DIS-LUI !!

Publié le 21 Mai 2022

 

Alors que l'obscurité prenait tout doucement possession de la place où s'était réunie l'assemblée des villageois après une dure journée de labeur, Experios apparut dans la faible clarté dansante des flammes que dispensait un feu central qui ne se nourrissait plus que de cendres et de braises. Tous ceux qui étaient présents se levèrent, à tour de rôle, et regagnèrent leurs abris de chaume et de boue. En un instant le silence se fit, même le feu ne crépitait plus. Lui aussi prétendait à son repos.

- Alors Claodius, comment se passe ton séjour sur cette vieille planète qui a été le berceau de tes ancêtres ? Que diras-tu à Tahidja ?

- Je ne sais pas. Tout est trop différent ici. Nous ne vivons pas comme vous. Tout est organisé pour que nous n'ayons pas à nous soucier du jour ou du lendemain. Les sages qui dirigent nos existences nous donnent la marche à suivre et nous ne dépassons pas les lignes interdites.

- Claodius, vous ne vivez pas vous survivez. Vous avez établi des quotas de population, vous refusez la mort et vos corps ne sont plus que des laboratoires d'essai. Vous n’êtes plus des êtres humains mais des machines nourries par d'autres machines qui vous surpassent et qui vous punissent au moindre faux pas...

Ils parlèrent, ainsi, toute la nuit. Arguments contre arguments, vérités contre vérités. L'aurore se manifesta sans que Claodius ne s'en rendit compte. Expérios lui prit le bras, l'aida à se relever et lui dit :

- Viens, je vais te montrer ce qu'est la vie. Regarde au delà de cette montagne la lumière va redonner naissance à ce qui nous entoure. Tu vois cette lueur rouge incendiaire qui commence à envahir le ciel, elle va se transformer en rayons éclatants au fur et à mesure que l'astre divin grandira dans le ciel. Ouvre tes yeux, un rayon s'approche et éclaire, maintenant, un endroit précis. Ne vois-tu rien ?

- Je vois un de ces tapis verts que vous appelez de l'herbe...

- Regarde mieux ! Au milieu de ce champ verdoyant, ce que tu vois s'appelle une fleur. Elle n'était pas là hier soir quand nous débattions, et ce miracle porte un nom.

- Oui ? lequel ?

- La vie ! Claodius, la vie ! Sa tige est sortie de terre, son bourgeon s'est ouvert et ses pétales recueillent la rosée bienfaisante du matin et la douce chaleur du soleil lui permet de resplendir et d'agrémenter par sa beauté la nature qui nous entoure.

- Qui êtes vous Expérios ? D'où venez-vous ? Quel est votre rôle dans cette tragédie ?

- Claodius, je suis celui qui est venu. Et toi tu es celui qui reviendra. D'autres que moi sont arrivés sur terre et ont dû repartir vers d'autres cieux. Pour l'instant ma page est remplie d'écriture. Quand la plume décidera du point final, une autre histoire commencera. Peut être la tienne. Pour l'instant, repars sur Antarius, va raconter à Tahidja ce que tu as vu ici. Et dis-lui que sur Terre les hommes ont du sang dans leurs veines. Dis-lui qu'ils enfantent eux-mêmes leurs descendants. Dis-lui qu'ils n'ont pas peur de la mort. Dis-lui qu'ils croient fermement à leur résurrection. Dis-lui qu'ils font tout pour laisser leur foi en héritage à leurs enfants. Dis-lui qu'ils ne volent pas la sève de leurs arbres, car ils sont leurs temples et qu'ils les vénèrent. Et surtout dis-lui qu'ils restent sur Antarius et qu'ils nous laissent vivre et mourir dans la quiétude et la sérénité qui sont les nôtres.

- Pourrais-je revenir après avoir délivré mon témoignage à Tahidja ?

- Tu reviendras, car cela est écrit dans ta page et que jusqu'à ton point final, ton devoir envers les hommes va être plus fort que tout. Tu mourras quand ton heure viendra. Va et reviens vite. Je t'attends.

 

Claodius ne trouva pas les mots pour témoigner aux habitants d'Antarius tous les miracles auxquels il avait assisté et qui avaient transformé sa façon de penser. Son environnement était fait d'acier et de baies vitrées. Pas question de champs verdoyants et encore moins de fleurs. Tout était gris uniforme et trop bien fait. Aucun défaut ne venait agresser la vue de tout un chacun. Les soleils et les lunes ne dispensaient que la peur écrasante de les voir tomber. La pluie était malvenue et la rosée n'existait pas dans le langage d'Antarius. La science s'était emparée de tout et de tous.

Retournera- t-il sur Terre ou Espérios l'attend ? Il faudra, pour cela, admettre la mort et l'accepter comme une fin de vie naturelle et non comme sur Antarius un dysfonctionnement malencontreux. Mais, après tout, si la vie est à ce prix-là. Pourquoi pas !


 

Rédigé par Fernand

Publié dans #Ecrire sur des photos

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