COUP DE FOUDRE A LA LIBRAIRIE
Publié le 23 Novembre 2022
En utilisant l’incipit de la nouvelle de Nicolas MATHIEU, intitulée Une parfaite soirée,
pour incipit de ce texte :
Main dans la main, Samuel et Marion descendaient la rue Belleville, profitant du déclin de la chaleur, et de la sensation fraîche que la douche avait laissé dans leurs cheveux humides.
Ils se rendaient comme chaque mardi à la librairie de leur quartier pour une réunion de lecture qu’ils ne manqueraient pour rien au monde. Surtout Marion. Les livres… sa grande passion. Ses beaux yeux noisette, presque dorés, brillaient d’impatience, d’excitation. Ce soir, le libraire leur présenterait le dernier roman de son auteur préféré, Benjamin Bloom.
Samuel poussa la porte de la librairie pour y laisser entrer Marion. Elle s’avança et eut le choc de sa vie ! Devant un présentoir, immobile, se tenait Benjamin Bloom.
La jeune fille se sentit défaillir. Son visage passa du blanc au rose, puis au rouge. Les joues écarlates, elle était incapable de bouger, de penser. Électroencéphalogramme plat. Juste lui, beau, magnifique, superbe. Des mots, des pages entières de ses livres, lus et relus, cognaient dans sa tête, dans son cœur.
Samuel perçut le trouble de sa compagne en même temps que le sien : un drôle d’énervement, comme une inquiétude, peut-être un peu de jalousie… Comment rivaliser avec ce bellâtre talentueux… ? Il voulut prendre la main de Marion pour la réveiller de sa stupeur et l’amener vers le cercle de lecture. Il n’en eut pas le temps. Benjamin Bloom se retourna juste à ce moment-là, stoppa net en voyant Marion.
Quelque chose comme un coup de foudre traversa l’air. Dans la librairie, le temps s’arrêta une fraction de seconde. Benjamin et Marion. L’immobilité. Le silence. Juste leurs regards qui parlaient pour eux.
Le libraire fut le premier à réagir :
« Je vois que je n’ai pas à faire les présentations, plaisanta-t-il en s’adressant à l’écrivain. Marion semble vous avoir reconnu. Vous êtes, si je ne me trompe pas, son écrivain préféré. »
Les paroles du libraire rompirent l’état de sidération de tout le monde. Benjamin Bloom alla s’asseoir dans un fauteuil du cercle de lecture. Quelques habitués y étaient déjà et l’accueillirent avec empressement.
Samuel saisit la main de Marion, l’attira vers lui.
« Que se passe-t-il, Marion ? lui demanda-t-il d’un ton anxieux. Tu ne le connais pas. Tu ne connais que ses bouquins, pas l’homme qu’il est réellement. Viens rentrons, ça vaut mieux.
– Ça vaut mieux pour qui ? rétorqua-t-elle, agressive. Tu ne peux pas me demander ça. »
Et elle alla s’asseoir face à Benjamin Bloom. Samuel la suivit.
De la discussion au sujet du dernier roman de Bloom, ni Marion, ni Samuel ne retinrent une parole. Elle, toute occupée à bader l’écrivain, n’entendait rien, lui, tout occupé à surveiller sa compagne, en fit de même. Quant à Benjamin Bloom, il eut beaucoup de mal à rester concentré ce jour-là.
Quand la réunion se termina, il s’avança vers Marion, lui chuchota quelques à l’oreille avant d’aller dédicacer ses livres. La jeune fille était à présent devant un choix : suivre Benjamin ou rester avec Samuel. Samuel, son compagnon tendre et solide, toujours là pour elle… Samuel cuisinant pour elle dans leur joli appartement rue Belleville… Samuel et leurs projets d’avenir…
Benjamin paraphait ses bouquins. Il était si beau ! Il avait ressenti la même chose qu’elle, il le lui avait dit. Il lui offrait une vie de voyages, de lectures, d’amour romantique, comme dans un roman. Roman, romantique… Fiction, mirage… Elle ne savait plus. La réalité devenait multiple et son cœur se dédoublait.
Samuel la regardait, l’air anxieux. Samuel... Elle l’aimait, c’est sûr. Il avait raison. Benjamin, ce n’était que de jolis mots, de belles histoires, pas sa vie à elle. Il devait rester ce qu’il était : un écrivain qui la faisait rêver, voyager avec ses personnages, s’embarquer dans leurs aventures. Sa vie à elle, c’était Samuel. Elle lui sourit, prit sa main et ensemble, ils s’approchèrent de l’écrivain pour une dédicace.
Benjamin comprit le message. Elle continuerait donc à lui échapper, cette fille qu’il avait imaginée. Elle resterait un souvenir, un aperçu de ce qui aurait pu être.
A Marion, pour ce qui aurait pu être...
Telle fut sa dédicace.
Marion referma le roman. Sous le titre, Coup de foudre à la librairie, le portrait d’une jeune femme aux yeux noisettes, presque dorés, lui ressemblait comme un sosie.