LE QUARTIER DE MADO
Publié le 5 Novembre 2022
Si vous passez un jour
A l’ouest de la ville,
Il y a un quartier en pleine mutation.
Nouvelles rues, nouveaux immeubles,
Tram et commerces à foison
En dessinent la trame.
Mon quartier, vieux hameau
Aux allures champêtres
Renonce aujourd’hui à sa ruralité.
Grues, chantiers, béton
Urbanisent la plaine,
Emportent mon enfance,
Remplacent ma campagne par leurs tours végétalisées.
Il pleure dans mon cœur un peu de nostalgie
Tendre… très loin de l’oubli...
Ephémères sont les choses que l’on croit éternelles.
IL Y A...
Il y a un quartier Sainte-Marguerite
Il y a une rue Sainte-Marguerite
Il y a une chapelle Sainte-Marguerite
Il y a mon enfance au bleu de leurs ciels
Il y a la Gaîté qui passe par une impasse
Il y a des pizzas, des soccas et un temple
Il y a une école et ses rires d’enfants
Il y a une Plaine et ses champs de voitures
Il y a des immeubles qui poussent sur ses terres
Il y a le souvenir des paysans d’autrefois
Il y a les Arboras qui n’arborent plus d’arbres
Il y a son jardin et ses arbres géants
Il y a un tram rouge qui file sur l’herbe verte
Il y a son tintement qui rythme le quotidien
Il y a les maisons de mes chères cousines
Il y a les maisons de mon frère et ma sœur
Il y a ma maison au milieu de leur cercle
Il y a dans mon cœur tous ceux qui sont partis
Il y a toute ma vie ici.
JE ME SOUVIENS …
1- Je me souviens de Cadorna, le marchand de glaces ambulant. On dévalait des collines en courant quand on l’entendait « cadorner ».
2- Je me souviens du camion de l’épicier ambulant à la sortie de l’école, des réglisses et des roudoudous qu’on y achetait.
3- Je me souviens de la souche énorme du gros chêne à l’arrêt de bus « Le Gros Chêne ».
4- Je me souviens du bar Bosio avec de sa grande terrasse et les leçons de mandoline du jeudi après-midi.
5- Je me souviens de la messe à 8h le dimanche matin dans la petite chapelle glacée.
6- Je me souviens du festin de Sainte-Marguerite, au fond du vallon, derrière le bar Bosio.
7- Je me souviens de la vieille école et de son toit percé qui laissait passer la pluie. On mettait un seau dans la classe quand il pleuvait.
8- Je me souviens des œillets dans la colline.
9- Je me souviens du sapin de Noël géant sous le préau de l’école.
10- Je me souviens de la petite procession de la chapelle au monument du seul mort de la guerre du quartier, le dimanche des Rameaux, avec nos rameaux bénis.
11- Je me souviens de la ferme à la traverse des Arboras. On allait y chercher le lait.
12- Je me souviens de la petite maison du Tournant Robert. Les grands de l’école se cachaient derrière pour s’embrasser.
13- Je me souviens de la vieille bigote qui chantait fort et faux à la messe.
14- Je me souviens de notre première communion en traction noire et robes blanches.
15- Je me souviens de l’épicerie sur l’avenue Sainte-Marguerite. La maison est toujours là, face au restaurant l'Inizio.
16- Je me souviens de « Chez Lulu », le point presse du nouveau quartier, près de la chapelle.
17- Je me souviens du raccourci qui grimpait dans la colline pour aller chez l'oncle de l'autre côté du vallon.
18- Je me souviens des pruniers en fleurs qui, au printemps, tapissaient de blanc les deux côtés du vallon.
19- Je me souviens du catéchisme à la chapelle.
20- Je me souviens du magasin d’objets d’occasion, Cash Converters, près du lycée.
LE GROS CHÊNE
Je me souviens de la souche énorme du gros chêne à l’arrêt de bus « Le Gros Chêne ».
C’était dans les années 70, on avait quinze ans. On s’y donnait rendez-vous l’été, pendant les vacances scolaires, avec les copines et copains du quartier entre 13h et 14h, l’heure de la sieste de nos pères.
Il y avait Marilou, Danielle, José, Robert, Gilbert, Claude, Gérard. Ma première bande de copains mixte. Avant, pendant l’enfance, c’était les filles avec les filles, les garçons entre garçons.
On investissait le banc de bois de l’arrêt de bus à la droite duquel se dressait la souche du gros chêne. D’un diamètre... je ne sais pas… mes bras d’adolescente n’en faisait pas le tour, d’un diamètre imposant, je la trouvais majestueuse. Elle m’émouvait. J’imaginais l’arbre magnifique qui avait vécu ici jadis et je le regrettais sans l’avoir connu.
Ce Gros Chêne amputé, c’était notre mascotte. Il veillait sur nous, c’est sûr ! La preuve : nous n’avons passé que de bons moments auprès de lui, à bavarder, à rire, à flirter, à faire des projets pour le dimanche à venir, à décider vers quel festin de village nous irions danser.
Quand 14h arrivait, il fallait vite rentrer avant que nos pères sévissent. Nous étions tous filles et fils de paysans et le travail à la campagne nous attendait. Mais on savait que le lendemain, à la même heure, on se retrouverait pour un moment précieux au pied du gros chêne, une petite heure volée aux parents, au travail.
La bande du Gros Chêne, c’était la bande des vacances d’été, seulement des vacances d’été. La rentrée me ramenait au lycée, à la cantine et je la perdais jusques aux vacances de l’été suivant.
Ces rendez-vous d’adolescents n’ont duré que le temps de l’adolescence, le temps de mes années de lycée, mais ils restent gravés dans ma mémoire, irradiant de chaleur, de lumière.
Et puis, un jour, je ne sais plus quand, la souche du gros chêne a disparu, les amis de cette époque aussi, dispersés par le temps, la vie, la mort.
SOIR D’AUTOMNE
Soir d’automne, envie de me perdre dans les constellations…
Le Cygne glisse vers l’ouest et la Grande Ourse vire sur ma tête. A l’est, Pégase caracole au-dessus de Jupiter qui court après Saturne. La Lune, presque pleine, éclaire le chemin. Elle dessine sur le sol une dentelle sombre, ombre tombée des branches d’un arbre.
Une clameur monte dans la nuit. Elle provient du stade de rugby, dans la plaine, au bout du chemin des Arboras. Il est éclairé par quatre immenses panneaux de lumière blanche, incongrus et agressifs ; ils déchirent violemment la douceur de la nuit, éteignent les étoiles au-dessus d’eux. Pollution lumineuse, l’un des fléaux du siècle !
Mon regard les fuit pour suivre, derrière eux, la crête de la colline qui se découpe, toute nette, sur le ciel d’un bleu presque noir. La nuit, la colline est divisée en trois bandes parallèles, trois rubans lumineux : un qui suit la crête, un qui la partage en son milieu et le dernier qui souligne sa base. Je devine les trois routes, invisibles depuis ma maison le jour, qui se dévoilent la nuit et parent la colline de colliers de lumière. Un amas de réverbères ajoutent à sa parure en dessinant les Pléiades. Quand cet amas d’étoiles n’est pas dans le ciel, je sais que je peux le trouver épinglé à la colline d’en face. Magie de l’imaginaire…
Au bout de la colline, vers le nord-ouest, le Baou de Saint-Jeannet. Tout vêtu de bleu clair au soleil, de gris doux sous la pluie, il devient dans la nuit une masse sombre et inquiétante… peut-être est-ce là que se cache le « babaou », monstre terrifiant de mon enfance… Baou, babaou… sonorités emmêlées dans ma tête d’enfant.
Un grondement ronronnant, un tintement cliquetant interrompent mes divagations. Le tram rouge arrive à l’arrêt Arboras-Université, attire mon regard qui traverse rapidement la plaine sombre jusqu’à lui. Le tram s’est tu à présent. Il attend. La station dresse fièrement ses deux T de lumière blanche qui contrastent avec les feux rouges et verts du carrefour. Ici, c’est le seul point coloré de la nuit. L’avenue Sainte-Marguerite, l’avenue Simone Veil, le chemin des Arboras sont déserts. Vides de gens, et surtout de voitures. Le calme après les klaxons, les vrombissements, les pétarades de la journée. Juste le tram qui redémarre en tintant et ronronnant.
Alors, je quitte la plaine pour revenir au ciel. Les constellations immuables poursuivent leur route vers l’ouest. Mes yeux piquent, je vais poursuivre la mienne dans le sommeil qui m’appelle.
IL Y AURAIT UN QUARTIER IMAGINAIRE
Il y aurait un quartier comme une herbe tendre au printemps
Il y aurait une herbe tendre et douce comme un duvet de poule
Il y aurait des poules rousses comme un soleil couchant
Il y aurait des soleils de marguerites et des œufs blancs comme des éclats de lune
Il y aurait la lune comme une veilleuse sur la place
Il y aurait la place ronde comme un giron
Il y aurait un giron aussi tendre qu’une mère
Il y aurait des mères au jardin d’enfants
Il y aurait des enfants joyeux comme un matin clair
Il y aurait des matins de rosée sur les jeux des enfants
Il y aurait des enfants dans les bras de leurs mères
Il y aurait des mères rondes comme des girons
Il y aurait des girons aussi ronds que la place
Il y aurait une place en veilleuse
Il y aurait un veilleuse accrochée à la lune
Il y aurait de la lune dans la blancheur des œufs
Il y aurait des œufs auprès des poules rousses
Il y aurait des poules dans l’herbe douce et tendre
Il y aurait de l’herbe tendre dans mon joli quartier
_______________________