasion et je l’accompagne dans cette trajectoire dans l'incertitude, avec cette peur qui nous pousse à rester vivant.

...

Avancer encore, au plus vite. La ligne de crête se dessine juste au-dessus, plus que quelques hectomètres pour l’atteindre, basculer sur l’autre versant  et gagner enfin la plaine. La pente se fait de plus en plus abrupte, chaque enjambée  plus rude, elle coupe l’oxygénation et  flingue la respiration.

Derrière moi, j’entends les expirations saccadées de Nolan. Elles tintent comme le cliquetis d’un message en morse qui se traduirait par : « besoin de repos, se nourrir,se désaltérer ». Mais le temps nous presse et on touche presque au but. Impossible de s'arrêter maintenant.

Je devrais clarifier avec lui la situation, lui conseiller de bifurquer, lui dire que tout est de ma faute, mais je demeure convaincu que mes argumentations ne porteront pas leurs fruits et qu’il me suivra quelque soit le risque. 

Je maintiens la cadence en silence, ses questionnements sont autant de fines aiguilles qui viennent piquer la base de ma nuque. Mon dos en mouvement constant reste l’unique ligne d’horizon que je parvienne à lui offrir pour le moment.

Je sais qu’une fois en bas, une fois installée la distance définitive nécessaire avec la meute qui nous traque depuis tout ce temps, on pourra enfin reprendre notre souffle, récupérer. Nouveau pays, nouvelle ville, pour nouvelle vie, pour une nouvelle existence, jamais transcrite. C’est le prix à conquérir,la récompense pour cette fuite harassante.

Ce qui est fait est fait, tout s’est passé très vite, notre destinée se nourrit à tort ou à raison, de secondes imprévisibles qui surgissent brutalement, celles qui suivent, révèlent une autre route qui s'ouvre devant nous. Bonne ou mauvaise, on se met à l’arpenter sans savoir où elle mène.

Dans la vallée, de l’autre côté, des projets neufs, une histoire pas encore écrite, patientent. Mais avant s’embarquer sur ce nouveau navire que nous propose le destin, il nous faut tenir et conclure notre ascension.

Après, tout va changer… mais changer ça ne veut pas dire oublier.


 

Rédigé par Jean-Michel

Publié dans #Ecrire sur des photos

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