LE QUARTIER DE JEAN-MICHEL
Publié le 5 Novembre 2022
Sortir de bonne heure. Ecouter !
Attraper les ambiances maraîchères. S’arrêter
Inviter, saluer, partager le goût du café
Naviguer, dériver, du présent au passé.
Trottoir d’une enfance. La mienne.
Revenir devant le vieux magasin effacer
Ouvrir le placard aux goûters oubliés
Comme une page d’un cahier d’écolier
Heureux temps d’avant, presque retrouvé.
IL Y A...
Il y a le long boulevard qui s’étale
Il y a la verdure du tram qui trimballe
Il y a le bitume qui l’emballe
Il y a le marché qui s’installe
Il y a Ulysse qui renifle et cavale
Il y a le temps qui passe et dévale
Il y a une rue mon quartier en amont, en aval
Il y a cet espace, un bout de ma ville.
JE ME SOUVIENS...
Je me souviens le boulevard d’avant le tram, avec les platanes, la rue plus large.
Je me souviens d’avoir juste la rue à traverser pour aller dans l’épicerie de ma grand-mère
Je me souviens de cette personne qui venait parfois et qui criait : « VITRIER »
Je souviens du Milk Club, chez Jeannette et Olive, des glaces a l’eau parfumée au cola, de la gratta keka.
Je me souviens des courses cyclistes certains soirs d’été, tout autour du quartier.
Je me souviens des vieux bus verts N°5
Je me souviens d’avoir appris à lire l’heure en décryptant la position des aiguilles sur l’horloge du clocher de l’église.
Je souviens des bancs couleurs moutarde et verts aussi
Je souviens du bruit des roulettes des patins sur le trottoir.
Je souviens de la vue sur la colline en face avant qu’une paroi d’immeuble ne la cache.
Je me souviens du manège sur la place.
Je souviens de l’auberge de la tranquillité, du bruit des boules, qui tapaient contre le mur de la salle à manger, de la fiesta d’un soir de mai 81 qui a durée une semaine.
Je me souviens des premières descentes et remontées en mobylette du boulevard.
Je me souviens des chars de la bataille des fleurs qui passaient devant la maison direction la promenade.
Je me souviens des gros réservoirs d’essence de Bon voyage.
Je me souviens du marché qui s’étalait tous le long avant d’échouer sur la place.
SAINT-ROCH, LA NUIT
Comme j’ai souvent du mal à trouver le sommeil, et après avoir épuisé ma télévision, je sors, très tard pour la dernière balade du chien Ulysse.
A peine franchi le palier de l’immeuble, on s’engouffre dans le boulevard en robe de nuit. En premier lieu le silence domine mais très vite une population sonore se réveille. Dans le feuillage des arbustes qui bordent la rue, une brise joue sa partition, légère et feutrée, et accompagne les premiers pas de ma virée nocturne.
Quelques mètres après, je capte le bourdonnement électrique d’un lampadaire, comme pour saluer mon passage tout près de lui. Au départ presque inaudible, un ronronnement mécanique se faufile dans ce calme en suspension. Il grandit peu à peu, à mesure qu’il remonte ou redescend le boulevard, avant de s’éteindre à nouveau.
E t tout le long du trottoir j’aperçois la longue guirlande des feux tricolores qui poursuivent impassibles leurs litanies lumineuses clignotantes pour des passages cloutés et des carrefours désertés.
Parfois intempestifs, soudains et rebelles, des coups de freins, des cris des chocs se font entendre avant de se dissiper dans le noir.
Et moi j’avance toujours, je passe devant le bourdonnement métallique d’un panneau publicitaire pour des affiches défilant devant une foule invisible.
Et pour soutenir cet orchestre noctambule, en guise de mélodie, les pattes du chien Ulysse cliquent sur le bitume avant d’aller s’échouer dans l’herbe du terre-plein du tram qui venait juste de passer en faisant tinter sa cloche. Le sommeil tape à ma porte, je me décide à rentrer.
D’ici quelques heures très courtes, à travers les volets j’écouterai ce même boulevard reprendre son langage matinal. Le camion du service municipal rugira avec son moteur rustique en projetant depuis sa citerne des jets d’eau brutaux qui iront se fracasser sur les angles des trottoirs. Et sur la place les portières des fourgonnettes déverrouilleront leurs serrures aux sons d’éclats de voix, du choc des caisses jetées à terre, et des étals qui s’ouvrent et s’installent.
Extraits de leurs torpeurs des moteurs s’allumeront avant de se faire avaler par l’asphalte, emportant dans leur habitacle une population qui part pour le travail. Des pas hâtifs claqueront en passant devant ma fenêtre pour une course vers un train, un bus à ne pas rater.
Si je devais sortir, après une ou deux enjambées, je serais assailli par les effluves suaves, les odeurs parfumées de beurre et sucre chaud, celles des croissants, pains et brioches, à peine sortis du four, posés dans des panières, et prêts à la vente.
Et tout mis bout à bout, quelque chose nous murmurera à l’oreille qu’enfin une nouvelle journée commence.
SUR UN BOULEVARD PARFAIT
Dans le quartier parfait
Il y aurait de la place pour s’allonger
Sur des transats à même la chaussée
Des éventails dépliés aux bouts des doigts de pieds
Des verres de limonades en costume de verre glacé
Leurs bulles de joies promptes à s’éclater.
Il y aurait des portes sans clés
Toujours ouvertes aux vents et aux marées
Et des fenêtres pour écouter
Le passage en trombes et affolées
Des étoiles filantes propulsées
A l’essence de pleurs de bébés.
Dans mon quartier parfait
Plus besoin de vendre ou acheter
Tout sera à donner
Du verre à boire jusqu’au dernier
Jusqu’au blé moulu, prêt à cuire et à trancher.
Dans une ruelle parfaite illuminée
Avant d’y aller marcher, jouer, danser
Je rangerai des souvenirs de fâché
Pour en faire des confettis à lancer
Pour des fêtes à commencer et recommencer
Et chaque mois sera le mois de Mai.
Mon boulevard parfait
Je descendrai, je le remonterai
Même avec des pneus crevés
Voire même très très crevés
Et je vous ferais coucou sans me presser
Quittes à me faire klaxonner
J’écrirai sur un bout de papier
Comme si mon jour était le dernier
Que je ne sais pas où et quand, il sera prêt
Mais promis croix de fer, bois de fée
Je vous le montrerai
Une fois terminé.
Concours de pilou jusqu’au soleil tombé
Ce sera une rue, un chemin, un quartier
Un morceau de monde entier
Jeté, éparpillé.
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