LE QUARTIER DE MONIQUE
Publié le 5 Novembre 2022
Fouillis des voies entrecroisées dans leur laideur de béton gris
Roulement des feux en mystérieuses suites
Arrivée en grappes des jeunes lycéens
Nul passant ne s’attarde au grondement des moteurs
Crasse des fumées des pots d’échappement
Ordinaire ballet des roues de toutes sortes
Imagine un peu, on démolit tout ça
Suivent des fleurs, des arbres et du gazon partout
Grand fracas des voitures au milieu des carrefours
Roulement des motos, des camions, des scooters
Oublié le calme des ruelles alentour
Sifflement du train s’approchant de la gare
Sales, si sales, les abords de la passerelle
Ordinaire parcours d’une passante pressée
IL Y A...
Il y a ce grand parc avec son olivier millénaire que je viens saluer à chaque fois et de petits chemins caillouteux
Il y a d’étranges bâtisses sur pilotis aux couleurs improbables
Il y a des haies toutes fleuries de mauve, d’orange, qui cachent les jardins aux yeux des passants
Il y a des vélos bleus oubliés dans les rues, comme jetés au hasard sur les trottoirs
Il y a des jeunes gens assis par terre à l’heure du déjeuner, qui mordent dans leurs pizzas, tout en jouant sur leurs téléphones et en discutant dans de bruyants éclats de rire
Il y a des enfants qui sortent de l’école et serrent fort la main de leur maman
Il y a le calme tout près du fracas
JE ME SOUVIENS...
Je me souviens de la rue Aurore, qui était encore une impasse où l’on pouvait jouer librement. Nous nous en donnions à cœur joie.
Je me souviens du baby foot que nous sortions du garage et dont nous faisions payer les parties une somme symbolique aux enfants de la rue qui se bousculaient.
Je me souviens de nos déambulations à vélo, trottinette, patins à roulettes sur le bitume rugueux et cabossé qui nous faisait chuter parfois, ce qui nous valait des genoux couronnés du rouge vif du mercurochrome.
Je me souviens du bébé dans son landau que sa mère nous donnait imprudemment à garder et que nous, les grandes filles, nous battions pour en avoir le privilège, lui faisant mille risettes et babillant dans son langage.
Je me souviens du concours de hoola hop de la rue, que j’étais fière d’avoir gagné, espérant vainement qu’un entraînement intensif me ferait perdre un peu de mes hanches que je trouvais déjà trop rondes.
Je me souviens du fracas des travaux de la Voie Rapide qui commençaient et des explosions qui nous faisaient sursauter et déplorer cette blessure dans le paysage.
Je me souviens du vendeur à la criée de la pogne de Romans qui arpentait les rues en annonçant de sa voix forte et rythmée comme un slam, au bel accent du sud « Un franc la belle pogne, bien fraîche, bien bonne », et nous courions derrière lui avec nos pièces de monnaie, en attendant de déguster cette délicieuse galette qui ressemblait à une couronne des rois en plus simple.
Je me souviens des chats qui couraient en liberté, car il n’y avait encore ni barrières, ni grillages, ni portails. Le nôtre, un vagabond, ne rentrait que le soir pour son dîner.
Je me souviens des appels des mamans par les fenêtres, le soir venu, pour ramener toute cette marmaille à la table du dîner familial « Marie-Laure ! Jean-Jacques ! Patricia ! Jeannot ! A table ! ». Mais les enfants faisaient semblant de ne pas entendre pour continuer leurs jeux et faisaient enrager leurs mères qui s’époumonaient.
Je me souviens de tout ce petit monde, mouvementé mais tranquille, que l’ouverture de la rue a transformé. Les enfants ont grandi, sont partis. Aujourd’hui les enfants ne jouent plus dans la rue.
JE ME SOUVIENS DE LA RUE AURORE
Je me souviens de la rue Aurore, ce jeudi après-midi-là, un des premiers après la rentrée des classes. C’était une vraie noria de roues et de roulettes dans la rue. Les trottinettes se disputaient l’espace avec les vélos, quant aux patins à roulettes, ils faisaient ce qu’ils pouvaient pour se faufiler dans ce charivari ponctué de sonnettes, de rires et d’exclamations joyeuses ou apeurées.
Soudain, un grand cri : Michel, sur sa trottinette a été percuté par Alain sur son vélo. Les deux garçons étaient par terre, en pleurs, examinant affolés leurs éraflures et le sang qui s’en écoulait.
Mais Evelyne, douze ans et déjà la petite maman du groupe, avait tout prévu. Elle sortit de ses poches le mercurochrome, les compresses, les pansements. Après avoir apaisé d’une voix douce les pleurs des gamins, elle désinfecta délicatement leurs blessures –il n’y eut plus une larme- et leur appliqua de jolis et solides pansements. Les deux garçons semblaient tout fiers. Tous les autres s’étaient arrêtés pour assister à la scène, mi-inquiets, mi-admiratifs. Certains étaient peut-être un peu jaloux de ne pas être au centre de l’attention de tous, et d’Evelyne en particulier.
Encore quelques minutes et le joyeux manège reprit de plus belle, dans le même désordre, chacun se frayant un chemin dans le tourbillon incessant des petits bolides mécaniques.
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