LA BOITE

Publié le 28 Avril 2022

La pluie tombait drue. Ses gouttes frappaient les vitres de la fenêtre de cette chambre que j'occupais il y a quelques années. Je retrouvais après la mort de mes parents, le désir de découvrir quelques souvenirs éparpillés au fond des tiroirs.

Dans la semi obscurité d'une maison qui dort, seule la lune, dispensait une petite lueur. Sur l’étagère où trônaient les témoins de mes exploits sportifs passés, une boite ronde se rappela à mon souvenir. Aussi noire, que ma tignasse de corbeau quant j'avais vingt ans, elle était en bois laqué et son couvercle était orné de trois fleurs. L'artiste les avait représentées droites comme des I, fières et altières comme des bois de justice. Elles semblaient immortelles. C'est vrai que cette boite venait de loin. Mon arrière-grand-père l'avait tenue dans ses mains avant de repartir sur le front après une permission trop courte pour lui faire oublier l'enfer qu'il allait retrouver.

Cette boite avait jouée un rôle dans la vie de mon aïeul. Avant de repartir, il nous avait laissé un témoignage ou plutôt une confession. J'ouvrais la boite et constatais que sa lettre était toujours là. Papier craquant et jauni, mais le texte était lisible. L'encre, violette, avait roussi avec le temps, par contre les lettres écrites à la plume avec leurs arrondis et leurs déliés étaient toujours aussi élégantes. Faites bien attention, disait-il, tout n'est que mensonge. Je n'ai pas le droit de le dire, car je serais accusé de défaitisme et je risquerais le peloton, c'est pour cela que je l'écris.

La soupe n'est pas bonne. Encore faut' il qu'elle arrive jusqu’à nous. Les tranchées ne sont pas un lieu de promenade. Tout n'est que boue et saleté. Nous pataugeons dans le froid et l'humidité. Chaque seconde est une menace. Le danger et la peur de mourir tenaillent nos entrailles. On parle des décorés mais on oublie les fusillés qui ont cédé à leur terreur. Quand nous subissons les assauts ennemis nous manquons souvent de munitions et nous prions pour que l'ennemi ne s'en rende pas compte...

Et ainsi de suite, la litanie était encore longue et les griefs du poilu étaient innombrables. L'ancêtre est revenu, mais " les pieds devants " avec la médaille de ceux qui sont partis avant la fin des hostilités sans qu'on puisse leur en faire reproche. La boite n'a rempli son rôle qu’après la guerre. Ma grand-mère l'avait retrouvée au fond d'une armoire, derrière une pile de vieux vêtements qui ne servaient plus à rien . Elle voulait s'en servir comme bonbonnière. Mais la lettre de son pêne a fait qu'elle a rendu à la boite sa vocation première. Celle de tabernacle sacré au même titre qu'une urne contenant les cendres d'un être cher. A la fin de sa vie, elle me l'avait confiée en me faisant promettre de la conserver au sein de ma famille à venir. Mais la famille n'est pas venue et moi j'avais oublié mon obligation.

La boite est un peu ternie, mais un peu d'eau tiède et un doux chiffon de coton lui rendront sa respectabilité. Cette nuit je dormirai ici en sa compagnie et demain nous partirons, elle et moi, vivre une nouvelle vie sous d'autres cieux.

 

 

Rédigé par Fernand

Publié dans #Les objets

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