LES QUARTIERS DE GERALD

Publié le 5 Novembre 2022

 
L’ÉTENDOIR
Je terminais mon jogging matinal et je m'arrêtais essoufflé sur la place tout en haut du village. Face à moi le 2 rue de la calade avec sa plaque toujours visible en rez de chaussée. Un rayon de soleil caressait la maison de grand-mère, disparue depuis longtemps.

Je me souviens de cet arrêté de mairie qui avait fait grand bruit en plein été...

-Comment ça on ne peut plus étendre son linge en façade ?

-Et bien oui, c'est une décision de la mairie !

Philomène assise dans son fauteuil regardait sa fille avec de grands yeux.

Maman occupée à mille choses ne comprenait pas elle aussi cet arrêté absurde.

-Mais enfin, enchaînait grand-mère, l'étendoir en façade a toujours existé dans le centre historique du village ! Je savais que ces machines à laver allaient nous apporter des ennuis. A l'époque de ma mère, je me souviens du lavoir et du linge étendu dans les prés, personne ne disait rien ! Avec vos machines il a fallu étendre à la maison et où sinon en façade. D'ailleurs en Italie ça ne choque personne !

Maman regardait mère réfléchir à voix haute, elle s'entendit lui répondre :

-Le maire a obtenu le classement du vieux village et les façades refaites ne supportent pas le linge en façade.

-Mais le linge qui sèche sur nos étendoirs c'est la vie et puis il sent tellement bon... A court d'arguments l'œil de Philomène étincela soudain :

-Ils savent à ta mairie que ton grand-père Gustave a fait danser Greta Garbot, Marlène Dietrich et Rudolf Valentino ?

J'observais maman qui souriait tout en préparant une tisane pour grand-mère. J'avais entendu cent fois cette histoire. Gustave était pianiste au Grand Escurial et il animait les films muets avec son piano. Maman petite rêvait toujours en entendant son père lui dire, face à un café fumant : « hier j'ai fait danser Greta Garbot » et l'inévitable question : « Qui ? toi ? Mais comment ? Raconte, raconte !

-Ah ! C'est un secret, et si je te le dis ça ne sera plus un secret, non ?

Maman réfléchit à ce que venait de lui rappeler grand-mère.

Le lendemain une plaque était posée en façade au pied de la maison.

« Ici Gustave a fait danser Greta Garbot, Marlène Dietrich, Rudolph Valentino au son de son piano » Une photo envoyée à la mairie.

La réaction ne tarda pas. Dans la journée monsieur le maire appelait  :

-C'est quoi cette plaque en bas de chez vous ?

-Comment vous ne saviez pas ? Et l'histoire cent fois entendue fut réécrite dans ses moindres détails.

-Ah bon ! Mais c'est très intéressant ce que vous me dites là. Maman sûre de son effet enchaînait,

-Pour ce qui est authentique, l'étendoir en façade en fait aussi parti non ?

-Évidement, évidement je vais revoir le cahier des charges et puis je l'ai toujours connu cet étendoir, je ne vois pas pourquoi...

Je devais avoir six, sept ans peut être, je m'en souviens encore, chère Philomène !

 

JE ME SOUVIENS...

-Je me souviens de ce pont interminable qui relit Venise au continent, du cliquetis sur les rails, bienveillant, débonnaire.

-Je me souviens de ces nuits étoilées d'été en réponse aux photophores clignotants du jardin.

-Je me souviens de cette salle de théâtre, de ce lustre gigantesque avec cette lumière qui s'abaisse lentement, de ce rideau qui s'ouvre tout aussi lentement.

-Je me souviens du chuchotement de ce nuage formé par le pollen des genêts dans ces prés que l'on traversait avec sac à dos et grosses chaussures.

-Je me souviens de cette brise de mer que l'on attendait le soir après une journée torride d'été.

-Je me souviens de cette chanson désuète « Printemps au Portugal » que fredonnait ma mère en étendant les draps après la grande lessive.

-Je me souviens de ces crayons à mine pointue, taillés avec l'appareil à manivelle du maître, distribués avant chaque dictée du vendredi.

-Je me souviens de ces ballades en canoë dans les gorges du Verdon et de l'écho de nos moindres paroles.

-Je me souviens de ce grand chapiteau de cirque qui montait, aidé par les moteurs ronflants des chauffeurs-musiciens. Le « LA » était donné.

-Je me souviens de ces bibliothèques aux vieux murs, de ces échelles sur roulettes pour accéder aux ouvrages les plus hauts, de ces couvertures en cuir repoussé, de ces boiseries exotiques.

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Rédigé par Gérald

Publié dans #Ville

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