LES QUARTIERS DE FERNAND

Publié le 5 Novembre 2022

 

L’ÉCOLE EN BOIS

Il y a trois cabanes en bois accolées les unes aux autres avec leurs cheminées qui fument l'hiver venu .

Il y a la classe de Melle DART qui enseigne aux filles, avec dans ses yeux toute la tendresse que l'autorité de son poste se plait à cacher

Il y a la classe des garçons, avec ses trois rangées de bancs d'école. On passe d'une à l'autre chaque année comme lorsqu'on change de classe.

Il y a le maître, monsieur DOMASSON , qui a perdu une jambe lors du dernier conflit et qui marche péniblement avec l'aide d'une canne.

Il y a un bureau en bois et un grand tableau noir avec une éponge au bout d'une ficelle accrochées à un clou .

Il y a , au mur, des grandes cartes de géographie avec des pays en couleur qui n'existent plus alors que d'autres ne vont pas tarder à naître.

Il y a au fond de la classe un poêle qui selon les moments est à charbon ou à bois. Quoi qu'il en soit, bien pratique pour dégeler nos petits doigts engourdis .

Il y a le " coin " derrière l'armoire aux livres, où les punis vont se calmer avec le chapeau d'âne sur la tête.

Il y a les encriers en porcelaine qu'ils faut remplir chaque matin d'une encre violette que le maître prépare avec soin. Il désigne ensuite un " volontaire " pour la corvée de remplissage .

Il y a la troisième cabane qui sert de local de débarras où s'entassent, outre le charbon et le bois, tout un tas de chaises à trois pieds et des mobiliers cassés qui doivent datés du siècle passé.

Il y a la cour de récréation avec sa grotte de ronces bien pratique pour torturer ceux qui ont trop de bonbons, et qui ne veulent pas partager de bon gré.

Il y a les toilettes sous un préau où le maître s'endort parfois en satisfaisant un besoin. Nous prenons bien garde de ne pas le réveiller et nous rentrons dans notre classe qui nous appartient pour quelques instants.

Il y a José, un grand échalas qui court sans arrêt pour attraper " la dame blanche " Pauvre José ! L'attrapera-t-il un jour ?

Il y a moi. Ma troisième rangée terminée, ma prochaine rentrée se fera dans une école avec des murs. Il y a, paraît-il, beaucoup de classes. Pourquoi le temps passe-t-il si vite.

JE ME SOUVIENS...

Je me souviens de cette grande place, de sa fontaine où venaient s'abreuver les moineaux, de ses grands arbres, marronniers et platanes et de ses jeux de boules qui avaient tellement de fidèles qu'ils abritaient la première religion du quartier.

Je me souviens de mon école en bois. Pourquoi en bois ? Simplement parce qu'elle était vraiment en bois. Trois années s'entassaient dans la même classe et l'hiver, le poêle ronronnait comme il pouvait pour réchauffer nos pauvres petits doigts engourdis par le froid. Une odeur de craie, d'encre et de vieux papier imprégnait les murs, habillés d'anciennes cartes de géographie où figuraient des pays qui n'existaient plus.

Je me souviens de tous ces bistrots qui ceinturaient le quartier. Avoir soif relevait du défi le plus improbable à relever, et les jours d'arrivée du tour de France, ils affichaient tous le résultat de l'étape sur une ardoise. Les commentaires allaient fort. Les Bartali, Coppi, Bobet et autres tenaient le haut du pavé.

Je me souviens lors des concours du Dimanche, du protocole en cas de "fanny". Le cortège était constitué de celui qui tenait la serviette blanche sur laquelle allaient s'agenouiller les perdants. Derrière suivait celui qui portait bien haut, le tableau de cette belle femme joufflue, dont une partie de son anatomie allait recevoir les hommages, respectueux, pendant qu'un troisième larron faisait tinter une grosse cloche, pour que toutes les parties s'arrêtent et que tout le monde puisse profiter du spectacle de la déchéance de ces malheureux qui allaient raser les murs pendant quelques semaines.

Je me souviens de ce personnage perché sur un vélo sans chaîne et sans pneus qu'il faisait avancer en ramant sur le sol avec un soulier sans semelle. Il vendait, tous les soirs, le journal L'Espoir. Il annonçait, à grand cris, les dernières nouvelles de la journée.

Je me souviens de ce accordéoniste qui venait régulièrement s'installer sur un petit pliant pour donner aux gens du quartier un instant de divertissement en échange de quelques piécettes. Certains chantonnaient avec lui quelques tubes de l’après-guerre, Piaf, Gréco, Chevallier et tant d'autres, étaient les préférés des petites gens.

Je me souviens du boulanger qui, le Dimanche, faisait cuire dans son four tous les farcis et gigots du quartier. Il vendait, encore, des croissants et des brioches élaborés avec du vrai beurre.

Je me souviens de l'auto-école qui donnait ses leçons de conduite sur des vieilles voitures Citroën Trèfle qui démarraient à l'aide d'une manivelle. Elle s'est malgré tout modernisée avec des quatre chevaux Renault qui étaient dotées d'un démarreur.

Je me souviens du coiffeur Martin et de son fils Jojo. Avec la mère Martin ils mangeaient un kilo un quart et une " pésugagnia " de spaghetti chaque midi. Il faut dire que cela se voyait.

Je me souviens de mon conseil de révision. On fanfaronnait , mais on se posait des questions sur l'avenir qui nous attendait.

Je me souviens de cette belle et jeune " affat " qui m'a fait cette première prise de sang et qui ne trouvait pas mes veines. J'ai failli me pâmer.*

Je me souviens de mes vingt ans sur le bateau" L'adjézair " qui m'a offert une croisière jusqu'à Mers-el-Kébir.

Je me souviens, qu'à mon retour une seule pensée trottait dans ma tête. C'était qu'une page venait de se tourner .

PILE OU FACE

A la fin des années cinquante, l'ambiance musicale du temps était dominée par la musique "yéyé". Les chats, pirates, chaussettes et autres bestioles nous faisaient danser et trémousser au son des guitares électriques. Nous nous retrouvions dans des " boums " plus ou moins organisées dans des arrières salles de bar ou dans des caves, où l'insalubrité le disputait à l'exiguïté. Un tourne disque suffisait et quelques bouteilles de mousseux bon marché complétaient notre bonheur.

Deux de mes camarades avaient commencé à gratter laborieusement quatre accords sur une guitare et massacraient avec obstination Guitar Boogie.

Ils cherchaient pour partager leur fantasme un batteur pour taper, si possible en rythme, sur une caisse claire et une cymbale. Çà! ça me parlait. Mais problème de taille, il faut du matériel.

C'était l'époque du carnaval et la solution a été toute trouvée. Grâce à une relation nous avons trouvé un groupe de grosses têtes qui cherchait des porteurs. A la fin des corsos nous avons réuni nos gains et nous sommes allés louer un matériel chez Gatty.

N'ayant pas de véhicule, mes comparses m'ont aidé à porter la batterie jusque chez moi. Mais j'avais négligé un détail d'une importance capitale : Ma mère.

Nous avons failli, mes amis, la batterie et moi passer par la fenêtre. Elle qui ne rêvait que d'une chose, me voir étudier l'accordéon, considérait ce qu'elle appelait des tam-tams comme des instruments de sauvages et n'était pas disposée à changer d'avis.

Mes amis, ayant pris peur, m'ont lâchement abandonné et m'ont laissé seul face aux foudres maternelles. Il m'a fallu deux heures de patience pour lui faire comprendre qu'un instrument à percussion avait aussi sa place dans des orchestres de tango, valse et autres musiques " honnêtes ".

Avec ma mare c'était à prendre où à laisser. Pile ou face

Dieu merci, elle s'est calmée, ce qui m'a permis de sévir une trentaine d'années dans ce milieu musical qu'il est si difficile d'abandonner.

UN SOIR D’ÉTÉ

Après une journée éprouvante où la chaleur moite de l’après-midi avait chassé la brise bienfaisante du matin, mon coin de ville prenait, doucement, ses quartiers de nuit. Le soleil, tel un seigneur peu habitué à ce qu'on lui dise ce qu'il devait faire, s'éloignait avec nonchalance et s'effaçait derrière les collines dans une explosion éphémère de rayons rouges et ors qui donnait une impression de feu d'artifice.

La lune, elle, prenait son temps. La faible lueur qu'elle dispensait à la terre avait du mal concurrencer la lumière diffuse des lampadaires qui parsemaient la place. L'obscurité qui s'installait offrait à mes yeux un paysage d'ombres et de relief propre à distancer toute vie qui quelques minutes auparavant animait ce endroit aussi vivant que la place d'un village un jour de marché.

Pourtant, sur un des bancs en bois disposés autour des jeux de boules, quelques noctambules continuaient leur journée à refaire le monde tel qu'ils souhaitaient qu'il fût. La fumée de leur tabac arrivait en spirale, jusqu'à ma fenêtre et l'odeur de la gauloise prenait pour quelques instants, possession de mon nez.

Plus loin, face à moi, la statue éclairée de la Vierge dominait des hauteurs du toit de l'église, la pendule que tout le monde consultait d' un rapide coup d’œil, en cas de besoin. Autour des arbres, des chauves-souris virevoltaient dans un manège incessant, à la recherche de nourriture et les lucioles dansaient comme dans une salle de bal qu'elles magnifiaient avec leurs éclats de lumière intermittents, comme si elles envoyaient un message en morse qu'elles étaient les seules à savoir déchiffrer.

La douceur de la nuit se laissait respirer comme un parfum de calme et de plénitude. Cette fragrance de fin d'été reposait l'âme perturbée par l'agitation journalière qui imprégnait, inexorablement notre mode de vie.

Ceux du banc ne rallumèrent pas de nouvelles cigarettes, les chauves souris s'éloignèrent, les lucioles ne brillaient plus, seule l'église restait éclairée, telle un phare qui donne la direction à suivre. Je refermais mes volets. Une nouvelle année scolaire allait prendre le relais, l'automne ne tarderait pas à réclamer sa part du festin et les cheminées allaient commencer à fumer.

J'AIMERAIS

J'aimerais que mes matins, embrumés par mes frasques de la veille, aient l'indulgence de m'accueillir avec un arc en ciel semblable à la palette d'un peintre fou qui laisserait vagabonder son imagination créative pour offrir à mes yeux le miracle de la naissance d'un jour nouveau.

J'aimerais que ce torrent qui longe cette belle place porte bien son nom et ne soit pas un simple filet d'eau qui peine à se faufiler dans un vallon empierré, enjolivé par quelques taches éparses peuplées de pavots aux fleurs éclatantes dont les couleurs ont été rehaussées par des milliers de gouttes de rosée déposées par la main féerique de la nature.

J'aimerais que le boulanger, qui passe à l'aube sous mes fenêtres pour livrer ses croissants et ses brioches si odorants, chante un air d'opéra Italien en dansant comme une étoile sur la pointe de ses galoches.

J'aimerais que cette fin d'été permette aux arbres de se libérer de leur frondaison afin que toutes ces feuilles jaunies par le temps, puissent former sur le sol un doux tapis aux couleurs fauves permettant à l'automne une arrivée silencieuse sans heurt ni fracas, avec toute la noblesse que l'on doit à l'ambassadeur de Messire l'Hiver.

J'aimerais que mon quartier retrouve quelques images de ma prime jeunesse, quand la valeur du temps était celle du rythme des chevaux qui tiraient des voitures menées par des cochers droits comme des I. Ils étaient aussi fiers que des maîtres de ballets, attentifs au bruit des sabots qui claquaient en cadence sur des sols pas toujours bitumés.

J'aimerais que la fontaine continue à laisser couler son eau douce bienfaisante dans le bassin où les moineaux se baignaient en agitant leurs ailes dans une sarabande digne des plus belles danses de palais.

J'aimerais, qu'à leur retour les hirondelles retrouvent le nid qu'elles ont bâti avec amour les années précédentes

J'aimerais que mon quartier se rebâtisse sous mes yeux, et que j'en sois le témoin privilégié. Fasse, ensuite, que l'image se fige et qu'un mur se dresse et ferme le passage à certains progrès néfastes qui n'ont pour vocation que la destruction de la pensée.

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Rédigé par Fernand

Publié dans #Ville

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