AUBERGINE ET VIOLETTE

Publié le 19 Mai 2022

A l'âge ou l'on fabriquait nos carrioles, du temps des bals populaires , des fêtes printanières, dès le moi de mai, les ouvriers parisiens, et les autres ,allaient guincher. Les hommes, la casquette rivée sur la tête, la cigarette sur l'oreille, jouaient les marlous. Les femmes pudibondes, la bouche cachée par leur éventail, jouaient de leurs mirettes pour communiquer. Puis c'était la promenade en barque sur la Marne ou la Durance, les provinciaux n'étaient pas en reste. Dés 1947, 1948 les revendications sociales, les grèves pour avoir trois semaines de congés payés, le monde ouvrier bousculé par le parti communiste, le Ku Klux Klan sévissait en Amérique. Et puis, et puis, nous poursuivrons la semaine prochaine.

Bien que niçois, dans les années 1945, 1950, je m'étais exilé dans un petit village de l'arrière-pays nommé Briscaille. Ce jour-là, en sortant du train des Pignes à Puget-Théniers, je vis descendre d'un autre wagon une jeune femme très élégante entièrement vêtue de violet, coiffée d'une capeline agrémentée d'un ruban mauve. Mon village était le seul desservi par un tortillard qui faisait plusieurs arrêts avant d'arriver au terminus. En peu de temps tout le village connut la nouvelle et fut surpris de la voir s'installer dans la vieille auberge fermée depuis un an. Ne sachant rien d'elle le Maire la surnomma avec beaucoup d'élégance : Aubergine. Elle fit venir des entrepreneurs pour restaurer la salle de restaurant, la façade et un petit espace couvert d'une tonnelle pour accueillir quelques clients aux beaux jours. Elle venait souvent au village boire un café, s'intéressait à la vie de la communauté. Lorsque les travaux furent terminés elle pendit la crémaillère. Tous les Briscaillais et beaucoup de ses amis niçois furent invités. Le soleil étant de la partie, le village connut une animation comme jamais auparavant. Une jeune fille lui ressemblant et un jeune garçon d'environ quatre ans restèrent à l'auberge. Le dimanche suivant quelques amis d'amis vinrent déjeuner puis le village retrouva sa tranquillité. Aubergine qui ne manquait pas d'idées alla voir le patron du bistro pour lui proposer d'organiser ensemble un tournoi de belote. Si le nombre d'inscrits tenait dans son café, le tournoi aurait lieu chez lui sinon, il se ferait à l'auberge et ils partageraient les bénéfices. Quelques villageois participèrent à la soirée qui se tint dans le village 

Ce fut une soirée très réussie et une quinzaine de jours plus tard quand elle lança l'idée d'une soirée « LOTO ». L’engouement fut tel qu'elle se déroula à l'auberge dans les mêmes conditions de rémunérations. La télé n'étant pas encore arrivée à Briscaille elle fit des samedis après-midi cinéma car l'hiver approchait et les nuits étaient froides. A l'ouverture de la chasse, plusieurs chambres furent louées car le gibier ne manquait pas sur ces hauteurs. Deux ans passèrent avec une clientèle qui leur permit de garder l'auberge ouverte. Le garçonnet grandissait, il fréquenta l'école de Puget-Thénier en pension car le tortillard ne faisait le trajet que les weekends. Il se fit des copains et cette vie lui plaisait bien...

Mais qui était cette « Aubergine » ? Son accent slave laissait supposer soit une princesse russe émigrée ou rejetée par le pouvoir en place, soit une aventureuse délaissée par son Soutien ? Vous le saurez ou pas, la semaine prochaine !

Je sens cette histoire aussi trouble que ce tableau. Les années ont passé, Aubergine a quitté Briscaille depuis longtemps. Au début quelques lettres sont parvenues à l'auberge dans laquelle sa sœur a repris la gestion avec beaucoup de réussite. Les terrains à bâtir n'étant pas chers, de modestes maisons et des villas huppées furent construites près du village. Des boutiques ouvrirent dans la rue principale, dont une supérette d'un logo connu. Des artistes-peintres et photographes de renom séjournèrent à l'auberge, exposèrent leurs œuvres. Briscaille ressembla de plus en plus à un petit « Saint-Paul » où à la belle saison les jeux de boules de l'auberge ne désemplissaient pas. Pendant des années, l'essor de ce village se maintint au détriment de quelques anciens défavorisés qui ne voyaient pas ce bouleversement d'un bon œil. La jeune sœur d'Aubergine était devenue une très jolie femme très courtisée qui menait son affaire de main ferme. Toujours vêtue en mauve parme elle était connue sous le nom de Violette. Son jeune fils maintenant avocat s’intéressait au devenir du village. Il briguait la mairie car le maire actuel pourtant compétent, mais vieillissant, se sentait dépassé par l'évolution rapide de Briscaille. Pourtant malgré cette réussite apparente, des doutes et une zone d'ombre persistaient. Qu'était devenue Aubergine ? Quand on l'évoquait devant sa sœur, Violette détournait la conversation, un voile de tristesse dans ses yeux. Puis, en 2021 les événements à venir se précisaient en Russie. Alors Violette nous avoua que sa sœur et elle étaient nées en Russie, mais naturalisées françaises. En quittant Briscaille, Aubergine était entrée en URSS pour retrouver de la famille et avait été emprisonnée par les autorités. Libérée depuis peu elle espérait pouvoir revenir au village qui l'avait adoptée. De nombreux ressortissants russes fortunés avaient élu domicile dans ce village. Alors que jusqu'à ce jour la population vivait en bonne intelligence, l'invasion de l'Ukraine par la Russie jeta un froid dans les relations entre les communautés. Un trouble aussi profond que sur la photo plana sur le village. Pour dissiper ce malentendu les immigrés demandèrent au maire de rassembler tous les habitants pour qu'ils s'expliquent sur leurs désaccords de cette invasion. Alors qu'un samedi soir du mois de juin la place du village et les rues et ruelles étaient décorées pour fêter « la Saint-Briscaille » , comme dans un conte de fée, on vit sortir d'un taxi Angélique s'appuyant sur une canne, vieillie, mais resplendissante de bonheur de retrouver son « chez elle ».

 

Louis

 

Rédigé par Louis

Publié dans #Ecrire sur des photos

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