JE ME SOUVIENS...
Publié le 14 Octobre 2022
Je me souviens de cette grande place, de sa fontaine où venaient s'abreuver les moineaux, de ses grands arbres, marronniers et platanes et de ses jeux de boules qui avaient tellement de fidèles qu'ils abritaient la première religion du quartier.
Je me souviens de mon école en bois. Pourquoi en bois ? Simplement parce qu'elle était vraiment en bois. Trois années s'entassaient dans la même classe et l'hiver, le poêle ronronnait comme il pouvait pour réchauffer nos pauvres petits doigts engourdis par le froid. Une odeur de craie, d'encre et de vieux papier imprégnait les murs, habillés d'anciennes cartes de géographie où figuraient des pays qui n'existaient plus.
Je me souviens de tous ces bistrots qui ceinturaient le quartier. Avoir soif relevait du défi le plus improbable à relever, et les jours d'arrivée du tour de France, ils affichaient tous le résultat de l'étape sur une ardoise. Les commentaires allaient fort. Les Bartali, Coppi, Bobet et autres tenaient le haut du pavé.
Je me souviens lors des concours du Dimanche, du protocole en cas de "fanny". Le cortège était constitué de celui qui tenait la serviette blanche sur laquelle allaient s'agenouiller les perdants. Derrière suivait celui qui portait bien haut, le tableau de cette belle femme joufflue, dont une partie de son anatomie allait recevoir les hommages, respectueux, pendant qu'un troisième larron faisait tinter une grosse cloche, pour que toutes les parties s'arrêtent et que tout le monde puisse profiter du spectacle de la déchéance de ces malheureux qui allaient raser les murs pendant quelques semaines.
Je me souviens de ce personnage perché sur un vélo sans chaîne et sans pneus qu'il faisait avancer en ramant sur le sol avec un soulier sans semelle. Il vendait, tous les soirs, le journal L'Espoir. Il annonçait, à grand cris, les dernières nouvelles de la journée.
Je me souviens de ce accordéoniste qui venait régulièrement s'installer sur un petit pliant pour donner aux gens du quartier un instant de divertissement en échange de quelques piécettes. Certains chantonnaient avec lui quelques tubes de l’après-guerre, Piaf, Gréco, Chevallier et tant d'autres, étaient les préférés des petites gens.
Je me souviens du boulanger qui, le Dimanche, faisait cuire dans son four tous les farcis et gigots du quartier. Il vendait, encore, des croissants et des brioches élaborés avec du vrai beurre.
Je me souviens de l'auto-école qui donnait ses leçons de conduite sur des vieilles voitures Citroën Trèfle qui démarraient à l'aide d'une manivelle. Elle s'est malgré tout modernisée avec des quatre chevaux Renault qui étaient dotées d'un démarreur.
Je me souviens du coiffeur Martin et de son fils Jojo. Avec la mère Martin ils mangeaient un kilo un quart et une " pésugagnia " de spaghetti chaque midi. Il faut dire que cela se voyait.
Je me souviens de mon conseil de révision. On fanfaronnait , mais on se posait des questions sur l'avenir qui nous attendait.
Je me souviens de cette belle et jeune " affat " qui m'a fait cette première prise de sang et qui ne trouvait pas mes veines. J'ai failli me pâmer.*
Je me souviens de mes vingt ans sur le bateau" L'adjézair " qui m'a offert une croisière jusqu'à Mers-el-Kébir.
Je me souviens, qu'à mon retour une seule pensée trottait dans ma tête. C'était qu'une page venait de se tourner .
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PILE OU FACE
A la fin des années cinquante, l'ambiance musicale du temps était dominée par la musique "yéyé". Les chats, pirates, chaussettes et autres bestioles nous faisaient danser et trémousser au son des guitares électriques. Nous nous retrouvions dans des " boums " plus ou moins organisées dans des arrières salles de bar ou dans des caves, où l'insalubrité le disputait à l'exiguïté. Un tourne disque suffisait et quelques bouteilles de mousseux bon marché complétaient notre bonheur.
Deux de mes camarades avaient commencé à gratter laborieusement quatre accords sur une guitare et massacraient avec obstination Guitar Boogie.
Ils cherchaient pour partager leur fantasme un batteur pour taper, si possible en rythme, sur une caisse claire et une cymbale. Çà! ça me parlait. Mais problème de taille, il faut du matériel.
C'était l'époque du carnaval et la solution a été toute trouvée. Grâce à une relation nous avons trouvé un groupe de grosses têtes qui cherchait des porteurs. A la fin des corsos nous avons réuni nos gains et nous sommes allés louer un matériel chez Gatty.
N'ayant pas de véhicule, mes comparses m'ont aidé à porter la batterie jusque chez moi. Mais j'avais négligé un détail d'une importance capitale : Ma mère.
Nous avons failli, mes amis, la batterie et moi passer par la fenêtre. Elle qui ne rêvait que d'une chose, me voir étudier l'accordéon, considérait ce qu'elle appelait des tam-tams comme des instruments de sauvages et n'était pas disposée à changer d'avis.
Mes amis, ayant pris peur, m'ont lâchement abandonné et m'ont laissé seul face aux foudres maternelles. Il m'a fallu deux heures de patience pour lui faire comprendre qu'un instrument à percussion avait aussi sa place dans des orchestres de tango, valse et autres musiques " honnêtes ".
Avec ma mare c'était à prendre où à laisser. Pile ou face
Dieu merci, elle s'est calmée, ce qui m'a permis de sévir une trentaine d'années dans ce milieu musical qu'il est si difficile d'abandonner.