VIOLIONISTE AU JARDIN
Publié le 1 Février 2022
LE BANC
Avec un extrait de Françoise M. pour incipit.
Chaque après-midi quand le temps me le permet, je m’assois sur « mon banc », souvent seul, dans un jardin public parisien, mais ce jour là un jeune homme portant un violon s’assied à côté de moi.
En jetant un coup d’œil discret, je m’aperçois qu’il a un tic, les doigts de sa main gauche bougent, je me dis il s’exerce !!
La tête relevée, les yeux scrutant le ciel ou autres éléments intéressants, il se sent parmi les anges de la félicité.
A ce moment un pigeon amoureux éconduit se laisse aller sur le bout du nez du musicien.
-Quel manque de respect tout de même, dis-je gentiment, contenant mon envie de sourire.
-Je me nomme Albert et n’ai aucune envie de rire, me dit il se tournant vers moi, l’air méchamment ahuri, se passant les doigts dans sa crinière blonde.
-C’est un Stradivarius, lui demandais-je, désignant l’étui posé entre nous..
-Un quoi !
-Votre violon, c’est un Stradivarius ?
-Pourquoi m’insultez vous, me répondit il avec une expression de pure violence.
Sauvé par le gong, mon portable se met à sonner et comme porté par un désir fou de m’éloigner, je me lève nonchalamment , sans lui porter le moindre regard.
Arrivé à la sortie du parc, je me retourne et vois que l’individu avait disparu, mais son violon se trouve abandonné.
Demain sera un autre jour !!!
Le lendemain, c’est un mercredi, le jour des enfants accompagnés de leurs parent ou des nourrices
Je repère vite « mon banc », je sais c’est une intention prétentieuse, mais depuis ma retraite et les disparitions de ma femme et de ma fille dans un accident de voiture, je suis vidé de tout autre attrait que de scruter le comportement des humains dans leur quotidien.
Et puis je me fais des ‘amis’, les tourterelles qui me connaissent viennent sans peur picorer dans ma main.
Je cogite beaucoup, hier soir un petit carnet à atterri à mes pieds, lorsque j’ai tenté de prendre un stylo dans mon secrétaire, peut être un signe du destin pour croquer les attitudes, les couleurs de la vie des promeneurs de ce parc magnifique et reprendre la peinture, qui sait….
Albert n’est pas là et son violon non plus !
-Bonjour, entendis-je, comment allez vous cher monsieur !!
Levant la tête, je suis stupéfait de voir Albert, maquillé, portant un costume à larges carreaux, nœud papillon et fume cigare.
-Salut à vous, lui répondis je, où est votre instrument ?
-De quoi parlez vous ?
Je ne sais pas pourquoi, mon regard se posa sur sa main gauche, ses doigts s’animaient toujours frénétiquement !!!!!!!
…
LES AUTRES
Avec un extrait de Gérald en italique
La saison avance, déjà la rentrée des classes, les enfants dans le parc comparent leurs cartables, leurs nouvelles baskets.
L’automne n’est pas triste, mais une période de transition.
Marcel, c’est mon nom, je sais depuis quelques temps, je ne m’appartiens plus et reste discret sur mon ‘moi intérieur’.
Tous les habitants défilent dans ma tête et là je me rends compte, que je ne sais pas grand-chose d’eux. Depuis le départ de ma femme, je m’étais un peu réfugié dans mon travail.
Finalement il avait fallu que quelqu’un bouscule mes habitudes pour m’ouvrir aux autres.
Les autres oui, mais l’autre aussi me perturbait, je ne suis pas parano, ancien gendarme que la retraite avait vieilli d’un coup, après la perte des deux êtres les plus chers à mon cœur.
Je relativisais, des informations glanées ici et là me poussaient à suspecter un dangereux malfaiteur dans la personne de Albert. Et si son étui à violon contenait autre chose qu’un instrument de musique !!
Mon instinct d’enquêteur refit surface, je décelais des tâches suspectes sur l’engin, tandis que son propriétaire faisait le guignol avec les enfants. Des marques rouges, du sang peut être, de qui, de quoi….
Je m’étais renseigné sur Internet et fabulais sur un hypothétique meurtrier, ou un détraqué sexuel se servant d’un violon comme appât. Fin septembre, je vis de loin cet énergumène en haillons, veston déchiré, une seule chaussure, un œil au beurre noir, titubant.
-Eh bien, lui dis- je que s’est il passé ?
-Qui êtes vous bégaya t il, elles sont toutes folles ces chiennes, je crois que je viens d’en massacrer une, blondasse qui ne voulait pas me laisser monter dans sa voiture.
N’insistant pas je me levais et partais.
Les infos du soir, prévenaient qu’un dangereux individu, échappé d’un asile, venait de commettre une agression particulièrement atroce. La photo ne me permettait aucun doute… c’était Albert.
Le lendemain, mes petites amies les tourterelles, m’attendaient.
Pas d’Albert, les jours suivants non plus.
Début octobre, par une journée pluvieuse et venteuse d’automne, je m’apprêtais à partir, lorsque je vis Albert arriver très chiquement vêtu, son précieux violon à bout de bras.
-Comment allez vous cher monsieur, me demanda t il ?
Un peu surpris et sur mes gardes, je répondis par un sourire.
-Connaissez-vous le monde des magiciens, clowns et autres hypnotiseurs… non, eh bien ce sont des mondes pleins de surprises. Mon frère jumeau, Maurice en est un, plein de surprises, il retourne dans son deuxième « chez lui », vous connaissez l’établissement psychiatrique Sainte Marie. Il est fou, fou, oh il ne ferait pas de mal à une mouche.
A ce moment, Albert ouvrit l’étui de son instrument et des foulards de toutes les couleurs s’envolèrent des notes de musique en sortirent.
-Je suis un clown triste, un peu bizarre, venez me voir et m’applaudir ce soir au «Cirque du Bonheur ».
…
COMME DES OISEAUX
Avec un extrait de Mado en italique
« Derrière la baie vitrée, la nuit est partie à présent. Quelques oiseaux sautillent sur les branches des arbres dans le jardin. Bientôt leurs trilles entreront dans le salon ».
C’est ma pensée de la journée.
Attiré comme un aimant, je retrouve mes petites amies, qui m’attendent près de mon banc.
-Tiens me dis-je le violon, tout au moins l’étui est allongé sur la place, des pigeons y roucoulent, un autre fait la cour à une jolie tourterelle.
-Je jette un regard circulaire, mais ni Albert, ni Maurice ne sont là.
Hier soir, par curiosité, je suis allé au ‘Cirque du Bonheur’, mais personne n’avait entendu parler de ces personnages, je m’en doutais un peu…
Sortant mon carnet à croquis, les idées se chevauchent, tant des enfants, des SDFS seuls, des personnes âgées, tranquillement assis posaient malgré eux.
-Bonjour, cher monsieur, comment allez vous aujourd’hui, dit une voix derrière moi?
J’ai perdu le réflexe de me retourner !!!
Poussant d’un geste brusque l’étui et les pigeons du même coup, il s’assied à côté de moi.
-Vous savez la nouvelle, dit il levant sa main , les doigts tremblants, il est mort, oui bien mort, hier soir fut son dernier tour de piste, avec ses foulards colorés.
Mon frère Maurice, m’a abandonné à mon triste sort. Il s’est effondré, comme ça pouf !! les pompiers l’ont emmené.
Un instant, j’ai eu de la peine, ce pauvre homme avait l’ait sincère.
Se ressaisissant, il se calma, ouvrit l’étui et en sorti un magnifique violon rutilant et se mit à en jouer.
Les curieux étaient comme tétanisés, « Le Printemps de Vivaldi » nous enchanta, les notes s’envolèrent, les fleurs du jardin s’ouvrir, (ces dernières furent une illusion d’optique).
Dans l’exaltation des mouvements, un papier s’extirpa de sa poche.
Je le ramassai, voulu lui tendre, mais la curiosité fut la plus forte, je l’ouvris.
« Monsieur Albert, premier prix du conservatoire d’instruments de musique à cordes », daté d’une année.
Vivaldi sous l’archet de Albert ayant terminé son envolée, ce dernier m’attrapa le papier.
-C’est une super nouvelle, lui dis-je gentiment.
-Oui, je sais, me répondit le violoniste, après 15 ans d’école de musique, j’ai eu peur.
-Peur de quoi, vous jouez magnifiquement, c’est de la poésie.
-J’aime cet endroit, la verdure apaisante, les cris des enfants, c’est une contradiction dont j’ai besoin, et vous cher monsieur qui avez toujours subi mes extravagances, vous êtes un ami, je vous en remercie.
Demain, je commence une nouvelle vie en incorporant l’orchestre de Nice, comme premier violon.
Cela me ferait vraiment plaisir de vous voir parmi les spectateurs.
« … ça pépiera, ça piaillera, ça sifflera, ça jacassera, ça chantera, ça vocalisera, ça discutera, ça disputera, ça remplira l’espace de vie.
Le monde est à lui ».